Taieb Baccouche : « Les promesses seront tenues »


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Taieb Baccouche, ministre de l’Education nationale et porte-parole du gouvernement tunisien, est un homme accessible. Homme de dialogue, il a improvisé une rencontre avec les citoyens rassemblés devant son ministère le jour où il nous avait reçus, le 17 février dernier. Il revient notamment sur les prochaines élections, l’arrestation de miliciens, le rôle de l’armée, le rapatriements des avoirs de la famille de Ben Ali et la nouvelle liberté d’expression des médias tunisiens.

Décontracté et accessible, Taieb Baccouche rompt avec l’image des ministres « benalistes ». Depuis sa nomination, il a d’ailleurs multiplié les débats avec les élèves, les enseignants et les journalistes. Pour lui, tout doit faire l’objet d’une consultation. Mais, étant dans le provisoire, il ne faudra pas s’attendre à un bouleversement radical, mais plutôt à une réponse aux urgences selon les priorités. L’objectif premier de ce gouvernement étant d’assurer la tenue d’élections libres et de jeter les bases de la démocratie. Enorme chantier qui ne convainc pas une partie de l’opinion publique qui s’impatiente, ne voit pas venir les réponses à ses interrogations, et trouve que l’Etat ne s’est pas totalement affranchi des vestiges du régime passé.
Linguiste, professeur, impliqué dans les droits de l’homme, le journalisme et le syndicalisme, sa polyvalence explique son goût pour le débat, même imprévu.

Afrik.com : Concernant les élections, M. Ghannouchi avait brièvement parlé d’une commission indépendante, ce qui écarterait de facto le ministère de l’Intérieur. Comment est-il techniquement possible de récupérer les listes électorales détenues par les mairies et les gouvernorats ?

Taieb Baccouche :
Tout simplement grâce à la carte d’identité.

Afrik.com : Mais il n’y a pas un risque que les gens votent deux fois ?

Taieb Baccouche :
Non, ce sera informatisé.

Afrik.com : Vous savez que l’informatique dans les votes n’est pas sûre et beaucoup de démocraties optent pour le comptage traditionnel, manuel…

Taieb Baccouche :
Je vous disais informatisé dans le sens où quelqu’un qui a voté quelque part, ne pourra pas voter ailleurs. Mais le comptage des voix sera traditionnel.

Afrik.com : Vous aviez déclaré récemment que des miliciens avaient été arrêtés, quels sont les informations dont vous disposez aujourd’hui ?

Taieb Baccouche :
Il y a bien eu des arrestations au niveau des milices et des bandes armées, et, évidemment, l’instruction est en cours. D’autres sont encore dans la nature. C’est pour cela qu’il faut une certaine discrétion, et qu’il ne peut pas divulguer les informations en notre possession avant la fin de l’instruction.

Afrik.com : Cet argument n’a-t-il pas été trop utilisé ? Une communication plus claire ne permettra-t-elle pas à la population d’identifier le danger et de s’en méfier ?

Taieb Baccouche :
Oui, bien évidemment. Je peux vous dire que ces milices appartenaient à l’ancien clan au pouvoir, parfois à des clans privés de la famille dont les membres avaient leurs propres milices qui introduisaient les armes de l’étranger illégalement.

Afrik.com : Alors pourquoi ces milices continuent-elles de sévir alors que l’ancien clan au pouvoir s’est enfui et les a abandonnés ?

Taieb Baccouche :
C’est une question d’intérêt. En tout cas, ils savent qu’ils risquent d’être poursuivis.

Afrik.com : Si ceux qui les pourchassent, donc le gouvernement, ne les ont pas identifiés, de quoi auraient-ils peur ? Est-ce que leur mobile est vraiment celui-là ?

Taieb Baccouche :
Ils doivent considérer que la réussite de la révolution et l’accomplissement de ses objectifs n’est pas dans leurs intérêts. Ils jouent donc leur va-tout.

Afrik.com : Mais ils se réunissent bien quelque part, un endroit qui pourrait trahir leur appartenance et leurs projets…

Taieb Baccouche :
Vous savez, les réunions maintenant, avec les moyens dont on dispose, ne sont plus une nécessité. Avec l’avancée technologique, notamment dans la communication, les gens peuvent se passer des mots d’ordre sans se réunir.

