Tunisie : quelle Europe « des valeurs » ?


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La posture morale de l’Union européenne dans son voisinage méditerranéen prend un sérieux coup. Le renversement par un soulèvement populaire d’un président corrompu et autoritaire soutenu pendant des années par les dirigeants européens a permis de mettre à jour l’Europe « éthique ». L’Europe « des valeurs » est nue…

Pour ceux qui croient en la liberté et la démocratie, la révolution tunisienne a été une nouvelle réconfortante. Comment a-t-elle été reçue à Bruxelles ? Personne ne peut le dire. Tout à coup, le régime de Ben Ali, l ‘«exemple pour la région », le « partenaire important et fiable de l’Europe » – pour citer Stephan Füle, le commissaire tchèque de l’élargissement et la politique de voisinage – était remis en question.

Le lamentable bilan de la « conditionnalité »

Le bloc doit faire face au fait que jusqu’à la révolution, ses politiques en Tunisie n’avaient que peu été la « force du bien » (force for good) comme aiment tant à le claironner les bureaucrates. Au contraire, comme les militants tunisiens des droits de l’homme l’ont souvent dit, elles avaient, au mieux, contribué à maintenir le statu quo. La décision de Bruxelles l’année dernière de poursuivre des discussions sur le « statut avancé » ont même encouragé le régime à réprimer davantage la dissidence. Les contacts directs entre les ONG locales et les institutions européennes ont été interdits. L’attitude de « business as usual » des dirigeants européens à l’égard de l’homme que la plupart des Tunisiens appelaient un « dictateur » a mis au jour l’hypocrisie de la rhétorique des droits de l’homme de l’UE et de sa sacro-sainte « conditionnalité ».

L’aide au développement et les accords commerciaux dépendent théoriquement de la réalisation de « conditions politiques et économiques ». Mais à quoi bon? Des études ont montré que la conditionnalité n’avait aucune pertinence dans le cas de pays à forte tradition démocratique ou d’Etats autocratiques. Que ce soit en Tunisie ou en Egypte – ou d’ailleurs en Europe, la plupart des politiciens ont manifesté un intérêt de pure forme en la matière.

Une UE et une France anti-libérales

Si la réponse de l’UE « Lisbonne-isée » a été faible – une vague promesse de soutien pour des élections, le silence initial de Paris a été assourdissant. Durant plusieurs jours après le soulèvement populaire, l’exécutif français est resté muet, et ce de manière embarrassant. A l’Assemblée nationale, la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie a été invitée à rendre compte de l’incohérence de la politique étrangère du gouvernement en Afrique. Comment notre pays pouvait-il demander le respect de la démocratie en Côte-d’Ivoire tout en soutenant la dictature du président Ben Ali ? En effet, là est la question ! Et aussi la réponse au pourquoi du manque de cohérence de l’UE.

Quand il s’agit de relations UE-Afrique, la politique étrangère commune est le plus souvent « pilotée » par les anciennes puissances coloniales dans les « huis clos » bruxellois. Des administrations puissantes avec des contacts privilégiés avec les politiciens locaux assurent la continuité de leur rôle prédominant dans l’élaboration des politiques communes. Avec l’élargissement à 27 États membres, les mécanismes de prise de décision sont devenus trop complexes. Le fameux principe du « plus petit dénominateur commun » qui caractérise la prise de décision au niveau européen continue de rapetisser… Sur des sujets sensibles, la tension monte rapidement. Dans le cas de la Tunisie, les câbles diplomatiques des États-Unis dévoilés par Wikileaks ont révélé la profonde division entre les Etats membres. Alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni étaient en faveur d’une approche plus ferme, d’autres pays clés – la France – se sont montré réticents à critiquer le régime. Finalement, il n’y a eu aucune pression.

L’apaisement ne favorise pas la stabilité

Depuis le 11 septembre, le maintien de la stabilité politique dans la région a été le mot d’ordre de la politique de sécurité de l’Europe, quel que soit le coût pour la démocratisation. À la lumière des événements dramatiques récents, il est clair que sa politique de dialogue constructif – « soft » – avec des « autocrates modèles » a échoué. Il est urgent pour l’Union de repenser ses relations avec ses voisins du sud.

Pour la France ce ne sera pas chose facile. La racine du problème est profonde. Derrière le discours « de rigueur » sur la liberté et la fraternité, la classe politique française est restée très méfiante envers les libertés individuelles et profondément anti-libérale. La « Françafrique », un système mafieux de coopération économique et politique fondé sur des monopoles d’État, le dirigisme économique et l’étatisme, s’est nourrie de cette réalité. La promesse faite par Nicolas Sarkozy que notre pays serait du côté des peuples de l’Afrique n’a pas encore été remplie. En Septembre dernier, l’ambassadeur français au Sénégal a démissionné en signe de protestation.

L’Europe et la Tunisie sont liées par l’histoire et la géographie et ont besoin l’une de l’autre. Mais aujourd’hui, les Tunisiens peuvent se passer du brassage d’air « eurocrate » habituel telle que la déclaration du chef de la politique étrangère, Lady Ashton, affirmant la « solidarité de l’UE avec le peuple tunisien »… Pourquoi ne pas l’avoir donné lorsque les tunisiens avaient réellement besoin de cette solidarité ? Malheureusement, avec une Union protectionniste aux prises avec un déficit démocratique, une politique étrangère désunie, des guerres intestines « institutionnelles », la récession économique et une dette problématique, un changement de politique crédible est probablement illusoire.

Les Tunisiens ont maintenant la possibilité de s’approprier les réformes politiques et économiques de leur pays. Des temps difficiles les attendent, mais ils s’engagent sur la route cahoteuse de la démocratisation avec la tête haute. Nous, les peuples libres de l’Europe, pouvons être reconnaissants pour cette leçon de courage et de dignité.

Par Sophie Quintin-Adali

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