Tyson, la star emblématique de la lutte sénégalaise


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La lutte sénégalaise avec « frappe » a connu en 1995 l’un de ses plus illustres et charismatiques combattant : Mohamed Ndao plus connu sous le pseudonyme de Tyson. Ce colosse a régné sans partage dans la discipline des lutteurs lourds et supers lourds de 1995 à 2002. Il est revenu à la charge en 2004 et attend un nouveau défi pour 2005. Interview exceptionnelle avec une terreur des arènes et un homme d’affaires accompli.

Par Badara Diouf

Tyson.jpgChef de file de l’écurie Bull Falé et star incontesté de la lutte sénégalaise, Tyson a révolutionné ce sport traditionnel. Athlète à la force herculéenne et tombeur des plus grands lutteurs (Tapha Gueye, Mor Fadam, pour ne citer qu’eux…), le « mbeurkatt » est toujours aussi dévastateur et craint par ses pairs. Point sur la carrière de ce monument national de la lutte traditionnelle.

Afrik.com : Quand avez-vous débuté la lutte ?

Tyson :
J’ai toujours eu des prédispositions pour le sport. Je me suis essayé pendant l’année blanche de 1988 (années sans cours, ndlr) au basket et à la boxe. Ce n’est qu’en 1992 que je me suis mis à la lutte. Et c’est en 1995 que j’ai été révélé au grand public en gagnant un grand combat dans la catégorie des supers lourds.

Afrik.com : Vous êtes une véritable force de la nature. Est-ce un avantage dans la lutte ?

Tyson :
En effet, cela aide beaucoup (rires). Je mesure 1m98 pour un poids qui varie entre 130 à 135 kg. Dans le cas de la lutte avec frappe, pratiquée exclusivement au Sénégal, mon physique est un avantage certain.

Afrik.com : Pourquoi avoir opté pour le pseudo Tyson ?

Tyson :
J’ai fait de la boxe dans les années 90 et à cette époque Mike Tyson était le plus jeune champion du monde de boxe dans la catégorie des lourds. Je me suis identifié à lui et j’ai décidé d’adopter ce surnom par la suite.

Afrik.com : Le nom de l’écurie de lutteurs Bull Falé, dont vous êtes le chef de file et l’un des précurseurs, revient dans toute les bouches. Comment expliquez-vous ce succès ?

Tyson :
L’écurie de Bull Falé, basée à Pikine (banlieue de Dakar) et dont je fais partie, est née sous l’impulsion d’un groupe d’amis amoureux du sport. Nous avions l’habitude de nous entraîner à la plage. Par la suite, nous avons créé notre propre structure organisationnelle qui était différente des autres écuries existantes. Au départ, personne ne nous prenait au sérieux, mais à ma première victoire, le regard et l’opinion des gens ont changé à notre égard. Plus moderne et très professionnel, notre mouvement Bull Falé a séduit le public. Nos sorties dans les arènes sont toujours spectaculaires, comme les shows à l’américaine. Mais la notion de Bull Falé, que nous avons lancé, reste pour beaucoup une philosophie, le phénomène social du self made man. Nous n’avions rien et à force de travail et grâce à Dieu nous avons réussi à sortir de l’ombre pour atteindre des sommets.

Afrik.com : Votre palmarès est édifiant. De 1995 à 2004, vous avez disputé 12 combats et remporté 11 victoires. Qu’est-ce-qui vous différencie des autres lutteurs ?

Tyson :
Le travail et la discipline paient. Mais j’ai surtout la chance d’avoir été formé à la lutte par des karatékas qui m’ont enseigné le sens de la sérénité dans les affrontements et un regard constant sur mon adversaire. J’ai appris le sens de l’attaque dans mes débuts de lutteur amateur avant d’être professionnel. J’ai acquis beaucoup d’expériences lors des différents combats organisés dans les Mbappattes (paris sur les lutteurs dans les combats libres où les gains peuvent être de l’argent ou des biens alimentaires, ndlr). Ces divers disciplines sportives m’ont donné mon style actuel, ce qui peut faire la différence avec les autres lutteurs.

Afrik.com : Evoquons un sujet sensible, le 25 décembre 2002 à la suite de votre défaite face à Bombardier, vous n’avez pas livré de combat durant toute l’année 2003. Pourquoi ?

Tyson :
J’avais décidé de prendre une année sabbatique.

Afrik.com : L’arbitrage dans le sport est toujours discutable, notamment dans votre défaite face à Bombardier. Comment réagissez-vous par rapport à cela ?

Tyson :
Nous avons affaire à des hommes et les erreurs peuvent exister. Pour ce qui est de mon combat avec Bombardier, je l’ai perdu et j’accepte la décision de l’arbitre. Pour ma part, je suis peu concerné par les soucis d’arbitrage, car la totalité de mes combats je les ai gagnés de manière claire et nette. Et s’il y a des améliorations à faire dans le domaine de l’arbitrage je laisse le soin à la fédération de lutte de prendre les bonnes décisions dans ce sens.

Afrik.com : On dit de vous que vous êtes un véritable sportif homme d’affaires, qui empoche des cachets de plus de 50 millions de Fcfa, voire plus, pour accepter de rentrer dans l’arène ?