Afrik.com : Mais les armes, il faut bien se réunir pour aller les chercher…

Taieb Baccouche :
Il y a eu des caches d‘armes qui ont été effectivement identifiées et saisies. Elles se situaient pour certaines dans les demeures des membres du clan de l’ex-famille au pouvoir.

Afrik.com : Des personnes ont identifié plusieurs membres du RCD (l’ancien parti au pouvoir) comme étant des miliciens, qu’en est il vraiment ?

Taieb Baccouche :
Le RCD en tant que structure non, je ne pense pas. Il y a des éléments qui appartiennent au RCD et qui, peut-être, se comportent en miliciens.

Afrik : Vous ne disposez d’aucun élément qui lie ou non le RCD à ces milices ?

Taieb Baccouche :
Selon certaines informations, des responsables du RCD, à un niveau régional, pourraient être impliqués.

Afrik.com : Si ces responsables et éléments sont impliqués, c’est qu’ils font allégeance à une structure, le RCD ou leur chef…

Taieb Baccouche :
Non, leur allégeance va au système qui était au pouvoir.

Afrik.com : Il y deux ans, Afrik.com faisait déjà état de liens entre des milices violentes et ce parti. Après enquête, il s’est avéré que ces barbouzes appartenaient bien au RCD. Aujourd’hui, on connait une situation similaire…

Taieb Baccouche :
C’est-à-dire que ce sont des gens dont l’allégeance est à Carthage et non au parti, mais qui peuvent être implantés dans le parti.

Afrik.com : Ils étaient protégés par le parti parce que leurs abus ont souvent été impunis bien avant la révolution…

Taieb Baccouche :
Bien sûr, puisque protégés par Carthage. L’imbrication entre le parti au pouvoir, l’administration et la main de Carthage fait que la distinction est difficile. C’est bien pour cela que la première décision du gouvernement de transition a été la séparation de l’Etat et du parti.

Afrik : Est-ce que le RCD est aujourd’hui complètement dissous ? Peut-on dire qu’il n’existe plus ?

Taieb Baccouche :
On ne peut pas présumer qu’il n’existe plus. Mais il traverse une crise intérieure profonde.

Afrik.com : Pour déterminer avec certitude le rôle de chacun, les archives du RCD et d’autres structures administratives et sécuritaires, dont une partie a été d’ailleurs détruite, n’ont pas été exploités…

Taieb Baccouche :
Vous savez, ce gouvernement est là depuis quelques semaines, c’est tout un chantier. C’est un régime policier qui a duré plus de 20 ans. Le gouvernement a été constitué quelques jours après le départ de Ben Ali, et ce dont vous parlez, il fallait le faire tout au début. Ce n’est pas évident du tout. Le gouvernement a d’abord une action politique, il devait répondre à des exigences socio-économiques. Ce n’est pas un régime de policier qui court chercher des documents et met la pression. Le gouvernement n’avait pas non plus les moyens de le faire tout de suite. Il faillait d’abord changer les cadres du ministère de l’Intérieur qui couvraient cela. Il y en a eu plus de 40. Il faillait avoir le cadre nécessaire pour faire cela. Nous avons procédé par priorités.

Afrik.com : Laisser passer le temps sans exploiter ces archives, n’est-ce pas prendre le risque que les caciques non identifiés se fondent dans l’administration et mettent en échec toute réforme ?

Taieb Baccouche :
L’identification se fait au coup par coup, et aussi en observant le comportement et les réactions des gens à certaines réformes.

Afrik.com : Ce n’est pas déterminant dans la mesure où nous avons une multitude de « nouveaux héros » qui pourraient donner l’illusion d’adhérer, alors qu’ils travaillent à autre chose par ailleurs…

Taieb Baccouche :
Tout à fait, et on le sait. Mais d’un autre côté, quand vous donnez un ordre à un commissaire de police ou autre et qu’il ne l’exécute pas, c’est un indice.

Afrik.com : Et s’il l’exécute pour donner le change ?

Taieb Baccouche :
S’il l’exécute tant mieux ! Son tour viendra après. Tant mieux s’ils veulent se racheter… Il y a des choses qui sont inévitables. Personne ne peut empêcher pendant quelques jours de confusion la destruction de documents, personne ne peut le faire et cela vaut pour toutes les révolutions du monde, et encore plus quand elle est pacifique.

