Splendeur de la révolution égyptienne


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A lors que les Égyptiens n’arrêtent pas de démontrer leur détermination à changer leur monde, il convient de s’arrêter un peu sur la beauté de leur œuvre, et aussi de comprendre pourquoi ils ne se sont pas contentés de faire partir le Président Moubarak le 11 février 2011, après trente ans au pouvoir. Il n’est pas donné à n’importe quel pays de faire l’expérience de la révolution, c’est-à-dire de se retirer sur lui-même, pendant un laps de temps qui peut se prolonger, pour résoudre ses problèmes politiques de manière radicale.

L’affaire est encore plus compliquée aujourd’hui, à l’époque des mass-média et des réseaux sociaux, où tout se déroule sous les yeux des caméras venues du monde entier. C’est une question de souveraineté nationale, une question de puissance. Le pays doit être assez fort pour résister à la pression et à l’ingérence étrangère. La révolution avait été vaincue par les troupes étrangères à Genève en 1782, puis en Hollande en 1787 ou en Belgique en 1790. S’il y a un pays en Afrique qui soit en mesure de tenir son destin entre ses propres mains, c’est bien l’Égypte. Mais ce pays est-il vraiment africain ?

Dimension critique pour s’offrir le privilège d’une révolution

Contrairement aux soulèvements qu’ont connus de nombreux pays du monde arabe, à partir de décembre 2010, en Tunisie, en Libye, à Bahreïn, au Yémen ou encore en Syrie, les évènements d’Égypte ont tout d’une révolution, une vraie. La Révolution ce sont, en effet, des Evènements (multipliés à l’excès, signifiés, interprétés), des Acteurs (créés puis dévorés par le phénomène), des Lieux (la place Tahrir, au Caire), des Idées (qui servent à se nommer et à désigner ses adversaires) et des Historiens (ceux qui restituent le fait, et ceux qui tentent de fixer tout de suite les cadres de son interprétation). Le pays doit avoir atteint une taille, une dimension critique pour s’offrir le privilège d’une révolution : l’Égypte l’a.

Plaque tournante de l’économie arabe et africaine

Sur le plan socio-économique, l’Égypte est un pays émergent. Avec son million de km2, ses 84 millions d’habitants, sa langue officielle et sa monnaie en propres (l’arabe et la livre égyptienne), une espérance de vie de 73 ans, un taux d’alphabétisation de plus de 72%, une religion majoritaire (l’islam sunnite), un PIB en PPA de plus de 6 000 $ par habitant (en 2011), son taux de chômage de 12%, une sectorisation plutôt dynamique de son économie (agriculture : 31.7%, industrie : 23% et services : 45.3%). Mais aussi des problèmes importants de pauvreté, de disparités entre les couches de la population, de corruption, qui n’empêchent cependant pas au pays de garder un potentiel indiscutable. L’Égypte disposant d’une population jeune, en pleine expansion, avec un réservoir de main-d’œuvre bien éduquée. Sa position géographique stratégique, qui fait de ce pays la plaque tournante de l’économie arabe et africaine, sans compter son inépuisable attractivité touristique.

L’Égypte est au confluent des manœuvres des grandes puissances

C’est peut-être sur le plan géopolitique que ce pays dispose de sa carte maîtresse. La géopolitique de l’Égypte repose globalement sur quatre piliers : le Nil, l’histoire, le canal de Suez et sa position dans le monde arabo-musulman – en particulier au Moyen-Orient. Les développements géopolitiques font effectivement interagir les échelles nationale, régionale et mondiale. L’Égypte vit autour d’un axe vertical – le Nil – qui le projette en Afrique, et il se prévaut d’être le cœur d’un axe horizontal – le monde arabe. A ce titre, l’université Al-Azhar du Caire, fondée en 969 par les sultans fatimides, accrédite cette présomption. L’université Al-Azhar occupe une place essentielle en Égypte, où elle est au centre de la vie spirituelle, mais aussi politique. A ces deux dimensions géopolitiques, on peut ajouter une troisième, diagonale : L’Égypte est, depuis longtemps, au confluent des manœuvres des grandes puissances, aussi bien occidentales qu’asiatiques. À ces dimensions de verticalité, de centralité et de «?diagonalité », on doit ajouter la profondeur que donne l’histoire millénaire à un pays où la représentation de la grandeur se nourrit de l’héritage de la période pharaonique.

Ils veulent bouleverser leur environnement réel

On l’a déjà dit : les gens font la révolution parce qu’ils rêvent de changer la donne politique de leur pays en profondeur. Ils veulent bouleverser leur environnement réel, c’est-à-dire là où ils naissent, vivent, aiment et meurent. Ils entendent mettre en chantier les cadres institutionnel, économique, social, démographique, culturel de leur nation, afin qu’il en sorte une nouvelle civilisation matérielle, une nouvelle sociabilité, un nouvel imaginaire. Tel est le programme de l’idéal révolutionnaire, qui est soutenu par deux pulsions contradictoires du peuple : l’espérance, qui lui permet de secouer la fatalité historique, et la peur de se perdre et perdre ses droits pour toujours. C’est la densité de cette contradiction qui exprime le plus profondément, la nature à la fois philosophique et politique d’une Révolution.

Changer l’Egypte demande du temps

Mais dans la réalité, changer l’Égypte, instaurer un régime démocratique stable, rénover les structures de l’Etat, impulser le développement économique, assurer la justice sociale, demande du temps, des efforts, des luttes continues. Pour faire une comparaison qui n’est évidemment pas complètement pertinente, les objectifs de la Révolution française de 1789 ont mis un siècle avant de se traduire par une République stable et démocratique – et encore avec beaucoup de limites. Longtemps, les Français se sont simplement contentés de faire bouger les principes et le gouvernement de leur pays, et non la substance de la société – toujours en proie à des tensions très fortes, notamment entre classes sociales : La monarchie absolue de droit divin a cédé la place aux droits de l’Homme.

Le peuple égyptien a démontré sa grandeur et son courage

Aucune force politique ne peut imposer son hégémonie sur l’Etat si elle ne dispose pas d’un projet clair. « L’islam est la solution », ont proclamé les Frères musulmans durant des décennies. Une fois au pouvoir, ils se sont rendu compte qu’il n’est pas possible de traduire un tel slogan dans le domaine économique. Et nul ne pouvait penser que le peuple égyptien qui s’est révolté contre Moubarak et l’a renvoyé en dix-huit jours, accepterait un régime similaire dans lequel les Frères musulmans se substitueraient au Parti national démocratique de l’ancien Président. Le peuple égyptien a démontré sa grandeur et son courage lors de la révolution. Il a en plus montré qu’il restait vigilant afin que ses idéaux soient concrétisés. Il lui reste à établir, sur la durée, qu’il voit beaucoup plus loin que le bout de son estomac.

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