Le cinéma Images d’ailleurs en danger de mort


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La liquidation d’Images d’ailleurs a été prononcée le 29 mai dernier. Depuis bientôt vingt ans, ce cinéma, unique en son genre, faisait le bonheur, à Paris, des amateurs de films d’Afrique et du Sud. L’aventure aurait pu se poursuivre, mais le Comité d’entreprise de la Caisse d’Epargne Paris-Ile de France, propriétaire des lieux, ne l’a pas entendu de cette oreille. Le directeur de la salle, Sanvi Panou, organise la contre-attaque.

L’heure de la dernière séance a sonné. Le cinéma Images d’ailleurs est prié de fermer ses portes et son directeur, le réalisateur bénino-togolais Sanvi Panou, de déguerpir. Telle est la volonté du Comité d’entreprise (CE) de la Caisse d’Epargne Paris-Ile de France, le propriétaire des lieux. Pour qui aime le cinéma africain et veut voir, sur grand écran, d’autres films que ceux produits par l’Europe et Hollywood, Images d’Ailleurs est un espace unique, une véritable oasis en plein cœur de Paris. Combien de cinéphiles ont découvert, en se rendant au 21 rue de la clef, les films noirs américains de Melvin Van Peebles et de la Blaxploitation, les chefs d’œuvre de Sembène Ousmane et de Youssef Chahine, tous ces longs et courts métrages d’Afrique, de la Caraïbe, d’Amérique latine, qui peinent à trouver une place dans la programmation des grands distributeurs et diffuseurs français. Sur nombre de professionnels africains du Septième art, l’annonce de sa fermeture a fait l’effet d’une gifle.

Parmi eux, le réalisateur Sylvestre Amoussou, dont le dernier long métrage, Africa Paradis, sorti en 2007, avait connu toutes les difficultés du monde à être projeté dans l’Hexagone. Il avait trouvé, à Images d’ailleurs, un espace où présenter son œuvre au public. « Tout est fait pour tuer le cinéma noir en France. On a du mal à distribuer nos films, et le seul lieu qui existe, on décide de le fermer », constate-t-il, dépité. Il ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il y a, dans cette décision, une part de malveillance à l’égard de la communauté noire. « Je pense qu’ils ont peur de la guerre des images. Ils savent que s’il existe un lieu où nous diffusons nos films, nous existerons, et ils ne veulent pas que nous existions », estime-t-il.

« Cette affaire n’est pas liée seulement à la survie d’une salle »

Il semble cependant que le choix du CE de la Caisse d’épargne soit plutôt d’ordre économique. Le 27 janvier 2009, il faisait parvenir au directeur de la salle un avis d’huissier le priant de libérer les lieux d’ici la fin du mois d’avril. Motifs invoqués : une année de loyer impayée et le souhait de vendre les locaux. Absent du territoire français, Sanvi Panou prenait connaissance de la lettre recommandée à son retour, à la mi-mars, et tentait pendant plus d’un mois de trouver un terrain d’entente avec le propriétaire. Dialogue difficile car il reprochait à ce dernier de n’avoir pas correctement entretenu la salle, alors que le propriétaire recevait à cet effet une somme prélevée sur la billetterie. Une négligence qui, selon M. Panou, aurait conduit à ce que les subventions fussent au fil du temps « réduites à peau de chagrin ». D’autre part, le directeur de la salle n’entendait pas lui verser un an de loyer en avril, alors qu’il avait coutume, depuis 2002, de régler cette facture en septembre, après que lesdites subventions lui aient été versées.

Le 6 mai, les représentants du CE acceptaient de se présenter au rendez-vous qu’il leur avait donné au Centre national de la cinématographie (CNC). La directrice du service exploitation de cette institution, Nicole de Launay, et M. Panou tentaient de les ramener à de meilleurs sentiments, leur rappelant combien la survie financière des cinémas d’art et d’essai est malaisée. En vain.

En raison des difficultés de trésorerie qu’il rencontrait, Images d’ailleurs était en redressement judiciaire. Cependant, son responsable, suite aux efforts fournis depuis un an, espérait obtenir de la justice l’adoption d’un plan de continuation et maintenir le cinéma en activité quelques années encore. Mais ses espoirs sont partis en fumée lorsque le commissaire et le juge en charge du dossier lui ont révélé que le CE de la Caisse d’Epargne leur avait fait parvenir un courrier les informant qu’il souhaitait expulser son locataire. « Un coup de couteau dans le dos », estime M. Panou qui regrette amèrement d’avoir livré au propriétaire, lors de la rencontre au CNC, le détail de ses démêlées avec la justice et les noms de ses interlocuteurs. Le 29 mai, la liquidation d’Images d’ailleurs était prononcée par le tribunal de Paris.

Mais Sanvi Panou n’entend pas se laisser abattre. « Je vais mobiliser tous les réseaux culturels noirs, prévient-il. Il faut que certaines cultures s’organisent pour leur visibilité en France et prennent conscience que cette affaire n’est pas liée seulement à la survie d’une salle mais à une dynamique culturelle ». Il veut mettre sur pied un Comité de défense d’Images d’ailleurs. Une initiative saluée par l’actrice guadeloupéenne et conseillère municipale de Paris, Firmine Richard. « Il faut aller partout pour que les gens réagissent, déclare-t-elle. Il faut vraiment taper un bon coup pour qu’on entende parler du problème. » Une médiatisation supplémentaire que ne devrait pas apprécier la Caisse d’Epargne, la Banque populaire et leur filiale Natixis, en délicatesse actuellement avec la brigade financière. Quelle que soit l’issue du bras de fer engagé entre Images d’ailleurs et son propriétaire, Sanvi Panou souhaiterait que cette affaire incite les Noirs de France à s’organiser pour qu’ils possèdent un lieu de culture, car, assure-t-il, « nous ne sommes rien si nous n’avons pas nos propres clés en poche ».

 Communiqué : Ne laissons pas mourir le cinéma Images d’ailleurs

 Le site d’Images d’ailleurs

 Contact : sanvipanou@yahoo.fr

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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