Afrik.com : Où l’armée se situe-t-elle sur l’échiquier présent et futur sachant que le nouveau patron de la sécurité au ministère de l’Intérieur est un militaire proche du général Ammar ? Le gouvernement contrôle les instances civiles, mais qui contrôle l’armée ? Notre ministre de la défense ?

Taieb Baccouche :
Chacun a un rôle. L’armée tunisienne a toujours été à l’écart de la politique. Son rôle est de défendre le pays et la population. L’armée n’a jamais fait de politique. Pourquoi parlez-vous de contrôle ?

Afrik.com : L’armée n’est pas électron libre non plus. A-t-elle un ministère ou une instance de tutelle ?

Taieb Baccouche :
Nous avons un ministre de la défense.

Afrik.com : Donc, c’est lui le patron de l’armée ou est-ce le général Ammar ?

Taieb Baccouche :
Vous faites un distinguo injustifié ! Au niveau de la politique, c’est un ministre, et au niveau de la gestion sécuritaire du pays, c’est tout à fait normal que ce soit fait en coordination entre eux.

Afrik.com : Les décisions sont prises conjointement par le ministre et le général sans relation de subordination. L’armée est complètement ralliée à ce gouvernement ?

Taieb Baccouche :
Pour moi, ces questions sont absolument injustifiées. L’armée ne porte pas de jugements !

Afrik.com : Elle a pourtant porté un jugement salvateur avant le 14 janvier en refusant de tirer sur la foule…

Taieb Baccouche :
Mais parce que c’était dans ses prérogatives, la défense de la population.

Afrik.com : En 1984, lors des émeutes du pain, l’armée était intervenue sur ordre du pouvoir en place. Aujourd’hui, de qui prend-t-elle ses ordres ?

Taieb Baccouche
: Avant, elle prenait ses ordres du président de la République, et maintenant aussi. On a un président de la République par intérim. C’est-à-dire que si j’ai besoin de sécuriser un site ou des établissements, je le demande conjointement au ministre de la Défense et au ministre de l’Intérieur. Je ne le demande pas au général. Je le demande au ministre.

Afrik.com : Aujourd’hui, pouvez vous dire que la sécurité est revenue ?

Taieb Baccouche :
Il y a une amélioration sensible. C’est progressif.

Afrik.com : Est-ce que tous les agents de police qui s’étaient retirés ont repris leurs postes ?

Taieb Baccouche :
La majorité.

Afrik.com : Et pour ceux qui n’ont pas repris, s’agit-il de cas de refus ou bien leur reproche-t-on quelque chose ?

Taieb Baccouche :
Je sais qu’il y avait des cas de refus parce qu’ils étaient attaqués et ils avaient l’ordre de ne pas tirer sur les citoyens.

Afrik.com : Cette sécurité progressive, n’est-elle pas un peu fragile à cause de la crise de confiance, d’un appareil policier à purifier en profondeur ?

Taieb Baccouche :
Posez cette question au ministre de l’Intérieur, je ne réponds pas à sa place.

Afrik.com : Quelles sont les garanties que vous avez ? La Tunisie a connu une période d’attente porteuse d’espoirs en 1987 qui s’est transformée en désillusion…

Taieb Baccouche :
Les garanties sont les objectifs, c’est-à-dire l’organisation d’élections libres et transparentes avec des observateurs internationaux, dans un délai déterminé.

Afrik.com : Mais les observateurs internationaux « amis » installés dans de somptueux hôtels, la Tunisie a déjà connu cela avant…

Taieb Baccouche :
C’étaient de faux observateurs, comme c’étaient de fausses élections.

Afrik.com : Justement, quelles sont les garanties pour que cela ne se reproduise pas ?

Taieb Baccouche :
Si je n’en avais pas la certitude, je ne serais pas là.

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Afrik.com : Vous avez été directeur du journal Echaab, quel regard portez vous sur les medias d’après révolution ?

Taieb Baccouche :
Maintenant, les médias passent par un changement radical, à 180 degrés. Cela s’explique. C’est une révolution, et les médias s’ouvrent d’une manière anarchique. Il y a une part d’anarchie.

