Un dialogue historique entre des scientifiques, des agriculteurs, des décideurs politiques et d’autres acteurs clés du développement ouvre une nouvelle voie vers la fin de la famine et de la pauvreté


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Famine, Afrique
Famine en Afrique

L’incapacité à accorder à l’agriculture et au développement rural la même priorité qu’à d’autres secteurs tels que la santé et l’éducation a privé de nombreux pays des capacités nécessaires pour répondre à l’objectif du millénaire pour le développement : réduire la faim et la pauvreté. Ces pays ne sont en outre pas préparés pour affronter le rapide changement climatique et l’explosion démographique prévue d’ici 2050, ont déclaré des experts à la fin de la première Conférence Mondiale sur la recherche agricole pour le développement (Global Conference on Agricultural Research for Development – GCARD).

Les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud – les deux régions regroupant environ 95 pour cent de la population la plus pauvre et la plus mal nourrie dans le monde – ont été identifiés comme des « champs de bataille » pour lutter contre la faim et la pauvreté. L’aide publique au développement (APD) pour l’agriculture a considérablement chuté, passant de 17 % en 1979, pendant l’apogée de la Révolution verte, à 3,5 % en 2004. Elle a également diminué en termes absolus : de 8 milliards de dollars US en 1984, elle est passée à 3,5 milliards de dollars US en 2005.

« Aujourd’hui, des millions de personnes dans le monde vivent dans la misère et la détresse. Nous sommes collectivement et individuellement responsables de cette tragédie, » a déclaré le Dr Monty Jones, lauréat du World Food Prize 2004 et nouvellement nommé à la tête du Forum mondial de la recherche agricole (Global Forum on Agricultural Research – GFAR), lors d’un discours de clôture particulièrement émouvant. « J’ai personnellement honte. »

Jones a reconnu que la recherche agricole avait été extrêmement fructueuse. « Nous pouvons en être très fiers, » a-t-il déclaré. « Mais nous aurions dû faire beaucoup plus. Je suis toutefois convaincu que nous avons initié le processus permettant de mettre en place ici, à la GCARD, les structures, les activités et les programmes qui nous permettront d’éradiquer la pauvreté dans ce monde. »

La conférence GCARD a réuni plus de 1 000 chercheurs, décideurs politiques, agriculteurs, donateurs et membres de la société civile provenant de chaque région du monde pour développer une nouvelle architecture de recherche agricole pour le développement (RAD) tournée vers la réduction de la faim et de la pauvreté. C’était la première fois qu’autant d’acteurs clés, du producteur au donateur, se réunissaient pour élaborer un plan d’action pour la RAD.

« La conférence a permis à toutes les parties de disposer d’une voix et ces voix seront entendues pour tracer l’avenir de la recherche agricole et nous aider à affronter les problèmes que sont devant nous, » a déclaré Adel El-Beltagy, président sortant du Forum mondial de la recherche agricole.
La « Feuille de route de Montpellier » a été présentée à la fin de la conférence pour fournir un cadre permettant à la science et l’innovation de vraiment répondre aux besoins des agriculteurs et des pauvres dans le monde rural.

La place des femmes dans l’agriculture, les partenariats et le développement des capacités des programmes nationaux et régionaux sont les thèmes transversaux majeurs abordés lors de la conférence. Les femmes représentent 80 % de la production agricole en Afrique alors qu’elles ne bénéficient que de cinq % de la formation pour le développement agricole et de dix % du crédit rural. Les femmes ne représentent qu’un quart des agronomes en Afrique et elles n’occupent que quatorze % des postes de direction dans la recherche et le développement.

« Investir dans la l’accroissement du nombre de femmes n’est pas négociable, » a déclaré Mary Njenga, chercheur kenyan. « Cela doit être inclus dans tous les programmes. » Les participants ont souligné la nécessité de déterminer les moyens de donner plus de pouvoir aux chercheuses et agricultrices afin de peser sur la politique et les processus de décision qui les concernent.

