Wilfried N’Sondé livre « Le cœur des enfants léopards »


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Le cœur des enfants léopards ou la descente en enfer d’un jeune homme de la banlieue parisienne qui, abandonné par son premier amour, commet l’irréparable alors qu’il est ivre mort. Wilfried N’Sondé, l’auteur d’origine congolaise fait une remarquable entrée dans la littérature francophone et urbaine en particulier avec ce premier roman publié aux éditions Actes Sud.

Originaire du Congo-Brazzaville, Wilfried N’sondé, chanteur et compositeur de la scène berlinoise qui a grandi dans un quartier populaire de la banlieue parisienne, est un nouvel arrivant dans la littérature urbaine et francophone plus généralement. Le cœur des enfants léopards, roman au titre poétique et énigmatique, rapporte l’histoire d’un jeune amoureux abandonné par son premier amour connue à l’âge trois ans alors qu’il venait de débarquer en France. Désespéré, il noie son chagrin dans l’alcool. Et alors qu’il est ivre mort, il commet un acte malheureux et irréparable. L’auteur installé à Berlin, en Allemagne depuis une quinzaine d’années, jette à travers le portrait de son personnage, « un jeune de banlieue issu de », un regard sombre, désabusé mais convaincant sur les quartiers en difficultés, communément appelés « cités ». Ces quartiers où sont parqués les populations les plus pauvres, souvent immigrées et où les destins des jeunes sont voués à l’impasse par manque de perspectives d’avenir.

Afrik : Comment pourriez-vous définir votre roman ?

Wilfried N’sondé : C’est comme un slogan : un cri de rage et d’amour. J’ai essayé au travers d’une fiction de mettre un peu d’humanité sur l’actualité, de donner un visage, un cœur, des sentiments à une population, à savoir la population immigrée pauvre. J’ai donc essayé de parler des sentiments de ces gens à travers ce personnage qui est né au Congo et a grandi en banlieue parisienne et qui étudie à Paris, avec pour objectif de sortir de tout ce qui s’entend, ce qui se dit : « immigration », « intégration », des choses dont on ne sait plus ce que cela veut dire.

Afrik : Pourquoi avoir choisi ce titre poétique et énigmatique ?

Wilfried N’sondé : Je me suis créé une mythologie du Congo avec une espèce d’intimité entre les êtres humains et les léopards. Dans les histoires ou les contes, notamment ceux sur la chasse que me racontait mon père, il y avait toujours la présence du léopard, qu’on respecte et qu’on craint. Je me suis laissé dire qu’il y avait cette filiation entre les Kongos et les léopards. Aussi je me suis permis dans ma tête une traduction du mot Kongo qui veut dire « léopard ». Et en écrivant le roman, je me suis aperçu que les autres personnage qui ne sont pas du Congo sont aussi dans leur quête de vie, des enfants léopards dans le sens où ils ont cette férocité, cette rage mais aussi cette noblesse du cœur. Il faut rappeler que le livre est avant tout une introspection dans les sentiments, dans le cœur des gens vivants dans les quartiers pauvres même si j’aborde aussi les problèmes économiques et sociaux. Pour moi, les êtres humains sont avant tout des sentiments, ce qu’il y a dans le cœur est plus important que tout le reste.

Afrik : Le roman recouvre beaucoup d’évocations quasi-incantatrices à l’Afrique et son rapport aux ancêtres. Etait-ce une façon pour vous d’assouvir votre envie de connaître vos origines ?

Wilfried N’sondé : Je connais très bien mes origines parce que c’est moi. Je m’inscris un peu en faux contre cette idée qu’il y a d’un côté une Afrique ancestrale, une Afrique des traditions et de l’autre la modernité. Je pense que la spiritualité des Bantous et des Kongos en particulier, c’est quelque chose d’extrêmement moderne ; le culte des ancêtres, des rites, n’a rien à voir avec le passé. C’est notre modernité, notre vécu, notre spiritualité. Il faut la vivre ouvertement et fièrement. Ce n’est pas un retour en arrière parce que ce sont des choses que je n’ai jamais oubliées et qu’au fond presque tous les Bantous n’oublient pas. Je pense qu’il ne faut pas vivre forcément dans cette dualité. L’héritage de la spiritualité qu’on a, que beaucoup vivent au quotidien, il faut l’affirmer car c’est notre manière de penser. Les Bantous sont mystiques et après quoi ? Ce n’est pas un mal. La sagesse des défunts comme je le dis dans le livre est un ensemble de valeurs qui nous aident à faire les choses bien au quotidien.

Afrik : Quel rapport avez-vous avec le Congo ? Vous y retournez souvent ?

