Marignane se débarrasse de l’OAS


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Jean-François Collin

La mémoire de la Guerre d’Algérie est encore un sujet sensible en France. Dans la nuit de mardi à mercredi, la mairie de Marignane a procédé au démontage d’une stèle en l’honneur des morts pour l’Algérie française. Une décision inadmissible pour Jean-François Collin, président de l’Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (Adimad), à l’initiative de l’érection du monument en 2005. Une victoire pour François Nadiras, ancien président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) de Toulon. Interview.

La stèle de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) à Marignane représente « une dimension polémique susceptible de heurter les usagers ». Telle est l’explication donnée le 7 juillet dernier par un juge du tribunal de Marseille pour justifier le démontage du monument. Erigée en juillet 2005 avec l’accord de l’ancien maire FN, Daniel Simonpiéri, et à l’initiative de l’Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (Adimad ), la stèle qui rend hommage aux morts de l’OAS faisait polémique depuis son érection. Mercredi à l’aube, la stèle de la discorde a donc été démontée presque en catimini. « La police a eu peur d’un rassemblement impromptu et d’une situation ingérable », a justifié le maire UMP, Eric Le Dissès.
Les quelque quarante personnes rassemblées, mercredi, au cimetière Saint-Laurent-Imbert, où trônait la stèle, se sont senties trahies.
Ces ultra-patriotes n’ont pas supporté de voir leur histoire bafouée par des élus de la République.
Créée en 1961, à la fin de la Guerre d’Algérie, l’OAS était un rassemblement clandestin d’individus, civils et militaires, réunis autour d’une même cause : le maintien de l’Algérie comme département français. Pour parvenir à ses fins, elle utilisait des modes d’action ultra-violents envers les membres du Front de Libération Nationale et envers les gaullistes qui décidèrent, à contrecœur pourtant, d’accorder l’indépendance à l’Algérie en 1962. Jean-François Collin, président de l’Amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (Adimad), et François Nadiras, ancien président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) de Toulon et aujourd’hui animateur du site internet de l’organisation, nous livrent leurs points de vue sur le démontage de la stèle.

 Jean-François Collin, ancien membre du Groupement de Commandos Parachutistes de Réserve Générale (GCPRG) en Algérie et actuel président de l’Adimad.Jean-François Collin

Afrik.com : Que représentait cette stèle et quel est votre sentiment aujourd’hui après le démontage ?

J-F Collin :
Il n’y avait aucun nom sur la stèle. Il y avait juste des dates et une inscription « Algérie Française » avec une phrase commémorative. Aujourd’hui nous éprouvons tous une grande tristesse. C’est la première fois qu’un monument de mémoire est démoli en France depuis 1962.

Afrik.com : Quelles raisons vous a-t-on donné pour le démontage du monument ?

J-F Collin :
On nous a dit qu’elle représentait un trouble à l’ordre public, une diffamation. Elle ferait sois disant l’apologie d’un crime de guerre. Nous avons intenté une action en justice et la personne qui avait dit ça a été déboutée. Cette stèle ne peut pas être assimilée à tout ça.

Afrik.com :Un projet de stèle commune à tous les morts de la Guerre d’Algérie est en discussion. Qu’en pensez-vous ?

J-F Collin :
Je n’imagine même pas cette idée. Est-ce qu’on devrait partager un monument avec les Fellagha [[Terme utilisé par les troupes françaises pour désigner les combattants nationalistes au Maghreb lors des indépendances]], les Barbouzes [[Terme utilisé par l’OAS pour désigner les agents utilisés par la France dans sa lutte anti-OAS]] et les gaullistes ? Est-ce qu’on demande aux Juifs d’être enterrés avec les nazis ou aux Turcs avec les Arméniens ? Nous ne voulons pas de ce monument commun.

Afrik.com : Que reprochez-vous au maire ?

J-F Collin :
D’être gaulliste tout simplement. Le maire précédent avait autorisé cette stèle. Ensuite il y a eu une erreur administrative à Marignane. Il y a d’autres stèles dans d’autres mairies du coin : Perpignan, Toulon, Nice, Hyères, Béziers,… Nous sommes beaucoup d’anciens de l’Algérie Française. Nous avons été privés de nos cercueils.

 François Nadiras, ancien président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon, aujourd’hui animateur du site et militant pour les droits de l’homme.François Nadiras

Afrik.com : Pourquoi avez-vous milité pour le démontage de la stèle de Marignane ?

François Nadiras :
En 1995, le FN a gagné les municipales à Toulon et dans quelques autres villes de la région. Il a ranimé le mythe de l’Algérie Française. Cette stèle en est une manifestation. Nous militons pour son retrait depuis son érection en juillet 2005. Elle représente une manipulation de l’histoire. Ces gens ne sont pas honorables. Ils demandent à ce que l’on reconnaisse que leurs morts sont «morts pour la France» alors que l’OAS a dirigé beaucoup de ses actions contre les institutions de la République française.

Afrik.com : Cette stèle est-elle un phénomène isolé ?

François Nadiras :
Non il y en d’autres et nous avons protesté contre toutes les autres plaques comme à Perpignan ou Béziers. Il y a clairement une compromission des élus locaux. Beaucoup voient dans les Pieds Noirs, qui regrettent l’Algérie Française, un vivier d’électeurs. Le FN n’est pas le seul. L’ancien maire de Marignane était FN mais il est passé à l’UMP. L’UMP recycle d’anciens militants frontistes. Le problème est que beaucoup ne voient pas les enjeux de la réhabilitation de l’OAS.

Afrik.com : Etes-vous favorables à une stèle qui engloberait les mémoires de tous les morts d’Algérie ?

François Nadiras :
Pour une stèle comme celle de Perpignan, le problème est le choix des victimes qui y est opéré. Certaines personnes y sont, d’autres non.

Je suis pour un hommage à toutes les personnes qui sont mortes pendant cette guerre, le tout est de ne pas faire de tri. La stèle de Marignane fait clairement la promotion de 4 personnes même s’il n’y a que les dates de leurs exécutions (voir encadré) Mon but n’est pas de raviver les guerres de mémoire mais de mettre en garde. A Toulon, il y a une plaque en souvenir de l’Algérie Française. Il y a régulièrement des jeunes d’origine maghrébine qui jouent à côté. Il y a quelques temps l’un deux m’a demandé ce qu’était l’Algérie Française. Ce sont des situations comme ça que je souhaite éviter.

Afrik.com : Il ne faut aucune reconnaissance pour les gens de l’OAS ?

François Nadiras :
L’article 13 de la loi du 25 février 2005, très controversée par ailleurs pour l’évocation du rôle positif de la colonisation, leur a déjà accordé beaucoup. Il y a eu une indemnisation des activistes de l’OAS sous prétexte qu’ils auraient perdu des annuités entre 1962 et 1969. A cette époque, beaucoup d’entre eux s’étaient réfugiés en Espagne pour éviter d’être poursuivi par la justice française. Ils ont déjà eu bien assez.

Explication des dates inscrites sur la stèle

 7 juin 1962 : fusillade d’Albert Dovecar et Claude Piegts qui ont participé à l’assassinat du commissaire Roger Gavoury.

 6 juillet 1962 : fusillade de Roger Degueldre, responsable des « commandos delta » de l’OAS, un de ces commandos qui, le 15 Mars 1962, assassina, méthodiquement et de sang-froid, six inspecteurs de l’éducation nationale

 11 mars 1963 : fusillade de Jean-Marie Bastien-Thiry, l’organisateur des attentats manqués contre de Gaulle à Pont-de-Seine et au Petit-Clamart.

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