Les organisations de la société civile ont plaider pour jouer un ’un rôle fort dans le processus. « Ceux qui produisent la nourriture doivent être au centre et partie intégrante de la gouvernance de la recherche agricole aux niveaux international, régional et national, » a déclaré le Dr Assetou Kanoute, au nom de l’association pour le développement des activités de production et de formation (Association for Development of Production and Training Activities), du Mali. « Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’impliquer de façon sélective les agriculteurs et les ONG dans les discussions sur les programmes thématiques en les excluant totalement de la gouvernance de la recherche agricole. »
« Le GCRAI (Groupe consultatif de la recherche agricole internationale) est venu à la GCARD pour écouter nos « parties prenantes » afin de recueillir des suggestions de tous ceux qui sont concernés par ce que devrait être nos priorités, » a dit le Dr Carlos Peréz del Castillo. « Trois jours de discussions constructives ont apporté les réponses à nos attentes. Nous repartons avec de nouvelles idées qui nous permettront de faire évoluer le cadre de stratégie et de résultats ainsi que les méga programmes.”

Un projet de cadre de stratégie et de résultats (Strategy and Results Framework – SRF) a été présenté lors de la GCARD pour permettre une plus grande contribution des « parties prenantes » dans huit domaines de recherche thématiques. Le SRF tient lieu de cadre pour développer d’un agenda de recherche résolument tourné vers les résultats et qui aborde les grands défis internationaux. Ces discussions et informations alimenteront la version finale de la stratégie et permettront l’élaboration d’une première liste de méga programmes répondant à certains de ces domaines thématiques. Il est envisagé que trois des méga programmes soient rapidement constitués pour être prêts à fonctionner avant la fin de 2010.

Les thématiques clés de recherche proposées incluaient : les systèmes agricoles pour les populations pauvres et vulnérables ; garantir des revenus agricoles pour les pauvres ; l’optimisation de la productivité des cultures d’importance mondiale pour la sécurité alimentaire ; nutrition et santé ; eau, sols et écosystèmes; forêts et arbres ; changement climatique, agriculture et biodiversité agricole.
En réponse aux domaines thématiques proposés du GCRAI, les participants ont souligné le besoin de préciser davantage les systèmes d’élevage et d’agriculture dans le programme pour les plus vulnérables. Il a également été demandé au GCRAI d’élargir au-delà des produits de base que sont le riz, le maïs et le blé, le spectre des cultures concernées et de définir un programme sur les systèmes agricoles allant du niveau régional au niveau mondial et non du niveau mondial au niveau régional.
« Il est indispensable de centrer beaucoup plus la recherche sur les agriculteurs pauvres et les groupes vulnérables dans les différentes régions agricoles du monde, » a déclaré Peréz del Castillo. « Les partenariats joueront un rôle déterminant pour obtenir des effets réels sur le terrain en termes de réduction de la pauvreté et de durabilité environnementale. »

Les participants à la conférence ont validé les axes suivants pour construire un système efficace de RAD. Ils constituent les éléments de référence à partir desquels devront être et évalués lors de la prochaine GCARD en 2012 les progrès à réaliser d’ici là.

1. Adopter une approche tournée vers la résolution de problèmes pour établir les priorités en mettant l’accent sur la sélectivité, avec les organisations régionales et régionales pour cibles ;

2. Mettre l’accent sur les technologies éprouvées ou relevant d’une question de recherche et/ou leurs résultats pour répondre aux contraintes des agriculteurs dans l’adoption d’une technologie ;

3. Aborder les contraintes à partir des consultations régionales, par exemple, développement des ressources humaines, incitations pour les chercheurs, responsabilité et efficacité des partenariats multiples.

