Un projet mondial en cours pour préserver la biodiversité de l’igname


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Drapeau du Bénin
Drapeau du Bénin

La collection mondiale d’igname au Nigeria, véritable bouée de sauvetage de la diversité africaine de l’igname, dans le cadre d’une initiative visant à conserver les collections de cultures essentielles appuyée par le Fonds mondial pour la diversité des cultures.

BÉNIN (16 septembre 2010) — Les agriculteurs et les spécialistes des collections du monde entier ont lancé un nouvel effort ambitieux visant à ajouter quelque 3 000 spécimens d’ignames aux banques de gènes internationales, dans le but de préserver la diversité d’une culture consommée chaque jour par 60 millions de personnes dans la seule Afrique, selon une déclaration publiée aujourd’hui par le Fonds mondial pour la diversité des cultures (Global Crop Diversity Trust).

Dans presque tous les pays de la ceinture de l’igname en Afrique, un grand nombre de variétés d’ignames potentiellement importantes ne sont maintenues que dans les champs, où elles risquent d’être dévastées par des parasites ou des maladies, ainsi que par des évènements plus habituels, comme des incendies ou des inondations. C’est ainsi qu’un vaste incendie a récemment détruit une collection d’ignames au Togo. Des conflits civils sont également à l’origine de destructions de collections.

Les variétés d’ignames collectionnées dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale dans le cadre de ce projet sont envoyées à l’Institut international d’agriculture tropicale (IIAT) à Ibadan, au Nigeria, où des échantillons de leur tissu sont ensuite congelées à des températures ultra basses dans de l’azote liquide. Cette technique, connue sous le nom de cryoconservation, est la technique de stockage à long terme la plus sure existant actuellement. La majorité des cultures mondiales peuvent être conservées pendant de longues périodes en séchant les graines et en les stockant dans des conditions froides et sèches. Mais un nombre significatif de cultures, dont l’igname, ne peuvent être stockées aussi facilement, et doivent de ce fait être conservées comme matériau végétal dans des cultures de tissus.

Les agriculteurs de la ceinture de l’igname d’Afrique de l’Ouest, qui comprend le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Togo, produisent plus de 90 % des ignames cultivés dans le monde. Ce projet comportera néanmoins des variétés d’igname récoltées aux Philippines, au Vietnam, au Costa Rica, dans les Caraïbes et dans plusieurs pays du Pacifique. Il s’agit du premier effort mondial de conservation des variétés et cultivars d’igname. Il est financé avec le soutien de la Fondation des Nations unies et de la Fondation Bill et Melinda Gates.

« Cette possibilité de protéger une diversité incroyable de variétés d’igname nous permet de nous assurer que cette diversité propre à l’igname sera conservée et disponible pour les générations futures », a déclaré Alexandre Dansi, un spécialiste de l’igname à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin.

Pour le Bénin, qui se trouve en plein centre de la ceinture de l’igname, cette plante fait partie intégrante de la culture et de la vie des communautés. On voit souvent ses grandes tubercules pouvant peser jusqu’à 70 kilos sur les marchés situés au bord des routes. Dansi a travaillé avec des producteurs pour cataloguer environ 250 types d’igname distincts et plus de 1 000 variétés connues et continuent à documenter des variétés supplémentaires avec la collaboration des agriculteurs. Ces derniers font état de la disparition de nombreuses variétés traditionnelles dans leurs zones de production, par suite d’une forte sensibilité aux organismes nuisibles et aux maladies, de la pauvreté ou de l’humidité des sols, des mauvaises herbes et des sécheresses, qui rendent leurs récoltes d’ignames moins productives ou plus chères à cultiver que d’autres cultures comme le manioc.

Dans le cadre des travaux de Dansi, le Bénin a déjà envoyé 847 échantillons d’igname à l’IITA, où les tubercules sont cultivées en champs et des coupes pratiquées pour être conservées en laboratoire dans le cadre d’un programme international de collection qui regroupe déjà près de 3 200 échantillons d’igname originaire d’Afrique de l’Ouest.

Des milliers d’années de culture ont donné naissance à une grande diversité de variétés d’igname dans les champs des agriculteurs, notamment en Afrique de l’Ouest. Dans certaines régions africaines, principalement au Bénin et au Nigeria, l’igname est encore domestiquée à partir de tubercules sauvages trouvées en forêt. Cette culture demeure très populaire chez les consommateurs, et les vendeurs en tirent un prix élevé sur les marchés urbains. Mais l’igname fait cependant l’objet de recherches insuffisantes, malgré son potentiel à sortir les agriculteurs de la pauvreté dans l’une des régions les plus pauvres au monde. Si l’on veut améliorer le sort de ses agriculteurs, il est donc impératif d’utiliser ces collections qui sont en train de se construire et d’identifier des caractéristiques importantes telles que la résistance aux maladies ou l’augmentation des rendements.

