Yamina Haouachi, l’Algérie antique et éternelle dans les veines


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mon père

L’artiste Yamina Haouachi a grandi à Marseille, mais elle porte son Algérie natale dans les veines. Du 8 au 30 mars 2019, le Centre Culturel Algérien met à l’honneur ses oeuvres, fruit de plus de vingt années de travail dans les techniques les plus diverses : mosaïque, peinture à l’huile, aquarelle et gravure. Un hommage public enfin rendu à cette artiste discrète et passionnée, qui renoue par l’art avec la terre de ses ancêtres.

Tout a commencé par les tapis berbères… Il y a vingt-cinq ans, Yamina, qui est née dans les Aurès dans une famille qui avait des terres et des moutons, décide de retrouver les gestes des femmes de son pays natal : dans son appartement, elle installe un grand métier à tisser et se met à tisser des tapis de laine aux motifs berbères. La passion de la couleur et de la création est déjà là, qui s’épanouira plus tard en peinture…

« A onze ans je suis retournée en Algérie, et là-bas toutes les femmes de ma famille tissent. Une de mes tantes m’a assise à côté d’elle, et m’a montré les gestes… » raconte l’artiste au contact chaleureux et au regard pétillant. Mais ce retour aux origines, Yamina l’avait déjà initié alors que, étudiante d’une vingtaine d’années, diplômée en géologie de l’Université d’Aix-Marseille par passion de la Nature, elle avait décidé de poursuivre ses études… en étudiant l’arabe.

Elle était alors partie en Egypte, où l’Université d’Aix offrait un programme intensif d’apprentissage de l’arabe. Le programme durait deux ans, mais Yamina restera au Caire… dix ans, heureuse dans cet Orient retrouvé, et elle en reviendra totalement bilingue. En Egypte, elle qui est de culture musulmane, se lie d’amitié avec le père Georges Anawati (1905-1994), prêtre dominicain qui a consacré sa vie à étudier l’islam pour promouvoir le dialogue islamo-chrétien, car témoin des tensions et guerres que cette question génère dans la région.

« J’allais souvent lui rendre visite dans son couvent au Caire. Il me parlait parfois des trois années qu’il avait passées à Alger : c’est là qu’il avait obtenu sa licence d’arabe », raconte Yamina. A Marseille dans son adolescence, les prêtres-ouvriers étaient très présents auprès des jeunes, dans le quartier métissé de La Rose où l’artiste a grandi, et Yamina s’était ainsi liée avec le père Michel Brune, prêtre-ouvrier de l’ordre des Oblats Marie Immaculée, qui était chauffeur-livreur à Marseille, et qui est devenu un ami au fil des ans, que l’artiste revoyait lors de tous ses retours à Marseille.

Yamina HaouachiAprès les tapis, Yamina cette passionnée de géologie et de pierres décide de se mettre à la mosaïque : en taillant patiemment en petites tesselles, le marbre, le granite ou le basalte, elle retrouve les gestes des artisans qui ont créé les superbes mosaïques de Tipasa ou de Cherchel, à l’époque où l’Algérie était romaine… Entre-temps la guerre civile a ravagé l’Algérie, qui opposait les islamistes et les musulmans modérés, si bien que les premières oeuvres que Yamina crée, sont… une série de croix, dont certaines portent en arabe l’inscription « Il n’y a de dieu que Dieu », profession de foi musulmane jouxtant la croix chrétienne, cependant que d’autres figurent un personnage tenant le chandelier juif à 7 branches.

Comme un rappel des siècles pendant desquels l’Algérie fut multi-confessionnelle, pour cet enfant d’émigrés algériens qui vit aujourd’hui en France, qu’elle qualifie de « terre multi-confessionnelle ». Et sa première croix en mosaïque, elle l’offrira au père Michel Brune, pour l’Eglise de la Rose dont elle fréquentait le patronage enfant, comme d’autres enfants du quartier, de toutes confessions…

Les oeuvres en mosaïque, qui portent toutes les nuances d’ivoire, de gris, mais aussi, étonnamment, de verts, de bleus, de jaunes ou de rouges, donnent bientôt lieu à des oeuvres plus  colorées tels que portraits et fleurs, pour culminer en une spectaculaire « Vénus noire », de grand format, fruit de deux années de travail, hommage à la terre-mère d’Afrique…

Yamina, passionnée d’histoire de l’art, et dont la bibliothèque personnelle compte des volumes précieux parfois épuisés, chinés dans les librairies spécialisées, se met ensuite à explorer d’autres techniques, comme l’aquarelle, la peinture à l’huile et la gravure, allant jusqu’à installer une presse à graver dans son atelier… « Pour exprimer les sensations fortes que m’offre la Nature, j’avais besoin de plus de couleurs, de nuances et d’intensité », explique l’artiste, dont le passe-temps favori sont les grandes balades dans la Nature. Notamment dans le pays de Lure, en Provence, où elle a une maison dans le petit village de Cruis, près de Forcalquier. Car l’artiste, à la fois Algérienne et Française, se revendique Méditerranéenne aussi, manière de concilier ces deux identités que l’Histoire opposa, au temps douloureux de ses parents…

Cette passion pour la Nature, d’où lui vient-elle ? Emue, Yamina raconte : « Mon père était un paysan et un berger, mais il était poète quand, petite fille, il me parlait des collines des Aurès, de la terre et de ses moutons. Il me parlait aussi de son cheval : il avait un beau cheval, qu’il adorait… Il avait tout laissé en Algérie… Et moi petite fille à Marseille, le jeudi j’aimais partir gambader dans les collines alentour, il y avait encore des champs cultivés, et il me semblait vivre les mêmes impressions… ».

Ce père disparu, qui a transmis à sa fille l’amour de la Nature et de la contemplation, Yamina l’a immortalisé en peinture pour l’éternité, avec son visage calme, où effleure comme un souffle de tristesse…

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