Quand la « Obamania » s’empare du Kenya


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«Une Obama s’il vous plaît », lance un client au Florida Club, boîte de nuit donnant sur le front de mer à Mombasa. Au loin, de gros cargos attendent pour entrer dans le plus grand port marchand d’Afrique. A deux pas, les amoureux se bécotent sur les rochers peu gênés par le bruit de l’océan Indien.

Alors que le soleil fait place aux néons multicolores, les « Obama » fusent dans la discothèque aux murs lépreux où des centaines de marines américains, de la base toute proche, trompent leur ennui sur fond de musique swahili, rock et rap. En ce début de soirée, il n’y a que des jeunes Kényans qui sirotent des bières au bar. John, guide touristique, rassure les curieux : « Ici, ce n’est pas le quartier général de Barack Obama. La Obama chez nous, c’est une bière locale ! » A l’origine, elle s’appelait Sénateur, mais elle a été rebaptisée du nom du candidat démocrate à la présidence américaine. « En l’honneur du sénateur Barack Obama », insiste-t-il. Succès assuré pour le brasseur kényan qui ne peut répondre à la demande.

La Obamania déferle sur le Kenya. De Nairobi à Mombasa en passant par Nakuru (vallée du Rift) et Kitale à l’ouest, tout le pays est sous le charme de l’Afro-américain né à Hawaï d’un père kényan et d’une mère de l’Arkansas. « Nous avons vendu des dizaines et des dizaines de livres sur Obama dont son autobiographie « From promise to power » (De la promesse au pouvoir) malgré son prix onéreux », s’enthousiasme Cindy, 22 ans, libraire à Mombasa. Le portrait du politicien est partout : sur les porte-clefs, les pendentifs, les cartables d’écoliers, les appareils téléphoniques. « Les Chinois ont inondé le marché de produits dérivés », dit un marchand qui veut fourguer ses « Obama » aux rares touristes.

Fier de sa carrière

Eva, Grace et Robert discutent affaires au bar du Royal Castel Hotel au centre-ville. Mais dès que ces jeunes entrepreneurs entendent le nom de Barack Obama, ils élèvent la voix. « Je me moque de ce monsieur. C’est pas notre priorité actuellement. Le pays est comme un bateau ivre. » Robert corrige : « Je suis très fier de sa carrière. Il est important pour nous. Il nous redonne le moral. La preuve qu’un Kényan peut réussir ailleurs. Il battra Hillary Clinton à l’investiture démocrate. » Grace n’en doute pas : « Je suis très confiante. Le Kenya n’a jamais perdu l’épreuve de 3000 m steeple aux Jeux olympiques. La course d’endurance, c’est notre truc. » Et les trois d’éclater de rire avant qu’Eva ne casse l’ambiance. « Les Américains ne voteront jamais pour un président noir. » Le grand adversaire de « Billary », comme l’appellent les Kényans (allusion à la présence continuelle de Bill Clinton aux côtés d’Hillary), est aussi à la une des journaux nationaux : Daily Nation, Standard et Taifa Leo le grand quotidien swahili du pays, en ont fait leur vedette. Aziz, étudiant en commerce ironise : « On parle bientôt plus du sénateur de l’Illinois que de la crise qui secoue notre pays. »

Prétexte à massacre, alors que le pays des safaris offre à la démocratie américaine un brillant candidat noir, le Kenya vit les plus graves turbulences depuis son indépendance il y a 40 ans. Plus de 1000 morts et 350 000 déplacés. John : « C’est honteux pour nos politiciens. Quelle image nous montrons au monde au XXIe siècle, on utilise les prétextes ethniques pour se massacrer ! » Omar s’invite dans la discussion, son Obama en main. « Moi, je me moque de la politique. Ici, ils sont tous corrompus. Tout ce qui m’intéresse, si Obama est élu, il nous ouvrira les portes des USA. Nous voulons des visas. » Les cousins lointains du démocrate américain n’ont qu’une envie : fuir la misère. Jusqu’ici, la seule issue possible était d’épouser un ou une étrangère. Mais les jeunes Kényans connaissent-ils réellement les idées et le parcours de ce lointain cousin d’Amérique ? Magdalin : « Aucune idée ! » Hormis quelques intellectuels, la majorité pense qu’Obama est un people omniprésent dans les gazettes kényanes. Certains le confondent même avec un acteur d’Hollywood ou un chanteur de pop. « Nous ce qu’on veut c’est qu’il nous aide. Qu’il n’oublie pas ses origines », crie John. Au Florida Club, l’Obama des fêtards a un goût d’Amérique.

Sid Ahmed Hammouche et Patrick Vallélian pour El Watan

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