Lutte contre l’immigration : Sarkozy rappelé à l’ordre


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Nicolas Sarkozy vient de subir plusieurs revers quant à la légalité de sa politique de lutte contre l’immigration. Le ministre français de l’Intérieur a été rappelé à l’ordre sur la pratique des « convocations pièges » et sur l’interprétation que son ministère fait d’un vide juridique né de l’application de la nouvelle loi sur l’immigration. Mais le candidat à la présidentielle n’a pas dit son dernier mot.

« L’administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger (…) qui sollicite l’examen de sa situation administrative, nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation ». C’est ce que la Cour de cassation a signifié dans un arrêt du 6 février dernier qui vient d’être rendu public. Elle a jugé cette « pratique déloyale », contraire à l’article 5 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté et à la sûreté.

La plus haute instance judiciaire française se prononçait sur la légalité de la « convocation piège » d’un ressortissant algérien, le 27 décembre 2004, à la préfecture de Seine-Saint-Denis. Le sans-papiers s’était présenté « sur convocation, à la demande de son avocat qui sollicitait un réexamen de sa situation administrative », pour être interpellé et placé en rétention administrative à la demande du préfet. Le juge des libertés avait annulé la décision deux jours plus tard, soutenu dans un jugement rendu le 31 décembre par le président de la cour d’appel de Paris. Persévérant, le préfet a formé le pourvoi en cassation qui vient de lui être défavorable.

La pratique des « convocations pièges » est pourtant « très courante », selon Alexandre Le Clève, coordinateur DER (Défense des étrangers reconduits) à la Cimade Paris (Service œcuménique d’entraide). Une circulaire des ministères de l’Intérieur et de la Justice du 21 février 2006, sur « les conditions de l’interpellation et la garde a vue d’un étranger en situation irrégulière », l’a même banalisée.

Opposition Conseil d’Etat/Cour de cassation

Dès mars 2006, le Syndicat de la magistrature et le collectif « Uni-e-s contre une immigration jetable » a saisi le Conseil d’Etat sur la légalité des pratiques préconisées par le document. Le 7 février dernier, au lendemain de la décision de la Cour de cassation, l’autorité administrative a estimé que si la convocation ne contenait ni « termes trompeurs » ni « indication mensongère », elle n’était pas « déloyale » et ne violait pas l’article 5 de la convention européenne.

Mais elle s’est exprimée sur le volet administratif et non juridique de la pratique. La décision de la Cour de cassation revient même sur une jurisprudence du 12 novembre 1997 qui admettait la légalité de ce type de convocations, pourvue que leur motif ne soit pas ambigu et que l’examen de situation de l’étranger soit réel.

En matière de conditions d’interpellations, c’est le juge des libertés qui est compétent. Mais si les autorités exploitaient toutes les failles juridiques, elles pourraient répéter la pratique des « convocations pièges ». Car celles-ci « concernent souvent les Arrêts de reconduite de réadmission (Dublin 2) », une procédure qui veut qu’un étranger doit faire sa demande d’asile dans le premier pays Schengen à partir duquel il est entré en Europe, explique Alexandre Le Clève. « Or, le recours contre un arrêt de réadmission n’est pas suspensif et le sans-papiers peut être reconduit à n’importe quel moment, avant d’avoir pu voir le juge des libertés. Il peut même arriver que la convocation piège soit lancée et que l’avion soit déjà prêt… », explique l’employé de la Cimade.

Une circulaire hors la loi

Le 15 février dernier, encore appelé à se prononcer sur une circulaire ayant trait à la politique de lutte contre l’immigration, le Conseil d’Etat a cette fois renvoyé le ministère de l’Intérieur à ses chères études. La loi du 24 juillet 2006 sur l’immigration et l’intégration (Ceseda, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) est entrée en vigueur le 29 décembre dernier. Pour plus de rapidité dans l’exécution des reconduites à la frontière, elle a mis en place l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), une nouvelle mesure d’éloignement des étrangers en situation irrégulière qui regroupe l’invitation à quitter le territoire français (IQTF) et l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière notifié par voie postale (APRF postal), explique le Gisti.

Or, dans le passage de l’une à l’autre, les autorités ont laissé nombre d’étrangers en situation irrégulière dans un vide juridique qu’une circulaire publiée le 22 décembre a voulu corriger. Le 15 février dernier, saisi par le Gisti, la LDH et l’ADDE, le Conseil d’Etat a jugé qu’« en l’absence de dispositions transitoires prévues (…) par la loi et le décret en Conseil d’État pris pour son application », la circulaire ne pouvait légalement organiser la période transitoire. Depuis, de nombreux sans-papiers détenus dans des centres de rétentions ont eu gain de cause devant les tribunaux administratifs. Mais le ministère de l’Intérieur a déjà pris acte de son erreur et conçu une nouvelle circulaire, en début de semaine, pour que la situation des étrangers concernés par le vide juridique soit réexaminée.

Le fichage des amis des étrangers

Nicolas Sarkozy devra également revoir sa copie sur le dossier Eloi. Eloi, pour « éloignement », est un fichier qui a été créé le 30 juillet 2006 par un arrêté du ministère de l’Intérieur. Il vise à répertorier avec photos les sans-papiers et leur famille, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi les personnes qui les hébergent et leur rendent visite. Le 6 février dernier, la commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat a plaidé pour son annulation. Non pas pour les manquements à la liberté que les associations qui ont saisi le Conseil d’Etat ont pointé, mais parce qu’il renferme des données biométriques (photos numériques) et aurait dû faire l’objet d’un décret.

En attendant la décision du Conseil d’Etat, Nicolas Sarkozy peut préparer sa nouvelle copie. Seuls quelques changements seraient prévus, notamment la conservation pendant trois mois, et non plus trois ans, des données concernant les proches des sans-papiers.

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