Soudan: « la situation au Darfour est hors de contrôle »


Lecture 6 min.
arton13615

Les milices soutenues par le gouvernement soudanais mènent une offensive dans la région nord de l’Ouest-Darfour où vivent des milliers de réfugiers. Pour échapper à la mort, ces derniers fuient vers le Tchad où leur avenir demeure incertain.

L’offensive menée par les milices soutenues par le gouvernement dans la région nord de l’Ouest-Darfour se sont soldées par la destruction de deux localités qui abritaient des milliers de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), selon certaines sources.

Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs travailleurs humanitaires présents dans la région ont indiqué que les assaillants avaient « incendié et réduit en cendres » les localités d’Abou Sorouj et de Sirba, situées à environ 55 kilomètres au nord d’El Geneina, la capitale de l’Ouest-Darfour.

Le général Martin Agwai, commandant de la mission des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD), a confirmé les attaques. « Dans le village d’Abou Sorouj, de nombreuses maisons ont été incendiées et d’après les premiers témoignages que nous avons recueillis, il y aurait eu des morts ». « Cela risque d’entraîner le déplacement d’un très grand nombre de villageois et d’aggraver une situation humanitaire déjà difficile », a prévenu le général Agwai.

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), après les attaques, pas moins de 12 000 personnes ont fui pour gagner le Tchad voisin.

L’attaque du 8 février a été condamnée par le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, qui a appelé les parties au conflit du Darfour à respecter les principes du droit humanitaire international, qui interdit toute attaque militaire contre les populations civiles.

Pour sa part, Human Rights Watch (HRW) a indiqué que les attaques avaient fait plus de 150 morts et que des milliers de personnes étaient sans nourriture ou sans abri. « Le gouvernement soudanais montre une fois de plus son manque total de considération pour la sécurité des populations civiles », a déclaré Georgette Gagnon, directrice Afrique au HRW. « Cette reprise des attaques à grande échelle contre des villages sera catastrophique pour les populations civiles du Darfour parce que ces dernières sont complètement sans défense ».

Des villageois coupés de l’aide humanitaire

Depuis le mois de décembre 2007, le couloir nord de l’Ouest-Darfour a été le théâtre de plusieurs affrontements entre l’armée gouvernementale soudanaise et les rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), qui avaient pris le contrôle de quelques villages stratégiques, au nord d’El Geneina, en décembre.

D’après HRW, ces combats ont coupé quelque 160 000 civils de l’aide humanitaire. « Dans l’Ouest-Darfour, la population est totalement à la merci des groupes armés », a expliqué Mme Gagnon. « Les forces de police du gouvernement soudanais se sont retirées de la région en décembre à cause des combats et la force des Nations Unies n’a tout simplement pas les moyens de protéger cette population ».

Les localités d’Abou Sorouj et de Sirba abritaient au moins 40 000 PDIP, qui avaient fui l’insécurité dans les villages environnants en 2004. Quelque 4 000 PDIP supplémentaires sont arrivés la semaine dernière, selon MedAir, une organisation non-gouvernementale qui prodigue des soins médicaux dans le camp de déplacés.

Selon Amnesty International, l’attaque a été menée par de très nombreux assaillants, notamment des miliciens Janjaouids se déplaçant à cheval ou en voiture, alors que neuf avions militaires survolaient la région.

Considérant ces dernières attaques comme un test important pour la MINUAD, qui a remplacé la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS) le 31 décembre, mais dont les forces restent encore regrettablement sous-équipées, Amnesty International a appelé la MINUAD à assurer la protection des populations civiles de Sirba et d’Abou Sorouj.

« Le Conseil de sécurité [des Nations Unies] doit appeler le Soudan à se conformer au droit international humanitaire, en assurant à tout moment la protection des populations civiles, et doit demander aux rebelles du MJE de ne pas mettre en danger la vie de ces populations en cantonnant leurs éléments armés dans les zones occupées par des civils », a déclaré Tawanda Hondora, directeur adjoint du programme Afrique d’Amnesty International, le 8 février.

« Deux poids, deux mesures »

À New York, Jan Eliasson, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies pour le Darfour, a déclaré devant le Conseil de sécurité que les troubles au Tchad et la violence au Darfour avaient entravé les efforts de paix et pourraient faire obstacle aux opérations de la MINUAD.

« La résolution de la crise du Darfour exige un contexte favorable à la paix », a déclaré M. Eliasson, appelant à une cessation des hostilités dans le Darfour, où les combats ont fait quelque 200 000 morts et contraint plus de deux millions de personnes à fuir, depuis 2003.

« Outre qu’elle ne fait que prolonger la souffrance de millions de civils et qu’elle complique le processus de paix, la poursuite des hostilités aura des conséquences négatives pour le déploiement […] et empêchera la mission de remplir son mandat », a déclaré devant le Conseil de sécurité Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général ajoint pour les opérations de maintien de la paix.

Quant au gouvernement soudanais, il a accusé les émissaires des Nations Unies de pratiquer la politique du « deux poids deux mesures », arguant que son armée avait attaqué la région pour déloger les rebelles du MJE et pour rétablir la sécurité dans des localités que des combattants rebelles avaient attaquées et d’où ils avaient chassé les forces de police soudanaises.

« En plus des problèmes liés aux récents événements au Tchad et de leurs incidences sur la situation au Darfour, nous recevons des informations qui font état d’attaques de l’armée soudanaise et de groupes de miliciens contre des villages de l’Ouest-Darfour », a déclaré M. Eliasson devant la presse, à l’issue de la réunion du Conseil de sécurité.

« La situation est hors de contrôle. Nous ne pouvons pas poursuivre le dialogue politique si nous n’avons pas un contexte, un climat propice aux négociations ».

À propos de la MINUAD, M. Guéhenno a déclaré : « Nous avons une mission qui est sous-équipée, mais qui fait son possible malgré une situation très difficile. Elle fait face à une situation très dangereuse car […] il y a en réalité une sorte de guerre dans l’Ouest-Darfour. Il est dangereux pour une force de maintien de la paix de se déployer pendant une guerre », a-t-il affirmé.

Les forces de la MINUAD, a-t-il poursuivi, ne disposent actuellement que de moyens limités. « Les populations du Darfour attendent tout de nous », a dit M. Guéhenno. « Nous voulons bien leur donner ce à quoi elles aspirent, mais nous n’en sommes pas capables pour le moment ».

Photo: OCHA/Jennifer Abrahamson

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News