Sur les traces des indemnisations payées aux propriétaires d’esclaves dans les Caraibes anglaises


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makandal

Oublier la violence, la douleur et la honte qui font inévitablement partie des archives historiques d’un pays représente un aspect critique dans l’histoire d’une nation. Ce reniement du passé est un processus actif: la décision d’oublier par exemple Mau-Mau et la brutalité de la réponse britannique à cet épisode en cachant les documents d’archives a été délibérée ; ils n’ont été révélé que grâce au travail patient de survivants déterminés et d’historiens dévoués.

L’Oubli du rôle de la Grande-Bretagne dans la traite négrière a commencé dès l’abolition de ce commerce en 1807. L’Histoire célèbre de la campagne de l’abolitionniste Thomas Clarkson visant à mettre fin à l’esclavage a mis l’accent sur le travail des humanistes blancs et sur leur rôle dans la construction d’un mouvement réussi. Clarkson a négligé non seulement l’activisme des hommes et des femmes noirs abolitionnistes, tout comme les horreurs de la traite en elle-même, qu’il connaissait intimement.

Un processus similaire s’est produit en ce qui concerne l’émancipation en 1833. Dès l’abolition de l’esclavage dans les Indes occidentales britanniques, à l’île Maurice et au Cap, les Britanniques ont commencé à se féliciter de leur générosité. L’abolition fut redéfinie comme une démonstration de l’engagement de la Grande-Bretagne pour la liberté, et de sa prétention à être le pays le plus progressiste et civilisé au monde.

Dans le langage de l’époque, l’abolition avait pour but de laver les péchés de la nation. Pourtant, la liberté qui fut accordée par le parlement impérial aux hommes et aux femmes esclaves était relative. Ils devaient demeurer « apprentis » durant quatre à six ans – travailler sans rémunération dans les plantations de leurs anciens maîtres – tout en  »apprenant à travailler ». Il fallut cinq ans de résistance dans les Caraïbes et de campagne « à la maison » pour obtenir « la pleine liberté » en 1838.

De plus, 20 millions de livres (soit 40% des dépenses de l’Etat en 1834) furent versés en compensation par le gouvernement britannique aux propriétaires d’esclaves pour s’assurer de leur leur accord de perdre  »leur » propriété -malgré le fait que la base morale de la campagne contre l’esclavage était que c’était mal de détenir des êtres humains comme des propriétés. La  »valeur » des esclaves fut jugée en fonction des niveaux de leurs compétences et de la productivité des colonies dans lesquelles ils vivaient. Un homme en esclavage en Guyane britannique valait donc plus que celui en Jamaïque, où la productivité avait baissé, et les hommes avaient plus de valeur que les femmes. Il allait s’agir là d’un autre moment de marchandisation des êtres humains – pas vendus cette fois sur le marché des esclaves, mais dont le prix était fixé par les autorités coloniales et établi dans les bureaux gouvernementaux.

Des archives détaillées de tous ceux qui réclamèrent une indemnisation furent conservés et ces documents qui n’avaient jamais été étudié de manière systématique offrent un nouvel éclairage sur la manière dont le business de l’esclavage a contribué de façon significative à faire de la Grande-Bretagne la première nation industrielle. Dès ce mercredi (27 février) l’encyclopédie que nous avons créé grâce à ces archives est en ligne et le public pourra y accéder gratuitement. Il compile les 46.000 réclamations d’indemnisation individuelles qui ont été faites avec les informations que nous avons recueillies sur les quelques 3000 Britanniques qui vivaient en Grande-Bretagne tout en étant propriétaires d’êtres humains. Ces hommes et ces femmes (et il y avait un nombre considérable de femmes qui vivaient grâce à la propriété d’esclaves) étaient impatients que leurs identités comme propriétaires d’esclaves passent à l’oubli. Et ils avaient bien réussi jusqu’à présent.

Certains des descendants directs des propriétaires d’esclaves sont bien connus: George Orwell, Graham Greene et Quintin Hogg – sans oublier les banques et des cabinets d’avocats qui se sont développé grâce aux bénéfices de l’esclavage. En se concentrant sur les propriétaires d’esclaves, notre but n’est pas de les nommer et de les couvrir de honte. Nous voulons déconstruire l’oubli: pour nous souvenir de nouveau, comme Toni Morrison le dit : pour reconnaître de quelles manières les fruits de l’esclavage font partie de notre histoire collective – sont incorporés dans notre pays et dans les propriétés, dans les organisations philanthropiques, les collections d’art , les banques d’affaires et les cabinets d’avocats, les chemins de fer, et les modes de pensée que nous continuons d’avoir au sujet de la race. Les propriétaires d’esclaves furent activement impliqués dans la reconfiguration de la race après l’esclavage, en popularisant de nouvelles légitimations de l’inégalité qui demeurent une partie du patrimoine du passé colonial de la Grande-Bretagne. Le Capitaine Marryat, fils d’un important propriétaire d’esclaves, et un des écrivains les plus populaires de fiction navale et d’histoires pour enfants, racialisait systématiquement les « autres », en créant des hiérarchies dans lesquelles les blancs Anglo-Saxons occupaient toujours le sommet.

Dans les Caraïbes, un mouvement est en train de se construire pour des formes de dédommagement pour les grossières inégalités et le sous-développement qui ont persisté depuis l’époque de l’esclavage. Ils mettent l’accent sur la responsabilité de l’État et du gouvernement. En démontrant la dette de la Grande-Bretagne à cause de l’esclavage, une des façons par lesquelles la Grande-Bretagne moderne a bénéficié de son passé colonial et a été défiguré par ce dernier, nous espérons contribuer à une compréhension plus riche et plus honnête des connexions de l’histoire de l’empire que ce que l’on retrouve dans l’esprit de clocher et les obfuscations de « island story »de Michael Gove.

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