Tariq Ramadan : « Je refuse aussi d’être l’autre, le minoritaire »


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L’universitaire suisse d’origine égyptienne porte un regard confiant sur l’Islam et la société qui n’exclut pas selon lui la croyance et citoyenneté. L’islam du vivre ensemble, en phase avec sa société et son époque, souffre d’une représentation caricaturale engendrée par la peur. Seul remède: faire preuve de pédagogie tout en revendiquant un traitement égalitaire au sein d’une société plurielle.

Personnage controversé pour ses prises de position sur la place des musulmans en Europe, Tariq Ramadan est un libre penseur à la frontière de deux univers. Il fait dialoguer sans cesse Orient et Occident et n’hésite pas à prendre part au débat, au risque de déplaire et d’être perçu comme un fondamentaliste. La polémique de la burqa, l’affaire des minarets et le grand chantier de l’identité nationale en France sont l’occasion pour lui de rappeler que l’Islam et la société occidentale ne sont pas incompatibles.

Afrik.com : Comprenez-vous les réactions massives suscitées par la burqa ou encore l’affaire des minarets en France et en Suisse ?

Tariq Ramadan :
Bien sûr. Les citoyens ordinaires ont peur et il faut respecter ce sentiment. Ce n’est pas du racisme mais de l’incompréhension, de la crainte. Je recommande donc d’assumer la crainte de ses pairs, qui est légitime, mais surtout de résister à l’instrumentalisation par le pouvoir. C’est le jeu des partis populistes qui se servent de cette peur pour gagner les élections. Et même des partis frileux s’engouffrent dans ce discours. Cela traduit bien souvent une méconnaissance de la population et de l’électorat.

Afrik.com : En tant que défenseur du foulard islamique, quelle est votre position sur le port de la burqa ?

Tariq Ramadan :
Je ne défends pas ce voile-là et ma position est claire sur le sujet. Je pense qu’il ne s’agit pas d’une prescription islamique, mais nul ne peut nier que certains savants musulmans pensent le contraire. Il y a donc une divergence religieuse sur la question. On ne la résoudra pas en la niant ni même en imposant une loi. Ce n’est pas ainsi que vous ferez changer les choses. Les mentalités évoluent seulement par l’accompagnement et la pédagogie. En réalité, la burqa est un sujet marginal par rapport à tout ce qui passe dans les banlieues. Cela concerne à peine une centaine de femmes. C’est une distraction stratégique. On instrumentalise le sujet à des fins politiques. Et quand on n’a pas de vision politique, on construit sur la différence pour exacerber les peurs.

Afrik.com : Le grand débat sur l’identité nationale en France serait-il lui aussi une forme de « distraction stratégique » ?

Tariq Ramadan :
Je ne dirai pas cela. La notion d’identité est un vrai problème, d’ailleurs il n’est pas seulement français. C’est une préoccupation européenne, africaine… A l’heure de la globalisation, il est logique qu’on observe un mouvement de réaffirmation de l’identité. C’est aussi l’occasion de poser le débat du pluralisme au sein d’une société ou alors d’instrumentaliser la peur. La crise identitaire comme toutes les crises se gère ou s’utilise.

Afrik.com : Est-il possible aujourd’hui d’être musulman en France ?

Tariq Ramadan :
Absolument. Cela ne fait pas de doute. Les musulmans pratiquent librement leur culte en France. C’est le pouvoir qui veut rendre difficile ce qui est déjà naturel.

Afrik.com : N’est-ce pas une vision un peu lisse de la situation ?

Tariq Ramadan :
Je n’ai pas dit que le naturel se faisait dans le luxe. On a commencé à prier par exemple dans des caves et avec le temps les conditions seront meilleures. En tout cas, ce type de difficultés-là n’empêche pas la pratique de l’Islam en France. Parfois, il est bon de questionner la question.

Afrik.com : La place de l’islam dans la société française n’est-elle pas liée à la question d’intégration ? Considérez-vous d’ailleurs que la population d’origine maghrébine est bien intégrée en France ?

Tariq Ramadan :
Les 2e ou 3e générations d’enfants d’immigrés comme on les désigne sont parfaitement intégrés. D’ailleurs, ils sont présents sur la scène politique, culturelle et associative. Cette nouvelle visibilité crée des tensions. C’est la France qui ne les a pas intégrés. Il faut faire confiance et compter avec le temps. Le succès de l’intégration, ce serait d’arrêter d’en parler. D’ailleurs je considère qu’on est dans une phase de post-intégration.

Afrik.com : On vous reproche la pratique d’un double langage. Votre discours serait plus virulent à la mosquée que sur un plateau-télé. Que répondez-vous à ceux qui vous taxent de fondamentaliste ?

Tariq Ramadan :
Entretenir cette rumeur, c’est la méthode de ceux qui n’ont pas d’arguments. Je mets au défi qui que ce soit de démontrer mon soi-disant fondamentalisme. Mon discours est le même sur un plateau de télévision ou dans une mosquée. D’ailleurs, mes articles, mes discours et toutes mes interventions sont publiques et accessibles à tous. Ce n’est pas ainsi que fonctionnent ceux qui ont des choses à cacher. On tente toujours de remettre en cause l’interlocuteur, de jeter le discrédit fondamental sur lui quand on ne peut rien dire sur la teneur de ses propos. Et puis si j’étais vraiment fondamentaliste, expliquez-moi pourquoi je serais interdit d’entrée en Arabie Saoudite ?

Afrik.com : Vous dérangez bon nombre d’intellectuels français. Comment expliquez-vous ce sentiment à votre égard ?

Tariq Ramadan :
Je dérange parce que ma parole est libre et autonome. Je mets aussi le doigt là où ça fait mal : le passé colonial, le manque d’attitude égalitaire… Je refuse aussi d’être l’autre, le minoritaire. C’est une structuration du pouvoir qui tient à la construction d’une minorité en opposition à une majorité. C’est confortable d’entretenir l’idée d’une minorité problématique. Un vrai jeu de pouvoir. Je m’oppose à cette idée de minorité victimaire. Le mot même de minorité n’est pas adapté. Je parlerais plutôt de diversité. Et dans une société pluraliste, il faut une politique égalitaire de la diversité. C’est inscrit dans la Constitution, nous sommes frères et sœurs égaux en droit. Je crée un nouveau « nous ». Je suis d’autant plus en mesure de le faire que je ne suis pas représentatif de l’immigration. Je ne suis pas arrivé en occident avec un complexe culturel. Je suis à la frontière de ces mondes de par ma double formation : je suis docteur en philosophie occidentale, j’ai étudié les lettres et les sciences islamiques fondamentales.

Afrik.com : Vous avez une chaire en études islamiques contemporaines à l’Université d’Oxford, vous avez enseigné dans de nombreux pays mais pas en Hexagone. Pourquoi ?

Tariq Ramadan :
Cela dit plus de la France que de moi.

Afrik.com : N’avez-vous pas envie de vous engager en politique ?

Tariq Ramadan :
On ne peut pas tout faire. Je ne souhaite pas m’engager en politique car je me positionne dans un contre-pouvoir affirmé. On ne peut pas faire partie des deux camps en même temps. Mon rôle à moi est de questionner et de faire évoluer les mentalités.

 Le site de Tariq Ramadan

 Dernière parution?: Mon intime conviction, Presses du Châtelet, 2009

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