Sénégal : la machine judiciaire s’abat sur les homosexuels


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Joël Nana
Joël Nana

Neuf homosexuels sénégalais ont été condamnés mardi à huit ans de prison par un tribunal de Dakar. Le groupe d’hommes, qui a fait appel, avait été arrêté sur dénonciation dans un appartement de la banlieue de la capitale sénégalaise. Les associations de défense des droits des gays et lesbiennes s’inquiètent des conséquences du jugement et se mobilisent pour soutenir les condamnés.

Le 19 décembre, la police arrête neuf hommes dans un appartement de la périphérie de Dakar. Ils avaient été dénoncés à cause de leurs amours illicites : l’homosexualité est un crime au Sénégal, pays majoritairement musulman. L’article 319 du code pénal stipule en effet que « quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe » risque « un emprisonnement d’un à cinq ans » et une amende comprise entre 100 000 (environ 150 euros) et un million de FCFA (1 500 euros).

Une peine sévère, mais bien en deçà de celle prononcée mardi à Dakar pour « comportement impudique et contre-nature et association de malfaiteurs ». Pourquoi « association de malfaiteurs » ? « Comme l’homosexualité est un crime, un gay est considéré comme un criminel. Du coup, si plusieurs homosexuels se réunissent en association, la justice estime qu’il s’agit d’une association de malfaiteurs », commente pour Afrik Joël Nana, directeur du plaidoyer et de la recherche en Afrique à la Commission internationale pour les droits des gays et lesbiennes (IGLHRC).

Peine plus sévère que la loi

Le parquet avait requis une peine de cinq ans de prison pour tous les accusés, mais le juge les a condamnés à huit ans de prison et 500 000 FCFA d’amende. Une sentence qui serait la plus lourde jamais prononcée au Sénégal contre des homosexuels, a expliqué à l’AFP Me Issa Diop, l’un des quatre avocats de la défense. « L’accusation d’association de malfaiteurs a servi d’alibi au juge pour dépasser de trois ans la peine demandée par le procureur. Je pense que le juge a pris sa décision sur la base de ses propres croyances et peut-être aussi de son homophobie », estime Joël Nana.

Me Issa Diop a annoncé qu’il ferait appel du verdict. Quant aux associations de défense des droits gays et lesbiennes, elles protestent vivement contre les condamnations. « Nous nous insurgeons farouchement contre toutes les violations des droits humains commises, qui vont à l’encontre des différents textes internationaux sur les droits humains signés par le Sénégal. D’autant que le Sénégal est l’un des récipiendaires de fonds débloqués par le Fonds Mondial dans le cadre de la lutte contre le sida chez les homosexuels », commente Joël Nana, dont l’organisation coordonne des actions de soutien pour les condamnés.

« Autorisation implicite de maltraiter les homosexuels »

Le soutien prend une ampleur internationale. « On a alerté les autorités diplomatiques françaises. Elles sont relativement actives, notamment pour garantir un procès équitable et le respect des droits de la défense. Car en première instance, d’après les informations que j’ai vu circuler, les avocats des accusés n’ont pas eu tout le temps de consulter les dossiers », confie à Afrik Philippe Colomb, animateur de l’organisation française Solidarité Internationale LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels).

Reste que certains homosexuels songent à quitter le Sénégal. Pour vivre libres. Ce scénario n’est pas sans rappeler celui qui s’est déroulé fin 2007-début 2008, lorsque le magazine people Icône a publié les photos d’un prétendu mariage gay. Suite à cette parution, plusieurs personnes avaient été arrêtées, avant d’être relâchées, et des homosexuels présumés avaient été lynchés. Un passif qui pousse Joël Nana à envisager le pire : « Par des condamnations comme celles de mardi, le pouvoir donne implicitement l’autorisation à la population de maltraiter des personnes homosexuelles ou présumées comme telles. Il montre que les homosexuels n’ont pas le droit de vivre librement leur orientation sexuelle. »

La lutte contre le sida en danger

Les conséquences des condamnations risquent aussi d’être désastreuses en matière de santé publique. « Ces arrestations suivies de condamnations vont rendre impossible toute forme de prévention du VIH/sida dans la communauté car les homosexuels n’oseront plus sortir de chez eux. Par ailleurs, l’appartement de Diadji [l’un des gays condamnés] servait de relai entre les homosexuels et les acteurs de la lutte contre le sida : les homosexuels venaient chercher du lubrifiant, des préservatifs et les séropositifs pouvaient obtenir des médicaments », souligne Joël Nana.

Résultat, le Sénégal se retrouve en contradiction avec les engagements pris au cours de la Conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles (Cisma), qui s’est tenue à Dakar du 3 au 7 décembre. Lors de cette rencontre, la ministre de la Santé et de la Prévention et plusieurs acteurs locaux de la lutte contre le sida avaient appelé à inclure les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (MSM) dans les plans de lutte contre le sida. Le verdict de mardi prouve une nouvelle fois qu’une telle politique ne va pas de paire avec la pénalisation des relations entre personnes de même sexe. Entre prévenir et punir, Dakar va devoir choisir.

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