Wilfried N’sondé : Je n’y retourne pas parce que le voyage est cher. Je suis venu en France en 1973. Je fais partie d’une génération d’immigrés qui avait une mission en venant dans ce pays, celle d’apprendre des choses en Europe, de se former pour aider le pays après. Et donc, je ne voyais pas l’intérêt de retourner au pays les mains dans les poches, pour frimer, faire du tourisme, etc…Maintenant que j’ai écrit ce roman, je pense que je peux y retourner parce que j’ai quelque chose à partager. Mais ce n’est pas parce qu’on quitte le Congo, qu’on n’y vit plus, qu’on perd le lien. Et puis il y a cette idée reçue qu’il faut vivre en Afrique pour être Africain. Ce n’est pas en trente ans de vie en Europe pour quelqu’un comme moi qui vient de plusieurs générations de Kongos, qu’on cesse d’être du pays.

Afrik : On peut donc dire que vous avez une double culture, à la fois congolaise et française ?

Wilfried N’sondé : J’ai vécu dix ans en France et cela fait quinze ans que je vis en Allemagne. Je n’aime pas non plus l’idée de double culture. Je pense qu’en matière de culture, l’équation une culture plus une culture font deux n’est pas vraiment valable. C’est une culture plus une autre font un. Lorsque j’ai quitté le Congo et que je suis arrivé en France, je ne suis pas devenu un zèbre, moitié Congolais, moitié Français. On change mais on reste une unité et les gens autour de soi changent aussi. Malheureusement cela fait peur et je trouve cela dommage car quand on change on apprend de l’Autre, et vice versa. Donc je dirais que j’ai une culture mosaïque. En côtoyant des personnes d’origines et de cultures différentes, on s’entre-influence, on crée quelque chose de nouveau qui n’a plus rien à avoir avec ce qu’on pourrait penser être la culture congolaise, française ou allemande pure…

Afrik : Pensez-vous que ce soit cette « culture mosaïque » que vous revendiquez, qui fait la richesse et l’originalité de votre style comparé aux autres romanciers français ?

Wilfried N’sondé : Je ne saurais le dire car on ne peut pas être juge et parti, je ne peux pas m’auto-analyser. On me le dit souvent mais je pense que s’il y a moi, il y en a d’autres. Que ce soit dans les banlieues ou dans les grandes villes du monde où se retrouvent des gens de différents horizons, il se crée quelque chose de nouveau qui explose la culture. Mais il n’y a pas encore des mots pour définir ce qui se passe.

Afrik : Le roman brosse le portrait d’une jeunesse perdue, déracinée et en manque de repères…En tant qu’artiste vous êtes-vous senti justement obligé d’évoquer cette question ?

Wilfried N’sondé : C’est le propre même de la jeunesse d’être en errance, de se chercher, savoir qui on est, d’où l’on vient, etc… Finalement, le narrateur, tout ce qui lui arrive, le chagrin causé par la fin de son premier grand amour et la catastrophe de la fin, tout cela fait qu’au final, il sent qu’il peut enfin vivre. Il se débarrasse des questions qui le torturaient car il a compris beaucoup de choses. Il retrouve la parole des Ancêtres et la sagesse des défunts, il arrive enfin à surmonter le départ de ce premier amour. Avec toutes ces armes, il part enfin libre dans la vie. Ce livre peut ainsi être vu comme un parcours initiatique. Il n’y a pas de jeunesse perdue, elle se cherche, va de gauche à droite, doute, s’enthousiasme. Et cela concerne la jeunesse du monde entier, pas que celle des « banlieues ».

Afrik : Le texte est dur, violent mais poétique et lyrique en même temps. Il pourrait même être comparé à un slam. Etait-ce volontaire ou c’est venu naturellement ?

Wilfried N’sondé : Je connais très peu le slam. J’ai écrit beaucoup de poésie et des textes de chanson, cette écriture est vraiment naturelle. J’ai simplement pris une feuille, un stylo et j’ai écrit. Il n’y a pas eu de réflexion, c’est ma manière d’écrire.

Afrik : Dans votre roman vous abordez des thèmes comme la quête identitaire chez les jeunes « issus de » des quartiers pauvres, le racisme et les discriminations dont ils sont souvent victimes, qui sont inhérents à la littérature dite de banlieue. N’avez-vous pas peur d’être catalogué « écrivain de banlieue » ? Et que pensez-vous de ce terme ?