Afrik.com : Cela voudrait dire que certains des médias qui ne pouvaient pas s’exprimer ne maîtrisent pas aujourd’hui totalement la façon de le faire ? C’est une question de compétences ou juste de changement de directions ?

Taieb Baccouche :
On ne va pas généraliser. Cependant, les thuriféraires de l’ancien régime sont ceux qui crient le plus maintenant et travaillent contre la révolution. Une presse libre est la bienvenue et nous sommes contre toute forme de censure. Nous sommes pour la moralisation de la déontologie.

Afrik.com : Un haut conseil sur le modèle du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) français a été évoqué, mais ne serait-ce pas là une forme de contrôle ?

Taieb Baccouche :
Il doit y avoir un conseil pour les cahiers des charges par exemple. Ce sera des experts indépendants, mais cela ne peut pas être comme avant. C’est impossible. Le principe a été lancé. On est en train de voir. Cela va faire l’objet de consultations.

Afrik.com : Pourquoi ne pas choisir des membres issues du syndicat et du patronat, en organisant des élections ?

Taieb Baccouche
: Quel patronat ? Tous les journaux étaient inféodés au pouvoir avant ! Maintenant, toutes les formules sont bonnes à étudier.

Afrik.com : Vous avez été le secrétaire général de l’UGTT de 1981 à 1984, quel regard portez-vous sur cette centrale syndicale dont le rôle semble par moments trouble ?

Taieb Baccouche :
l’UGTT n’est pas un bloc monolithique. Il est traversé par des courants contradictoires et, donc, on ne peut pas porter de jugement global.

Afrik : Et concernant la direction ?

Taieb Baccouche :
On y trouve de tout, aussi bien à la direction qu’à la base et au niveau des structures intermédiaires. Que cela semble trouble, oui. Il y a certaines décisions qui peuvent paraitre contradictoires.

Afrik.com : L’UGTT serait-elle à sa place dans les commissions et notamment celle de la lutte contre la corruption ? Les syndicalistes demandent à en faire partie…

Taieb Baccouche :
Pourquoi pas ?

Afrik.com : La question, c’est pourquoi justement ? Cela présupposerait que cette centrale dans son ensemble n’ait rien à se reprocher…

Taieb Baccouche :
Je ne sais pas à quoi ont abouti les discussions avec la commission anti-corruption, parce que la commission est indépendante et ne reçoit pas d’ordre du gouvernement. Ils nous ont demandé et nous leur avons dit de s’adresser directement aux commissions. Je n’en sais pas plus. On ne perd rien à avoir un avis. L’UGTT ne fonctionne pas toute seule d’ailleurs. Je vois dans ses prises de position qu’elle se coordonne avec des avocats, des journalistes et autres. La direction peut bien donner son avis, mais c’est à la base de décider lors d’un prochain congrès de la ligne à adopter.

Afrik.com : Concernant les embarcations de Tunisiens vers l’Italie qui avait scandalisé l’opinion publique, pouvez-vous nous confirmer le chiffre exact des jeunes ayant tenté d’immigrer ?

Taieb Baccouche :
Quelques milliers.

Afrik.com : Qu’est-ce qui pousserait des milliers de Tunisiens à immigrer de cette façon alors que leur pays vient de se libérer ?

Taieb Baccouche :
D’abord l’immigration n’a jamais cessé. Il y a toujours eu des tentatives, et c’est signe que la politique socio- économique était une façade qui cachait beaucoup de frustration et de misère. Maintenant que les jeunes qui aspiraient à l’immigration depuis longtemps profitent du manque de vigilance ambiant, c’était prévisible.

Afrik.com : Mais le plus étonnant, c’est qu’il y a eu des demandes d’asile politique…

Taieb Baccouche :
Non, cela m’étonnerait.

Afrik.com : Ce n’est donc pas vrai ?

Taieb Baccouche :
Cela n’a aucun sens. A ma connaissance, les responsables Italiens ne nous l’ont pas dit. Le ministre des Affaires étrangères italien s’est entretenu avec le Premier ministre. Cette information n’est pas ressortie, je n’ai pas plus d’information.

Afrik.com : En tant que porte-parole, vous devriez être dans la confidence…

Taieb Baccouche :
Je vous précise ma fonction de porte-parole : je fais le point du Conseil des ministres, une fois par semaine. Mais je n’interviens pas quand il s’agit d’une question relative à un département déterminé. Il faut voir cela avec le ministère concerné.

