Yassine Ayari : action imminente


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Yassine Ayari, blogueur connu pour son opposition frontale à la censure du temps de Ben Ali est l’un des instigateurs de la marche « sayyeb salah » du 22 mai 2010. Il tente un nouveau coup en exposant face à l’opinion publique les familles des martyrs toujours en quête de réparation et de vérité.

Les manifestations KASBA 1, KASBA2, EL MASIR, KASBA 3 et bien d’autres marches avaient pointé les lenteurs d’investigation de la police. L’idée de Yassine Ayari est simple mais ingénieuse : devant l’impossibilité de faire un sit-in à la KASBA quadrillée de partout avec des scènes de violences toujours imputées aux organisateurs quand ils se font déborder par des intrus, il a trouvé le moyen idéal d’infiltrer la place sans se faire saboter. Il déclare au ministère de l’intérieur un rassemblement fermé au public qui comptera uniquement les familles des victimes en plus de l’organisateur. Le sit-in commencera à l’esplanade de la KASBA le 25 juillet (fête de la république) et s’achèvera 4 jours plus tard. Et c’est là ou réside toute l’astuce du stratagème. Si au dernier jour du sit-in les revendications ne sont pas satisfaites, Yassine projette d’ouvrir son sit-in au public alors qu’il est déjà à la kasba avec des personnes hautement symboliques. Situation embarrassante pour le gouvernement qui sera mis face à des personnes qu’il ne pourra pas qualifier de délinquantes, et visibilité maximum.

Un projet pour clore ce dossier qui traine

Les revendications de ce sit-in annoncé se résument en 5 points. Tout un programme qui va clore selon lui une bonne fois pour toutes ce dossier qui traine, mais un programme qui pourrait préparer à une sorte de consensus. Yassine Ayari fait la distinction entre deux sortes de « tireurs », les meurtriers qui ont tiré à 400/500 mètres à l’aveuglette, et les autres qui ont tiré pour se défendre ou pour protéger un site ou des armes sont présentes en application stricte des règles en vigueur. Il prévient que les coupables pourraient probablement s’en sortir avec une peine symbolique si ce n’est le non lieu, en se référant à la loi qui régit la répression des manifestations. C’est-à-dire la loi de 1969 qui permet l’usage des armes contre les manifestants, et qui couvre de ce fait les agents impliqués s’il est établi qu’ils ont suivi la procédure. Si les procès ont lieu, ils se feront à la lumière de cette loi et en considérant que Ben Ali, était au moment des faits une autorité légitime. Il propose donc de faire pression pour obtenir de l’état qu’il 1/s’excuse, 2/reconnaisse les orphelins comme pupilles de la nation et qu’il reconnaisse les martyrs en leur attribuant des rues et une place dans les livres d’histoire, 3/ qu’il indemnise toutes les familles des martyrs et blessés et 4/ qu’il s’engage légalement et pratiquement à ce que ça ne répète plus. Le 5ème point est plus indistinct ; les familles de victimes choisiront si elles veulent se pourvoir en justice ou obtenir une réparation supplémentaire si elles pensent que les éléments en leur possession ne suffisent pas à inculper la partie adverse. En cela, yassine propose de s’appuyer sur les enquêtes réalisées par la commission d’investigation sur les bavures policières.

Si on rajoutait aux arguments de Yassine Ayari l’absence de volonté politique et l’état encore perfectible de la justice, son discours est audible, et son incitative pourrait être dans certains cas un moyen sur d’obtenir la reconnaissance et l’indemnisation. Mais ce choix proposé entre la réparation supplémentaire et le procès, suppose l’existence d’une espèce d’arrangement avec le gouvernement actuel dont on ne connait pas encore le degré d’implication, et zapper le pourvoi en justice risque d’enterrer tout espoir de connaitre les coupables et les donneurs d’ordre peut être encore en fonction. Maitre Mouhamed Abbou interrogé en sa qualité d’avocat, confirme que la loi de 1969 si elle est invoquée par les accusés risque de justifier légalement l’utilisation des armes face aux manifestants, mais il indique que cette loi ne suffit pas à la disculpation de tous les accusés. Si l’accusé ne prouve pas les mesures prises face aux manifestants ou le danger couru, il risque la perpétuité ou la peine de mort puisqu’il s’agit de meurtre. Pour Taoufik Bouderbala dans une interview précédemment donnée à afrik, l’ordre reçu de tirer ne couvre pas l’agent, et l’application de la loi 69, s’il n’y a pas de légitime défense. Cela ne justifie pas qu’on tire pour toucher des organes vitaux. Voilà qui reprend la distinction que fait Yassine Ayari entre ceux qui ont tiré, mais qui ne dédouane pas le recours aux armes pèle mêle. A charge au tireur de prouver le respect des procédures et la nature de la situation vécue, sinon la qualification c’est le meurtre. La justice devrait jouer son rôle avec ces points d’appui, par des procès équitables qui permettront au moins de mettre la lumière sur les événements sanglants, mais dans la visibilité actuelle, l’issue des procès reste incertaine et rien ne garantit que justice sera faite pour tous les cas.