« Cela revient vraiment à mettre de l’argent en banque », a expliqué Cary Fowler, directrice générale du Fonds. « Toutes les cultures sont régulièrement sous la menace d’organismes nuisibles, de maladies ou de conditions climatiques changeantes, et la capacité d’un pays à cultiver de nouvelles variétés pour parer ces difficultés est directement lié à ce qu’il a en banque, non seulement en termes de moyens financiers, mais aussi de diversité des cultures. »

Ce projet sur l’igname s’inscrit dans le cadre d’un programme plus général concernant les principales cultures mondiales, dans lequel le Fonds mondial pour la diversité des cultures aide des partenaires dans 68 pays, dont 38 dans la seule région Afrique, à sauver et régénérer plus de 80 000 espèces de cultures en danger et à envoyer des clones dans les banques internationales de génomes et au Svalbard Global Seed Vault dans le Cercle arctique.

Pour l’igname, reproduite par la méthode de multiplication végétative, l’IITA offre la seule forme de conservation à long terme. Conserver cette culture nécessite d’extraire les tissus en laboratoire et de les congeler dans de l’azote liquide. Mais cette technique exige une recherche poussée et une équipe de techniciens spécialement formés. Or, la plupart des pays africains ne peuvent accorder une telle attention à leurs différentes variétés d’igname.

A l’IITA, l’ADN des spécimens provenant du monde entier est également analysé pour mieux comprendre la diversité génétique contenue dans les différentes récoltes. Mais il ne s’agit en rien d’un exercice purement académique. Il aide les gestionnaires de ces banques génétiques à ne pas devoir conserver trop de copies du même matériau. Il facilite également la recherche de gènes de valeur susceptibles de fournir les caractéristiques nécessaires pour répondre aux maladies ou aux changements climatiques.

« Ce projet est fascinant parce qu’il implique les techniques à la fois les plus traditionnelles et les plus avancées de conservation des cultures. Nous aimerions mettre en œuvre les meilleurs outils scientifiques pour assurer des siècles de culture de l’igname », a déclaré Dominique Dumet, directeur du GRC, le centre de ressources génétiques (Genetic Resources Center) à l’IITA.

L’IITA constitue également un lieu de stabilité et de sécurité pour les collections d’igname qui doivent parfois subir un stress inhabituel. Ainsi, la Côte d’Ivoire enverra 5050 échantillons d’igname à l’IITA pour permettre la conservation d’une collection qui, après les troubles civils de 2002, avait dû être transférée de Bouaké (dans le nord du pays) à Abidjan.

« Nous reconstituons notre collection, mais certaines variétés ont été perdues », a expliqué Amani Kouakou, scientifique au Centre national de recherche agronomique de Côte d’Ivoire. « Nous sommes heureux de pouvoir partager ce matériau avec l’IITA et de découvrir de nouveaux matériaux que nous n’avions jamais encore cultivés dans ce pays. »

Au Bénin, ce projet donne à Dansi l’occasion de travailler avec les agriculteurs pour tester et caractériser les matériaux, échanger des variétés et des techniques entre différentes régions de culture de l’igname du pays, et améliorer les granges de stockage communautaires pour conserver ces tubercules dans de bonnes conditions jusqu’à la prochaine saison de plantation.

« La sécurité dont nous disposons aujourd’hui est rassurante et nous permet de nous attacher à d’autres choses, comme le travail avec les agriculteurs pour améliorer les rendements », a-t-il ajouté. « Et de plus, nous pouvons désormais demander à l’IITA des variétés d’igname intéressantes provenant d’autres régions du monde que nous ne connaissions pas encore au Bénin. »

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La mission du Fonds mondial pour la diversité des récoltes (Global Crop Diversity Trust) consiste à assurer la conservation et la disponibilité de la diversité des cultures pour assurer la sécurité alimentaire dans le monde. Bien que cette diversité des cultures soit fondamentale pour lutter contre la faim et pour assurer l’avenir-même de l’agriculture, le financement n’est pas constant et la diversité se perd. Le Fonds est la seule organisation à travailler au niveau mondial pour résoudre ce problème, et a déjà collecté plus de 140 millions de dollars E.U. Pour de plus amples informations, veuillez consulter le site web www.croptrust.org.

A propos de l’IITA L’Afrique connaît des problèmes complexes qui affectent très gravement l’agriculture et la vie des habitants. Avec nos partenaires, nous développons des solutions agricoles pour lutter contre la faim et la pauvreté. Notre recherche pour le développement (R4D), récompensée à plusieurs reprises par des prix, est fondée sur une réflexion ciblée, qui fait autorité, ancrée sur les besoins de développement de l’Afrique subsaharienne. Nous travaillons avec nos partenaires en Afrique et au-delà pour réduire les risques pour les producteurs et les consommateurs, améliorer la qualité et le rendement des cultures, et créer de la richesse à partir de l’agriculture. L’IITA est une organisation internationale à but non lucratif fondée sur la recherche pour le développement fondée en 1967, dirigée par un Conseil d’administration et soutenue essentiellement par le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, le CGIAR.

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