Des élections crédibles au Cameroun, ce n’est pas pour demain


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Quelle aura été l’utilité des consultations entreprises par le Premier Ministre depuis le début de l’année 2007, dans le cadre de la mise en place d’un organe indépendant d’organisation des élections au Cameroun ? A quoi auront donc servi les propositions reçues de la société civile et des partis politiques lors de ces consultations, sinon simplement de cocher des cases dans la liste des étapes convenues avec les partenaires extérieurs ? Dès lors que le gouvernement dénonce l’ingérence de ceux-là même qu’il a appelés à l’aide, il y a plus qu’un soupçon d’absurdité. En quoi est-il impossible de trouver, sur 18 millions de Camerounais, 12 personnalités indépendantes ?

Elections Cameroon (Elecam) est un maillon essentiel du système électoral dont la crédibilité n’aurait jamais dû souffrir de contestation. Or les nominations récemment opérées au sein de cette institution jettent un flagrant discrédit sur cette structure, la vidant de tout l’intérêt que sa création avait pu susciter. Les Camerounais réalisent bien que sans une Elecam indépendante du pouvoir exécutif et du parti au pouvoir, il ne saurait y avoir d’élections transparentes. Ne pas le réclamer, ne pas l’exiger c’est contribuer à maintenir ce pays dans un état démocratique végétatif, et se rendre complice d’insensées parodies électorales.

Structure indépendante d’organisation des élections, Elecam était censée l’être. Elle est née du constat général que la crédibilité des précédentes élections était systématiquement remise en cause, l’un des compétiteurs ayant toujours été juge et partie. Tel était le cas sous toutes les élections organisées par le Ministère de l’administration territoriale. L’Observatoire national des élections (ONEL) créé en 2000 n’y a pas changé grand-chose, l’organisation des opérations électorales étant restée sous la responsabilité du Ministère. Elecam, réclamée à cor et à cri par les Camerounais, doit prendre en charge l’ensemble du processus d’organisation des élections, de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats, avec l’impérieuse condition d’être indépendante de l’exécutif et de tout parti. Indépendance financière, indépendance en termes de moyens humains. A défaut, Elecam ne présenterait aucune originalité. Il s’agirait simplement d’une institution de plus, d’un dédoublement de l’administration publique, d’un organe budgétivore de trop dans le cimetière administratif de notre pays. Quelle conscience nos dirigeants ont-ils de cette éblouissante évidence ?

L’indépendance du Conseil électoral reste à prouver

L’alinéa 2 de l’article 8 de la loi du 29 décembre 2006 portant création d’Elecam, stipule que « les membres du Conseil Electoral sont choisis parmi des personnalités de nationalité camerounaise, reconnues pour leur compétence, leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur sens patriotique, leur esprit de neutralité et d’impartialité ». A moins que les termes « militant » et « parti » aient changé de sens au Cameroun, personne de normalement constitué ne peut soutenir qu’un militant de parti -membre du bureau qui plus est- acquiert de la neutralité et de l’impartialité par le fait qu’il démissionne de son parti. On peut ainsi plus que douter de l’honnêteté intellectuelle des membres nommés et de leurs défenseurs qui continuent à arguer sans vergogne qu’avoir exercé des responsabilités au sein du parti au pouvoir n’aura pas d’incidence sur leur neutralité.

Du moment qu’au terme des décrets du 30 décembre 2008, le Conseil électoral d’Elecam compte de nombreux membres du parti au pouvoir dont d’anciens membres du gouvernement, qu’ils aient depuis lors démissionné du parti ou pas, l’impartialité de la structure toute entière est compromise. Même s’ils voulaient ardemment et de toute leur âme l’éviter, ils ne résisteraient pas longtemps aux pluies de sollicitations amicales émanant du parti qui les a faits. On comprend dès lors pourquoi les partenaires extérieurs qui ont accepté de nous accompagner dans l’organisation de notre système électoral ont tenu à se désolidariser de tels choix, notamment par leur symbolique absence à la cérémonie de prestation de serment des membres le 29 janvier dernier, et par leurs déclarations. Les Camerounais savent bien que ni l’Union Européenne, ni le Commonwealth ne nous conseillent dans la mise en place d’un système électoral transparent et efficace sans notre aval, mieux, il a fallu que le Cameroun le leur demande expressément. Le respect du calendrier et le respect du cahier de charges sur lesquels le Cameroun s’est ainsi engagé -engagements qui ont conditionné ces appuis extérieurs- sont-ils de ces domaines où on pourrait soupçonner ces organisations multilatérales d’ingérence ? En quoi la déclaration de l’Union Européenne du 7 février 2009 constitue-t-elle une ingérence dans les affaires internes du Cameroun ?

Agiter la fibre nationaliste ou souverainiste apparaît totalement déplacé. Encore une fois, en quoi est-il impossible de trouver des personnalités indépendantes dans notre pays ? Les motivations de nos dirigeants sont donc ailleurs, bien loin de l’ambition de doter notre pays d’une institution efficace dans l’organisation d’élections transparentes jugées crédibles par les Camerounais. D’autres ambitions, de grandes sans doute, sont bien en marche : après la modification de la Constitution en avril 2008, ceci malgré les événements de février 2008, force est de constater que la machine à perpétuer le régime fonctionne à plein régime. On peut donc comprendre la posture de rejet des partis d’opposition, qui voient dans les manœuvres en cours une ferme volonté de verrouiller toute possibilité d’accession au pouvoir par les urnes, et de maintenir ainsi un statu quo qui prévaut depuis 27 ans. A moins d’une reprise en main par le peuple camerounais de son destin, les élections crédibles dans ce pays, ce n’est pas pour demain.

Par Hervé Aldo

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