Soudan : Le conflit oublié de l’Afrique, des décennies de sang et de silence


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Silence médiatique en Afrique
Silence médiatique en Afrique

Pendant que le monde braque ses projecteurs ailleurs, le Soudan saigne en silence. En Afrique de l’Est, un peuple endure l’horreur depuis plus de soixante ans, dans l’indifférence presque totale. Des millions de morts, des enfants sans avenir, des femmes violées, des villages rasés. Pourtant, le nom du Soudan reste absent des gros titres. Pourquoi ?

Le Soudan est devenu indépendant en 1956. À peine un an plus tard, il sombre dans sa première guerre civile. Ce fut le début d’un long cauchemar.

Première guerre civile (1955-1972)

Ce conflit opposa le gouvernement central, dominé par les élites du Nord, aux populations du Sud, chrétiennes ou animistes. La guerre fit plus d’un million de morts et dura 17 ans. Elle prend fin avec l’accord d’Addis-Abeba, qui accorde une autonomie relative au Sud.

Seconde guerre civile (1983-2005)

La paix fut de courte durée. En 1983, le régime impose la charia à tout le pays et supprime l’autonomie du Sud. Ce fut le retour de la guerre. Résultat : 2 millions de morts et 4 millions de déplacés. Le conflit s’acheve en 2005 avec un accord de paix mondial, ouvrant la voie à l’indépendance du Soudan du Sud en 2011.

Guerre du Darfour (2003-2020)

Au même instant, une autre tragédie se déroulait à l’ouest du pays. Des groupes rebelles du Darfour furent violemment réprimés par les milices janjawids, soutenues par le régime de Khartoum. Le conflit aurait fait environ 300 000 morts selon l’ONU, et est qualifié de génocide par plusieurs observateurs. Mais qui s’en souvient aujourd’hui ?

2023 : La guerre des généraux, la guerre des ténèbres.

Le 15 avril 2023, une nouvelle guerre éclate à Khartoum. Cette fois, ce sont deux anciens alliés qui s’affrontent : Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée régulière (FAS), Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti, chef des Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire redoutée.

Ce conflit fratricide, à l’origine d’un coup d’État raté, s’est rapidement transformé en guerre totale. Et les civils en payaient le prix. Les chiffres sont effrayants :

  • Plus de 150 000 morts en un an, selon des sources humanitaires.
  • Environ 13 millions de déplacés internes ou réfugiés : un triste record mondial.
  • Des villes entières rasées : Khartoum, Nyala, Al Fasher, Geneina , etc.
  • Des hôpitaux, écoles et marchés ciblés.
  • Une famine aiguë qui menace plus de 18 millions de personnes.
  • Et surtout, l’arme du viol.

Dans les zones contrôlées par le FSR, les rapports de l’UNICEF et d’Amnesty International sont glaçants :

  • Femmes violées en public devant leurs enfants.
  • Viol collectif comme stratégie de terreur.
  • Cas d’enfants violés dès l’âge d’un an.
  • Esclavage sexuel dans des maisons de commandants.

Ces faits devraient faire la une de tous les journaux. Et pourtant…

2025 : l’escalade continue dans le silence

Début avril 2025, un massacre de masse a été signalé à El Fasher, capitale du Darfour-Nord. Selon Médecins Sans Frontières et l’ONU, les combats entre les FSR et l’armée régulière ont causé plus de 800 morts en une semaine, dont de nombreuses femmes et enfants.

Les hôpitaux de la ville, déjà sous-équipés, ont été bombardés. Les humanitaires, pris pour cible, ont dû fuir. Les témoignages faisaient référence à des civils fuyant à pied sous les tirs, certains abattus alors qu’ils tentaient de franchir les frontières.

Et pourtant, aucune réunion d’urgence du Conseil de sécurité. Aucune vague médiatique. Comme si 2025 avait décidé d’ignorer encore une fois la tragédie soudanaise.

Pourquoi personne n’en parle ?

Fatigue médiatique sur l’Afrique noire : Le Soudan n’est ni l’Ukraine, ni Gaza. Les caméras s’y installent rarement. Les journalistes freelances africains manquent de soutien. La presse occidentale préfère les récits où ses propres intérêts sont en jeu.

Absence d’intérêts stratégiques : Le Soudan n’a plus de pétrole (il est au Sud), ni de leader « ami de l’Occident ». Pas d’OTAN, pas de G7, pas de fortune à défendre. Donc pas de discours, pas de sommets, pas de trêve humanitaire sérieuse.

Le silence de l’Afrique elle-même

Où sont les voix de l’Union africaine ? Où sont les présidents indignés ?

L’Afrique regarde ailleurs. Trop occupée, ou trop impuissante ? Peut-être les deux.

Ce conflit est un scandale moral et humanitaire majeur. Il ne peut rester dans l’ombre. Il ne faut pas passer. Chaque victime oubliée est une injustice ajoutée à l’Histoire.

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