Yassine Ayari interpellé par afrik rejette toute interprétation de son projet comme un consensus négocié avec le pouvoir, l’indemnisation dit-il n’est pas un marchandage destiné à faire renoncer les familles à des procès. Il rappelle que le 3ème point de son projet prévoit déjà une indemnisation générale, pour que l’argent ne soit pas un argument de pression. Les familles auront après cette première indemnisation collective le choix. Et si elles décident une action en justice, il les soutiendra. Le choix donné lors du 5eme point entre le pourvoi en justice et une réparation, concerne une réparation supplémentaire ; le non recours à la justice ne signifie pas une absolution des torts, mais que le tireur quelque soit son cas est coupable, et que par conséquent la famille de victime est en droit de s’attendre à une réparation financière à hauteur du préjudice, une compensation qui existe d’ailleurs dans les textes religieux.

Il risque encore une fois de s’attirer une foule de détracteurs, mais il s’en fiche, il croit en cette idée et dit penser uniquement aux familles des victimes qui ont été laissés de coté, en finalisant une solution pragmatique, réaliste et efficace. Il avait au préalable fait le tour des régions pour rencontrer les familles de martyrs qui ont donné leur accord pour participer à l’évènement selon les principes qu’il a fixé, d’où une certaine assise pour avancer dans son projet.

Yassine Ayari est un habitué des coups médiatiques. La semaine dernière, il s’est carrément payé le luxe de casser un mythe qui a été lourd de conséquences sur l’image de l’armée en Tunisie et dans les révolutions arabes ; l’armée qui dit non au dictateur en difficulté avec la rue. Il a révélé être à l’origine de la légende qui veut que le General Ammar ait dit non à Ben Ali. Il explique son « bobard » comme un geste désespéré le 7 janvier en réaction à une info qui donne une intervention imminente de l’armée. Il dit avoir appelé alors NAWAT.org, un site d’information non contrôlé par le régime, pour lui dire que l’intervention imminente avait été annulée grâce à un héros, le général Ammar qui a refusé d’obéir à Carthage. Yassine Ayari fils de colonel (tué au combat le 18 mai 2011) et source fiable pour beaucoup de blogueurs a été donc été jugé crédible par NAWAT qui a ensuite transmis l’information aux médias étrangers. La suite est connue, le général Ammar est un héros de révolution et critiquer aujourd’hui l’armée est presque blasphématoire.

Vers une kasba 4 ?

Rebondissement. Ce jeune homme n’a pas fini de faire parler de lui, ce matin il recevait par écrit le refus du ministère de l’intérieur. Il ne pourra donc pas faire son sit-in à la kasba. Il organise dans la foulée une conférence de presse dans laquelle il explique que devant le refus obstiné du ministère de l’intérieur malgré toutes les garanties qu’il a donné, il a décidé de passer outre l’accord du ministère et de se rendre sans les familles de martyrs à la kasba, le 25, seul, dans un sit-in ouvert à tous ceux qui se reconnaissent dans son projet. Prenant la mesure des conséquences possibles de sa décision, il a fait le choix de ne pas impliquer dans ce sit-in improvisé les familles de victimes, pour ne pas les exposer aux réactions des forces de l’ordre qui ne reconnaissent pas la démarche.
Affaire à suivre, car elle pourrait avoir de multiples évolutions selon les humeurs officielles et la réaction de la rue ; le ministère de l’intérieur aurait déjà indiqué à yassine, dans une tentative d’empêcher la tenue de la conférence de presse, que son initiative allait être reprise par le chef de l’état dans son discours du 25 juillet, proposition qu’il a rejeté. Mais alors pourquoi avoir refusé ? Pourquoi cette schizophrénie ? Que faut-il retenir ? Ce refus pourrait aussi bien servir cette initiative lorsque ses détracteurs, partisans de jugements de tous ceux qui ont tiré, se sentiront concernés et lésés par l’attitude désinvolte du ministère…

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