Afrik.com : J’en déduis que cela n’a pas encore été discuté au Conseil des ministres.

Taieb Baccouche :
Non, pas encore.

Afrik.com : Vous avez réagi aux déclarations de M. Maroni, en disant que c’étaient de vieux réflexes de l’Italie fasciste. Votre collègue des Affaires étrangères a parlé d’ingérence. La peur de l’ingérence étrangère est-elle d’actualité ?

Taieb Baccouche :
Mon indignation est une réaction au jugement porté sur la déliquescence du système tunisien. On aurait dit qu’ils regrettaient le système Ben Ali. Cela peut être perçu par le peuple tunisien comme une atteinte à sa dignité.

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Afrik.com : Connaissant tout ce qui a été reproché à votre ministère dans le passé, avez-vous été parachuté à sa tête de votre ministère ou avez vous choisi vos collaborateurs ?

Taieb Baccouche :
Mes collaborateurs sont là, et je suis un ministre de transition. Je ne change pas complètement une administration qui connaît les dossiers. Cela ne serait pas réaliste. Pourquoi avez-vous d’emblée une image négative de tous ceux qui composent cette administration ?

Afrik.com : Disons qu’elle en panne ou handicapée. On ne peut pas dire que cela fonctionnait bien avant. Il suffit d’écouter les critiques des gens qui sont devant votre ministère ou encore la corruption qui règne au concours du CAPES…

Taieb Baccouche :
J’en suis conscient, mais je suis réaliste. C’était tout un système. Je sais qu’il y avait aussi un certain nombre de pressions, que les exécutants devaient obtempérer. Même un ministre, quand il reçoit des ordres du président de la République doit s’exécuter. Sinon, il risque la prison et personne ne le défendra, pour la simple raison que c’est un commis de l’Etat. Il n’y avait qu’un syndicaliste connu ou un militant des droits de l’Homme connu qui pouvait dire non. Je rappelle que beaucoup de responsables étaient mécontents de cette politique, mais ils risquaient gros s’ils disaient non.

Afrik.com : On peut difficilement imaginer que les responsables qui demandaient des pots-de-vin risquaient de mourir s’ils ne recevaient pas l’argent de la corruption qu’ils avaient mis en place…

Taieb Baccouche :
Moi, je n’accuse personne si je n’ai pas de preuves.

Afrik.com : Le concours du CAPES était bien miné par la corruption. On parle de 10 à 15 000 dinars. Il y a bien des gens qui ont reçu cet argent…

Taieb Baccouche :
Cela aussi reste à prouver si on accuse les gens.

Afrik.com : Donc, pour vous il n’y pas de souci avec le CAPES ?

Taieb Baccouche :
Je planche sur le dossier et je demande des preuves. La priorité, c’est le grand pillage, ce sont les millions et millions de milliards qui ont été pillés, le tour de ceux qui ont reçu 100 dinars et 500 dinars viendra.

Afrik.com : Concrètement, comment travaillez-vous pour récupérer ces millions ? Avez-vous commencé à récupérer des avoirs ?

Taieb Baccouche :
On en est à la procédure préventive du gel, et les fonds sont en instance de rapatriement. C’est toute une procédure judiciaire, vous savez.

Afrik.com : Vous avez donc chiffré et savez-vous combien vous allez recevoir ?

Taieb Baccouche :
Pour ce qui est à l’étranger, ce sont des sociétés bidons imbriquées comme des poupées russes et ce n’est pas facile à démonter en un tour de main.

Afrik.com : Avez-vous au moins quantifié ce qu’il y a ici en Tunisie ?

Taieb Baccouche :
La Banque centrale est en train de le faire minutieusement. On peut donner un premier chiffre pour ce qui est des grandes sociétés attribuées à la famille de manière illégale et l’argent pris chez les banques de manière irrégulière. C’est à peu près 2,5 milliards de dinars.

Afrik.com : Vous pouvez immédiatement disposer de cet argent ?

Taieb Baccouche :
Bien sûr, puisque ces sociétés existent et qu’on a désigné des administrateurs. Les avoirs ne sont plus ceux de X ou Y mais reviennent bien à l’Etat.

Afrik.com : Vous disiez que personne ne pouvait s’opposer au système à part les militants connus. Vous avez été un militant connu, comment avez-vous agi ?