Wilfried N’sondé : La banlieue c’est quoi ? Neuilly par exemple est une ville de banlieue, si un habitant de Neuilly venait à écrire un livre, on dirait que c’est un écrivain de banlieue ? Quand on me dit « écrivains de banlieue », j’entends : « voilà quelqu’un qui vient d’un milieu pauvre et qui est issu de l’immigration ». C’est effectivement ce que je suis, un immigré d’Afrique noire, pauvre, vivant en Europe. Si c’est cela être un écrivain de banlieue, alors oui je le suis. Je pense qu’on emploi le terme de banlieue pour ne pas reconnaître, pour masquer la réalité des choses. Et cette réalité, c’est la pauvreté, le brassage des populations venue des quatre coins du monde qui amène des changements qui font peur car on veut encore croire que les êtres humains, les identités et la culture sont des choses figées alors que depuis toujours les êtres humains bougent, se mélangent et créent des choses nouvelles.

Afrik : Vous vivez donc en Allemagne depuis une quinzaine d’années, ce qui signifie que vous avez dû faire appel à votre mémoire pour traiter ces thèmes qui sont d’actualité aujourd’hui. Êtes-vous étonné de voir que les choses n’ont pas évolué ?

Wilfried N’sondé : J’habite dans un quartier de Berlin où il y a 45% d’étrangers, les questions sont les mêmes. Si vous allez dans certains quartiers de New-York ou de Kinshasa, les mêmes problèmes se posent. La pauvreté et la frustration qu’elle engendre, on ne la retrouve pas que dans les banlieues françaises et pas que maintenant. J’ai pris le cadre de la banlieue parisienne comme j’aurais pu le faire avec la banlieue berlinoise. J’aurais pu imaginer une histoire qui se passe dans un faubourg de Bamako ou dans un quartier de Shanghai. Le problème de la question de savoir comment les populations d’horizons différents vont vivre, ce n’est pas seulement un problème typiquement français.

Afrik : Quel regard portez-vous sur les « banlieues » françaises depuis que vous êtes à Berlin ?

Wilfried N’sondé : Je n’ai pas de regard sur la banlieue parce que la banlieue n’existe pas. Je trouve que la rencontre entre les différentes populations immigrées en France ne se passe pas aussi mal qu’on voudrait le faire croire ; les choses se passent beaucoup mieux qu’on le dit dans la presse ou dans le milieu politique. Je trouve triste qu’au lieu de parler de ce qui se passe bien, on ne parle que de ce qui se passe mal. Souvent, lorsqu’on parle de la banlieue, c’est quand des jeunes garçons disant entre 13 et 25 ans font des bêtises. Mais les gens qui habitent dans ces quartiers, les pères et en particulier les femmes, les mères, les jeunes filles, on ne leur demande rien. C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu écrire ce roman pour montrer que certes il y a de la violence et de la peur, mais au quotidien, il y a aussi de l’amour, des rêves, des gens qui vivent. Par exemple, on ne parle jamais de la fraternité qui existe entre ces jeunes aux origines multiples, par contre si l’un d’eux va voler un scooter, ça fait la une des médias. Je trouve cela dangereux car cela stigmatise et crée des tensions là où il n’y en a pas.

Afrik : Vous n’avez pas eu trop de difficulté à vous faire éditer pour ce premier roman ?

Wilfried N’sondé : Ce roman a pu être publié grâce à un concours d’heureuses circonstances. Lorsque j’ai terminé mes nouvelles, une de mes amies allemande, les a lues, et les a montrées à son père, un célèbre auteur écrivant beaucoup sur Haïti qui, à son tour, les a fait parvenir à Bernard Maillet, directeur de la section Afrique d’Actes Sud, une de ses connaissances. Ce dernier a été emballé mais m’a conseillé pour une première publication, de sortir plutôt un roman. Je me suis alors mis à écrire ce roman que je lui ai ensuite envoyé. Il m’a répondu favorablement quelques mois après.

Afrik : Comment à votre avis pourrait-on expliquer le succès de ces écrivains dits de banlieue ?

Wilfried N’sondé : Je citerai peut-être une phrase extraite du poème d’Aragon Prologue et qui dit : « La souffrance enfante les songes comme une ruche ses abeilles. L’homme crie où son fer le ronge et sa plaie engendre un soleil plus beau que les anciens mensonges ». Je pense que ce qu’on appelle les jeunes de banlieue, ce sont des gens pauvres issus de l’immigration qui se retrouvent très tôt confrontés à des problèmes. La pauvreté est une sensation de douleur et le fait d’être différent vous empêche malheureusement d’avoir une vie tranquille, c’est-à-dire aller à l’école, apprendre un métier, se marier…Dès que tu sors de chez toi, tu as des problèmes, que ce soit au niveau de la recherche d’emploi ou d’un logement. On est donc amené très tôt à réfléchir, notamment sur le monde, et je pense que c’est ça comme dit Aragon, « La souffrance enfante les songes ». On souffre donc on se met à réfléchir, à créer…comme l’ont fait les Noirs américains avec le Blues, le Jazz et le Gospel.

Commander le livre Le cœur des enfants léopards, Wilfried N’sondé, Actes Sud, 2007

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