
Depuis plusieurs semaines, la ville tunisienne de Gabès, dans le Sud du pays, est en proie à une série d’intoxications mystérieuses liées à des émanations chimiques. Des dizaines d’habitants, dont de nombreux élèves, ont été hospitalisés après avoir respiré un air saturé de gaz irritants. Si les causes exactes de ces fuites ne sont pas encore scientifiquement établies, tous les regards se tournent vers le complexe industriel du Groupe chimique tunisien (GCT), implanté à quelques kilomètres du centre-ville.
Des malaises en série et une population à bout de souffle
Les premiers cas d’asphyxie ont été signalés début septembre dans plusieurs quartiers de Gabès, notamment autour du collège Cité Chatt Essalem, où des élèves ont perdu connaissance en pleine journée. Depuis, les hôpitaux enregistrent des dizaines d’admissions pour vertiges, toux, irritations oculaires et difficultés respiratoires.
Selon les associations locales, plus de 180 personnes auraient été touchées en un mois. Les symptômes évoquent une inhalation de gaz toxiques, sans qu’aucune expertise indépendante ne soit encore venue confirmer la nature exacte des composés impliqués.
Le spectre du Groupe chimique tunisien (CGT)
Les habitants de Gabès n’ont guère de doute sur l’origine du mal. Le complexe chimique de Ghannouch, géré par le GCT, transforme depuis des décennies le phosphate en acide phosphorique, un procédé réputé émettre de grandes quantités de dioxyde de soufre, d’ammoniac et de poussières chargées de métaux lourds.
L’entreprise, plusieurs fois épinglée pour pollution, nie toute responsabilité directe dans les récentes intoxications. Mais la population dénonce des installations vétustes, un manque d’entretien chronique et des fuites répétées.
« Nous vivons dans un nuage toxique permanent », déplore un enseignant de la ville, cité par le collectif Stop Pollution. « Les enfants suffoquent à l’école, les habitants se barricadent chez eux, et personne ne vient mesurer ce que nous respirons. »
Entre colère et silence des autorités
La réaction officielle reste timide. Si le ministère de l’Environnement a annoncé « une enquête technique » sur les émissions du complexe, aucun résultat n’a pour l’instant été rendu public. En parallèle, des manifestations rassemblant des centaines de citoyens exigent la fermeture du site ou sa relocalisation loin des zones habitées.
Les associations locales dénoncent également un défaut de transparence : aucun dispositif d’alerte sanitaire n’a été activé malgré la multiplication des cas, et les habitants affirment ne recevoir aucune consigne de précaution.
Au-delà de l’urgence sanitaire, la région de Gabès vit depuis des années sous la menace d’une pollution structurelle : sols contaminés par les rejets de phosphogypse, nappes phréatiques atteintes par les métaux lourds, et biodiversité marine appauvrie par les effluents rejetés dans le golfe. Si les fuites récentes confirment l’ampleur du problème, elles pourraient aussi révéler un effondrement du contrôle environnemental en Tunisie.