4. Faciliter la création rapide d’innovations en soutenant la diffusion des connaissances et des technologies auprès des petits producteurs et la fourniture de services à destination des pauvres ;

5. Promouvoir l’utilisation efficace des capacités collectives, notamment les réseaux, en renforçant les relations clés entre les acteurs de la recherche, du développement (extension, fournisseurs de semences, secteur bancaire) et agricoles ;

6. Investir davantage et de manière plus volontariste dans les ressources humaines, institutionnelles et financières ;

7. Promouvoir des liens opérationnels coordonnés entre les donateurs et les partenaires du développement, pour des effets pouvant être suivis en terme de développement ;

8. Accroître la responsabilité mutuelle et identique chez les parties prenantes ;
9. S’engager à agir ;

10. Suivre, évaluer et rendre compte de façon crédible de ce qui a changé.

Les parties prenantes impliquées dans ce système de RAD sont les suivantes :

Décideurs politiques des pays en développement et développés ;

Toutes les parties prenantes engagées et/ou soutenant au niveau local, national, sub-régional, régional et international les systèmes d’information et de connaissance dans la recherche agricole, y compris le GCRAI, et les institutions de recherche avancée, de formation et de développement ;

Donateurs, fondations, agences intergouvernementales, y compris les institutions bilatérales et multilatérales et les banques de développement ;

Secteur privé, y compris les petites, moyennes et grandes sociétés de services à l’agriculture,, les banques agricoles, les assureurs et le secteur agroalimentaire ;

Organisations agricoles et OSC/ONG à tous les niveaux ;

Représentants des pauvres et des femmes ;

Défenseurs de l’environnement.
« La différence entre cette conférence et les précédentes, c’est que nous sommes impliqués dans, et responsables de cette feuille de route et cela va guider nos activités pour l’année à venir, » a déclaré Jones.
« Je sens que la GCARD a permis de faire émerger de nouvelles idées sur la façon d’avancer, » a déclaré Uma Lele, ancienne conseillère auprès de la Banque Mondiale et auteur principal du rapport mondial diffusé à la GCARD, Transforming Agricultural Research for Development (Transformer la recherche agricole pour le développement). « Mais la preuve viendra de ce que nous ferons entre aujourd’hui et la prochaine GCARD. Nous avons besoin que les donateurs apportent les contributions dont je les sais capables. »
Selon le rapport, pour combler le sous investissement accumulé, il faudra porter les investissements pour la recherche agricole dans les pays en développement à 1,5 % du PIB agricole, ce qui signifie plus que doubler, voire, tripler le niveau actuel des investissements dans les capacités scientifiques et institutionnelles.

« Nous devons agir, agir, agir et éradiquer, et non soulager, la pauvreté, » a-t-elle déclaré.

Les conférences GCARD, organisées au travers du Forum mondial de la recherche (GFAR), seront organisées tous les deux ans. La GCARD remplacera la conférence triennale du GFAR et les assemblées générales annuelles du Groupe consultatif de la recherche agricole internationale. Agropolis International et le GCRAI se sont associés au GFAR pour organiser la GCARD 2010.

Le Forum mondial de la recherche agricole (GFAR) a été créé en 1998 pour regrouper toutes les parties agissant pour modeler et déterminer l’avenir de l’agriculture. Le GFAR mobilise exceptionnellement les partenaires scientifiques et sociaux pour réformer et renforcer les systèmes de recherche et de développement dans le monde, afin d’accroître leur impact en terme de développement. Les secteurs représentés dans le GFAR incluent des agences des NU, le GCRAI, des systèmes de développement et de recherche agricole nationaux et régionaux, des agences de financement du développement et des organisations représentant les agriculteurs ainsi que le secteur privé et la société.

Le GCRAI est une alliance stratégique de recherche agricole consacrée au développement et à l’application des meilleures connaissances possibles pour stimuler la croissance de l’agriculture, accroître les revenus des agriculteurs et protéger l’environnement. Il soutient 15 centres de recherches dans le monde réalisant des travaux révolutionnaires pour alimenter le futur.

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