Taieb Baccouche :
Oui, je l’ai été et c’est bien pour cela que, moi, j’avais la possibilité de refuser les portefeuilles ministériels qu’on m’avait proposé à plusieurs reprises.

Afrik.com : Lors de la période pendant laquelle vous avez été président de l’Institut Arabe des droits de l’Homme, en quoi consistait vos activités ?

Taieb Baccouche :
Je le suis encore en attendant la réunion du Conseil d’administration. Ensuite, l’Institut arabe des droits de l’Homme est une ONG régionale qui a des représentations à Tunis, à Rabat, etc… C’est un institut culturel, c’est-à-dire qu’il organise surtout des conférences et des sessions de formation pour les avocats, les magistrats, les enseignants. Il y a aussi eu la révision des manuels scolaires pour introduire les principes des droits de l’Homme dans les cursus.

Afrik.com : Quelles sont les actions significatives que vous avez mené dans un système réfractaire aux droits de l’Homme ?

Taieb Baccouche :
Nous formions des cadres dans le monde arabe, des milliers de cadres qui font la révolution entre autres. Et pour les manuels scolaires, cela a abouti à une révision depuis une quinzaine d’années. Comme le gouvernement était un peu schizophrène, il acceptait l’enseignement des droits de l’Homme sans les appliquer. Et cette jeunesse était consciente de ces contradictions. Je peux dire que les jeunes connaissent ces droits et, voyant que ce n’est pas respecté, ils se sont révoltés. On n’a pas pu travailler normalement, puisque nos fonds ont été bloqués et l’Institut en pâtit jusqu’à maintenant : il fonctionne depuis cinq ans au moins avec la moitié de ses effectifs.

Afrik.com : Pour en revenir au gouvernement, ne pensez-vous pas qu’une communication au jour le jour, qui indiquerait les propositions discutées, les décisions, les résultats et les dossiers du moment, est souhaitable ? Les Tunisiens n’ont pas l’impression que ça bouge et ils le manifestent comme aujourd’hui …

Taieb Baccouche :
Les demandes premières sont l’emploi et le ministère dont j’ai la charge est le plus gros employeur dans la fonction publique des diplômés chômeurs. C’est pour cela qu’ils sont nombreux autour du ministère. Le plus souvent leurs revendications, qui sont légitimes, sont assez simplistes. Par exemple, un concours de recrutement d’enseignants : ceux qui ont passé le QCM sont au nombre de 97 000 pour à peu près 3 800 postes. Les autres veulent aussi du travail. Le ministère ne peut pas répondre à cette demande de 97 000 postes.

Afrik.com : Les gens qui manifestent devant votre ministère, que veulent-ils exactement ?

Taieb Baccouche :
Comme je l’ai dit, l’emploi et plusieurs ont commencé le concours. D’autres viennent dénoncer des injustices, et là j’ai pris la décision de régler tous les problèmes liés à l’injustice au cas par cas.

Afrik.com : Comment allez-vous par exemple garantir et démontrer que le concours des enseignants a été transparent et juste ?

Taieb Baccouche :
Peut-être qu’il y a eu avant des interventions pour faire passer un candidat ou en récuser un autre. Maintenant, ce n’est plus possible, pour une raison simple : tout est public, aussi bien les critères de candidature que de notation.

Afrik.com : Au cours de la conférence de presse que vous avez tenue avec des représentants d’élèves, un jeune s’est indigné de l’interdiction du voile à l’école, qualifiant les filles non voilées de non respectables. Vous n’avez pas réagi…

Taieb Baccouche :
Je vous signale que la conférence a duré 5 heures, ce qui a été diffusé est un montage. Mais je ne me rappelle plus les détails. Je vais revoir les images. Je ne pense pas que cela a été dit de cette manière.

Afrik.com : Des interventions des élèves, il ressort le problème des heures supplémentaires. C’est un fléau. pensez vous qu’il faille « dégager » les heures supplémentaire ?

Taieb Baccouche :
Les élèves n’ont pas dénoncé les heures supplémentaires, mais leur commercialisation. C’est un dossier que nous attaquons car c’est un dossier qu’il faut moraliser.