Tyson :
(Rires) Je ne m’en cache pas. Je suis un sportif et j’apporte au public du spectacle en créant l’événement à chacune de mes sorties pour livrer de grands combats. Les promoteurs, les sponsors et les spectateurs demandent des lutteurs de qualité et cela nécessite un prix à payer.

Afrik.com : Négociez-vous vous-même vos salaires et comment gérez-vous votre carrière?

Tyson :
J’ai la chance d’avoir fait des études en allant jusqu’au bac. Donc, je suis assez averti en matière de business. Pour ce qui est de la négociation de mes salaires je dirais que tout un chacun connaît sa valeur marchande (rires). En revanche, j’ai la chance d’avoir de bons conseillers. Tout ce staff est un comité de gestion et d’appui qui a été créé spécialement pour mon image et ma carrière sportive.

Afrik.com : Quel effet cela vous fait d’être adulé par la jeunesse ?

Tyson :
Je dirais louanges à Dieu, car c’est toujours assez plaisant d’être aimé et admiré. Cela m’encourage davantage à rester un exemple, aujourd’hui et demain. C’est pourquoi je surveille mon hygiène de vie. Je ne bois pas, je ne fume pas et j’évite les excès de toutes sortes.

Afrik.com : Comment se fait votre préparation physique avant chaque combat ?

Tyson :
Mes méthodes d’entraînement peuvent différer, parfois je m’entraîne au Sénégal avec mon préparateur physique, mais j’ai eu à aller m’entraîner à l’étranger, comme en 1997 où je me suis rendu en Espagne. Sinon je vais à Miami aux Etats-Unis. Disons que je privilégie les endroits où je peux courir sur la plage, car c’est une tradition de lutteur.

Afrik.com : Yékini, le nouveau lutteur dans la catégorie super poids lourd, fait actuellement figure de numéro 1 dans l’arène. Comment le considérez-vous ?

Tyson :
C’est un lutteur parmi d’autre et je devrais l’affronter prochainement, en juillet ou en octobre. Mais, encore une fois, je laisse les promoteurs et les sponsors faire leurs offres, nous sommes en fait en pleins pourparlers pour la faisabilité de ce combat entre Yékini et moi.

Afrik.com : Quel regard portez-vous sur le dopage ?

Tyson :
Je ne me dope pas et je déconseille à toute personne de se doper. Comme tout le monde le sait, la pratique est néfaste. Le problème, c’est que les contrôles n’existent pas à l’heure actuelle et que les sportifs sénégalais, dans le cadre de la lutte, n’ont pas la liste des produits permis et interdits. Le comité national de la gestion des luttes (CNG) ne dispose pas des techniques compétentes pour des vérifications de dopage. Donc, les rumeurs de dopage dans le milieu circulent.

Afrik.com : La lutte a des soucis de réglage quant aux problèmes de catégories entre combattants, des différences de 10 à 20 kg existent souvent. Que fait le CNG pour répondre à cette inégalité ?

Tyson :
C’est regrettable pour la catégorie des petits et moyens lutteurs, mais pour ce qui est de la catégorie des super lourds, la difficulté est levée. Cette catégorie, dont je fais partie avec deux autres lutteurs (Bombardier et Yékini), ne permet que le combat des personnes de plus de 120 kg.

Afrik.com : La lutte est le sport national au Sénégal, mais elle ne dispose toujours pas d’infrastructures propres et les combats sont livrés dans les stades de foot dont elle est tributaire. Est-ce normal ?

Tyson :
Evidemment que ce n’est pas normal ! Notre sport a pris de court tout le monde depuis ces dix dernières années. Comme on dit : « gérer c’est prévoir ». Ici, ça n’a pas été le cas. J’espère de tout cœur que les autorités vont donner à ce sport toute la dimension qu’il mérite en lui offrant les moyens de mieux se développer et de s’organiser.

Afrik.com : La lutte professionnelle s’est modernisée et le plus fort dans l’arène est sensé l’emporter sur son adversaire. Cependant, les rites mystiques demeurent toujours très présents.

Tyson :
En dehors de l’aspect sportif, il ne faut perdre de vue l’idée que c’est un sport avant tout traditionnel, donc le folklore y joue une part importante. Mais j’ajouterais aussi que c’est le côté rites mystiques qui donne à la lutte sa touche pimentée (rires). Le sport est pratiqué par des hommes modernes, mais la tradition doit demeurer.

Afrik.com : Le gala de lutte, qui s’est déroulé le 14 mai 2005, regroupait les ténors de la discipline. Pourquoi étiez-vous absent de l’arène ?

Tyson :
Luc Nicolaï, le promoteur de cet événement, ne m’a pas convié, mais j’étais disponible à combattre. Comme on dit, ‘à chacun son tour chez le coiffeur’. Pour ma part, j’attends tout simplement que l’on me fasse des propositions intéressantes de combat.

Afrik.com : Je vous laisse le mot de la fin…

Tyson :
Avant tout, je remercie mes fans et supporters à travers le Sénégal, la France, l’Italie, l’Espagne et les Etats-Unis. Je vous fais part d’une information liée à ce sport. Nous avons un projet d’exportation de la lutte sénégalaise en France à Bercy (Palais Omnisports où se produisent des événements sportifs de grande envergure, ndlr). Projet qui devrait voir le jour prochainement si tout se passe bien.

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