Une malédiction plane sur le nouveau Président français


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Qu’ils étaient beaux les drapeaux ivoiriens, sénégalais, maliens, algériens, marocains qui flottaient à la Bastille: c’était, eût-on cru, l’Afrique qui venait d’élire son président. N’en déplaise à Eric Zemmour et aux indignés de droite, nous autres Africains étions particulièrement heureux de voir ainsi coloniser les cieux français avec des symboles africains.

Le truc c’est que d’un président à l’autre, elle est toujours déçue cette Afrique qui s’invite à la table des réjouissances, sans y apporter du vin, en manière d’indépendance, mais prête à danser, parce qu’il est toujours bon de fêter quand on souffre, en manière d’inconséquence.

Il y a cinq ans, l’Afrique avait été plutôt présente dans la campagne entre Ségolène et Nicolas. Dans un discours tenu au soir de son élection, il avait promis de bien belles choses. Cette fois, de la campagne jusqu’à son élection, le président élu s’est bien gardé de multiplier les effets d’annonce, mais ceux que l’on a suivis avaient, avant lui, déjà été dits.

Il est peu probable de toute manière qu’un président normal incarne la rupture. La normalité entre la France et l’Afrique étant encore la sujétion et l’aspiration sans retour des ressources et des talents du continent. La politique africaine de la France est depuis le temps une dette d’Etat et non pas une dette de l’un des nombreux « régimes » à s’être succédés à Paris, qu’ils soient de gauche ou de droite. Dès lors, l’espoir sonne comme un éternel recommencement.

Qui en effet est François Hollande, qui sinon un Français ?

Un Corrézien à l’Elysée

Le film de son ascension, ça n’est pas tout à fait Un indien dans la ville, mais ça y ressemble. Tout sera nouveau pour lui ; et même ce qu’il avait appris de l’Elysée auprès de son illustre homonyme avait dû être oublié, tellement cette expérience commençait à dater et eût été bien invisible dans un CV.

Côté cour, François Hollande n’a jamais assisté à un Conseil des ministres, il va en présider plusieurs, tous d’importance capitale. Espérons qu’il ne sera pas frappé par la malédiction de ceux qui avant lui ont gagné leur toute première élection présidentielle (Pompidou, D’Estaing et Sarkozy) qui ont tous fait « un petit mandat et puis s’en va ». Hollande a en tout cas une sorte de virginité, pleine de promesses. Mais la virginité, ça n’est pas parce qu’on la perd à quarante ans que l’on fera le meilleur usage qui soit de sa sexualité.

Côté cœur, une journaliste succède à une chanteuse comme première dame de France. Une femme ni pacsée ni mariée à l’Elysée et un président qui s’apprête à légaliser le mariage homosexuel : on est bluffé par cet american dream version française qui rend possibles tous les rêves, réalisables les trajectoires les plus improbables… Rien n’est donné, tout se construit, pourrait-on conclure pour emprunter à une formule philosophique.

« Sarkozy rentre au quartier »

Abdoulaye Wade lui-même n’avait pas perdu au premier tour, Giscard d’Estaing non plus, « personne » n’a appelé à voter pour Sarkozy dans l’entre-deux tours, l’énergie du désespoir qu’il a nommé du beau nom de « combativité » n’a fait que rendre plutôt « respectable » sa défaite, qui reste historique.

En Afrique, ce n’est pas la victoire de François Hollande que l’on fête, mais la défaite du lecteur (et coauteur) du discours de Dakar. « Sarkozy rentre au quartier », dit-on aujourd’hui en Afrique pour traduire sa déchéance. Evidemment ici, on n’explique jamais rien par les causes finales, les raisons immédiates, les principes visibles. François Hollande a gagné certes, il reste que, dans l’imagerie générale, ce n’est pas du fait de la majorité d’électeurs qu’il a acquis à sa noble cause pour la France, mais plutôt du fait d’une vengeance outre-tombe de Kadhafi.

