Tunisie : l’instance Vérité et Dignité a la rescousse des victimes de Ben Ali


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La Tunisie a inauguré lundi l’instance Vérité et Dignité censée indemniser les victimes de la politique de Zine el-Abidine Ben Ali. Cette instance fait toutefois polémique.

Plus de trois ans après la chute Zine el-Abidine Ben Ali, les autorités tunisiennes ont inauguré ce lundi, en présence du Président Moncef Marzouki et du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Navi Pillay, l’instance Vérité et Dignité. Elle est chargée de mettre en place un processus de justice transitionnelle pour indemniser les victimes du dictateur déchu.

L’archevêque sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, qui dirigeait la commission sud-africaine et dont s’inspire la Tunisie, a enregistré un message vidéo d’encouragement qui a été diffusé lundi lors de la cérémonie. A terme, l’instance Vérité et Dignité (IVD) doit permettre de dédommager les victimes de l’ère Ben Ali mais aussi sous Bourguiba, le père de l’indépendance est également concerné. Le travail qui attend cette instance est donc colossal. Le mandat de cette commission remonte en réalité à 1955, bien avant l’indépendance. En théorie, l’IVD pourrait donc inclure les crimes commis par la France à l’époque du protectorat. Toutefois, cette instance n’est pas un organe judiciaire et son rôle se limite à enregistrer des plaintes et d’enquêter pour indemniser les victimes et de permettre la tenue de procès.

« Amnistie » et « clémence »

L’IVD est toutefois dotée d’un réel pouvoir. Elle peut en effet forcer un individu à comparaître, peut saisir des biens et dispose d’un accès aux archives nationales comme ce fut le cas pour la Commission Vérité et Réconciliation établie en Afrique du Sud après l’Apartheid.

« Le principe, c’est que les responsables, les tortionnaires ou les hommes d’affaires corrompus, pourront faire une demande de repentance auprès du comité d’arbitrage. Et s’ils disent toute la vérité sur ce qu’ils ont fait, s’ils demandent pardon et si la victime accepte, alors ils auront une forme d’amnistie ou de clémence, c’est-à-dire que l’on révisera leur sentence à la baisse. Donc il y a cette idée que pour avoir la vérité, il faut peut-être renoncer à une forme de justice pénale », selon Kora Andrieu, officier des droits de l’homme pour les Nations unies à Tunis qui a accompagné tout ce processus de justice transitionnelle depuis deux ans.

Une « clémence » sans limites ?

Les Tunisiens remarquent toutefois que la « clémence » envers les caciques de l’ancien régime est de mise. La possibilité pour eux de se présenter aux différentes élections ou encore la récente libération après trois ans de prison d’Ali Seriati, ex-chef de la sécurité présidentielle sous Ben Ali font polémique dans le pays. De plus, la confiance dans l’indépendance de la justice, même après la révolution, est toujours faible. Et de fait, les juges sont les mêmes que ceux du régime Ben Ali. A ce jour, il n’y a toujours pas eu de vraie réforme du système judiciaire ni de la magistrature.

Quant aux quinze membres de cette nouvelle instance Vérité et Dignité, ils ne font pas l’unanimité à en croire la presse. Pourtant élus par l’Assemblée nationale constituante à la mi-mai, au terme d’une grande consultation, de nombreuses voix dénoncent la composition d’une équipe d’inconnus, de profils jugés inadaptés, ou pire ayant exercé des fonctions politiques sous Ben Ali. Parmi elles, l’opposante Radia Nasraoui. L’avocate est sceptique devant l’équipe qui compose la nouvelle instance : « Les membres de cette instance n’ont pas l’expérience requise en matière de droits humains. Et on aurait surtout souhaité qu’il y ait des gens qui imposent le respect. Là, il y a des membres qui sont totalement inconnus donc qui suscitent des questionnements quant à leur aptitude à accomplir la tâche qui leur incombe avec la neutralité et la rigueur exigées. Il y a eu des nominations complaisantes, c’est le problème ».

L’ampleur de la polémique est telle que certains membres envisagent de démissionner avant même d’avoir entamé les travaux de l’instance. Quant aux autres, ils ne disposent toujours pas de bureaux ni de budget pour lancer leur stratégie qu’ils devront mettre en place dans les six prochains mois. Leur mission durera quatre à cinq ans.

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