Afrik.com : Ne trouvez-vous pas que le recours aux heures supplémentaires est un aveu clair d’échec de l’Education nationale, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, l’enseignement ne répond plus aux normes et que des extras sont nécessaires ?

Taieb Baccouche :
En fait, la politique du pouvoir précédent consistait à encourager la privatisation par tous les moyens, ce qui fait qu’il ne misait pas beaucoup sur l’enseignement. Ceci est un gouvernement transitoire, limité dans le temps. Nous n’allons pas décider de la nouvelle politique de l’éducation.

Afrik.com : Vous savez très bien qu’il y a des attentes, que l’année scolaire se poursuit et qu’il va falloir agir, même si c’est dans l’urgence..

Taieb Baccouche :
Nous avons des priorités, mais nous n’allons pas changer les lois.

Afrik.com : Et concernant les heures supplémentaires, vous pensez à quoi exactement ?

Taieb Baccouche :
Cela mérite un débat entre tous les partenaires, les élèves, les enseignants, les parents et l’administration. Ce qui compte c’est de moraliser. Ce sera un sujet de débat national.

Afrik.com : Récemment, beaucoup d’établissements ont « dégagé » ceux qu’ils qualifient de symboles d’injustice. Y a t-il un suivi de votre part pour que cela ne dégénère pas et que les éducateurs, auteurs d’injustices, répondent de leur actes et réhabilitent leurs victimes ?

Taieb Baccouche :
Je ne veux pas qu’il y ait une chasse aux sorcières, ou des tribunaux de la rue. Dès que j’ai une doléance, j’ouvre une enquête et je réagis.

Afrik.com : Une enquête est-elle en cours sur l’éviction du proviseur du lycée de Carthage présidence ? Une chaîne de télévision a consacré deux émissions à charge sans droit de réponse, et des enseignants sont déjà allés manifester pour avoir ce droit de réponse. Ce proviseur dit craindre pour sa personne. Y aura-t-il une enquête sérieuse cette affaire ?

Taieb Baccouche :
Oui, il y a une enquête. Entre temps, ce n’est pas normal qu’on présente l’affaire de cette façon dans les médias. C’est contraire à la déontologie, illégale et immorale. Il y a un droit de réponse et le droit de porter plainte. Il y a une enquête administrative qui déterminera les rôles de chacun. Je pense que la chaîne en question va lui présenter des excuses et lui donner un droit de réponse. Mais cela ne préjuge pas non plus d’une poursuite judiciaire. S’il craint pour sa personne, il ne nous l’a pas signalé.

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Afrik.com : Pour ce qui est des plaintes, revenons sur le refus de délivrer des décharges. A l’époque de Ben Ali quand vous portiez plainte, vous n’aviez aucune décharge. On nous a rapporté récemment que c’était toujours le cas…

Taieb Baccouche :
Avant, on ne donnait effectivement pas de décharge pour ne pas laisser de traces. C’était la pratique courante et il faut absolument que cela change. C’est inacceptable. Moi, à mon niveau, j’ai donné des instructions précises dans mon administration. Toute demande et toute requête doit donner lieu à une décharge, une preuve.

Afrik.com : Mais comment être sûr que votre administration applique cette règle ?

Taieb Baccouche :
Si ce n’est pas fait, l’agent sera sanctionné.

Afrik.com : Encore faut-il que vous le sachiez…

Taieb Baccouche :
Les gens parlent maintenant et ils revendiquent. Tout se sait.

Afrik.com : Ce n’est pas une garantie ! Avant, des voix s’élevaient aussi contre cette injustice, mais elles n’ont pas porté. L’entourage du ministre mettait en place un mur anti-son !

Taieb Baccouche
: Nous exploitons les nouvelles technologies et nous aurons un site interactif dédié. Les citoyens pourront s’exprimer et pointer d’éventuels dysfonctionnements.

Afrik.com : Pour finir, au sujet des nouvelles technologies, Ammar 404 [[Tous les Tunisiens se sont entendus du temps de Ben Ali pour appeler la direction qui censure Internet, Ammar404, parce que lorsque la page ne s’affiche pas on lit : ERREUR 404]] est-il toujours en fuite ?

Taieb Baccouche :
Il ne s’agit pas d’une seule personne mais il y avait environ 600 cyberpoliciers. Je demanderai au ministre de l’Intérieur ce qu’il en est.

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