Mais après lui avoir rendu la monnaie de sa pièce, il se murmure que Kadhafi continuera de le hanter au travers d’affaires sinon nées éventuelles, concernant ses relations plus ou moins troubles avec l’argent et les milieux d’argent (le vice de DSK était les femmes, celui de Sarkozy serait-il l’argent ?). Mediapart, « officine » aux ordres sans doute de l’ex-dictateur libyen a fait la preuve d’une promesse de financement (donc de discussions préalables : l’intention vaut le fait) et le poursuit déjà pour « dénonciation calomnieuse » ; Cécilia dont-il avait célébré le mariage avec l’animateur Jacques Martin, à Neuilly-sur-Seine, avant de s’octroyer le privilège magistral de la lui piquer par la suite (officieusement puis officiellement), l’a lâché dès 2007 (l’arroseur arrosé) ; Carla elle-même survivra-t-elle à la déchéance de cet homme qu’elle n’a jamais connue que comme président de la République… ?

Une retraite tout en procès ?

Jacques Chirac, qui avait demandé à voter pour son frère du village (Hollande), et Dominique de Villepin, tous traînés dans la boue dans des procès où l’Elysée n’a pas manifesté la moindre empathie, tiendront-ils leur revanche ? Après l’échouage, les lâchages suivront et comme de juste les révélations (Karachi, Bettencourt, etc.): affaires à suivre… ! S’il est blanchi de toutes les présomptions qui tendent à s’accumuler contre lui, il comptera dans l’histoire comme un grand président français. Autrement, cette parenthèse de sang libyen qu’aura été son règne se révèlera un cauchemar dont la France prendra des années encore à s’expliquer les tenants et les aboutissants.

Qu’elles furent longues et difficiles, ces dernières semaines : le Conseil National de Transition était bien loin, trop impuissant ; Paul Biya n’a pas pu envoyer des « observateurs internationaux », et pour cause, tous étaient occupés à courtiser le camp socialiste (à travers notamment les réseaux de Stéphane Fouks, communicant de Paul Biya) ; le président Alassane Ouattara aurait bien aimé lui renvoyer l’ascenseur, mais Nicolas Sarkozy n’a pas daigné exiger le moindre recomptage des voix, il n’a même pas attendu que soient dépouillés les suffrages des Français de l’étranger. Comment la Cedeao aurait-elle pu dans ces conditions organiser l’enlèvement de François Hollande et le bombardement de son QG de campagne ?

« Les blancs sont décidément faits pour être des dieux »

C’est-à-dire que la sorcellerie prend en France des formes magnifiques, la sorcellerie, c’est un raccourci qui explique et recouvre l’image que le sens commun se fait ici du prodige et de la perfection. La science des sondages laisse bouche bée l’opinion publique africaine. Les bureaux ne sont pas encore fermés que déjà des marabouts annoncent, avec une marge d’erreur guère plus importante que celle des médecins diagnosticiens les plus doués, qui est le prochain président de la France.

Pas moyen de traficoter les chiffres, pas moyen de pratiquer le dilatoire, et tout cela sans qu’aucune commission électorale indépendante ne soit créée… La France va-t-elle revoir son code électoral après que les infractions de France 2 ont semé la division au soir du premier tour ? Au reste leur code électoral traite-t-il seulement de l’élection présidentielle ?! D’où vient-il que des fonctionnaires hiérarchiquement soumis à un ministre de Sarkozy aient toute liberté de gérer ce processus ?

Sarkozy qui s’est battu comme un beau diable a été bien prompt à reconnaître la victoire de son rival socialiste. Hollande lui-même a été bien imprudent de ne rien contester de tout cela. Comme si en France, les hommes intègres valaient autant que des lois bien faites, comme si l’argent, les réseaux, les puissances extérieures se mettent toujours du côté de ceux que le peuple a choisis. Pourquoi nous a-t-on fait croire que c’est l’argent qui expliquait tout, que des réseaux émergeaient les meilleurs ? Le rêve français n’est-il pas un rêve africain ? Et notre rêve à nous autres Africains, est-ce un Français qui va avec sa baguette magique le faire devenir une réalité ?

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