Sommet Russie-Afrique : les effets d’annonce auront du mal à masquer la pauvreté de la relation


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Sommet de Sotchi
Sommet de Sotchi

Du 26 au 29 juillet prochain, décideurs africains et russes se retrouveront à Sotchi sur la mer Noire pour le 2e Forum économique et humanitaire Russie-Afrique. Un grand rendez-vous diplomatique pour une Russie habituée à faire le grand-écart entre promesses et réalité.

D’un côté, la Russie, en délicatesse sur la scène internationale mais en position de force dans certains pays d’Afrique. De l’autre, une cinquantaine de délégations africaines que Moscou veut séduire à tout prix. En 2019, la première édition de ce Forum avait été un succès en termes diplomatiques même si la Russie n’a pas accru, en 4 ans, son poids économique en Afrique. Fin juillet donc, la deuxième édition du Forum économique de Sotchi tentera de faire oublier le sur-place réalisé par Moscou.

Quel est le vrai poids de la coopération entre la Russie et l’Afrique ? Si Vladimir Poutine a placé ses pions dans de nombreux pays comme la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso grâce à la milice Wagner, les partenariats concrets se font attendre pour le développement des services ou de l’agriculture. Car dans les faits, la Russie reste un acteur mineur pour le développement des économies africaines. Le grand-écart entre annonces et réalité est abyssal.

1% des investissements directs et 2,4% des échanges commerciaux

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : comment la Grande Russie – qui ne dispose que d’un PIB de 1779 milliards de dollars, à peine supérieur à celui de l’Espagne – peut-elle se voir en partenaire privilégié d’un continent tout entier qui dispose d’incroyables richesses ? Car les rôles ne doivent pas s’inverser : en réalité, c’est la Russie qui a besoin de l’Afrique et non l’inverse, surtout en cette année 2023 qui a vu l’économie russe se contracter de 1,9% au premier trimestre, notamment à cause du plafonnement du prix du pétrole.

Continuons de détailler les chiffres. « La Russie investit peu en Afrique, contribuant à moins de 1% des investissements étrangers directs (IDE) destinés au continent, précise Joseph Siegle de l’ISPI (Institut italien d’études politiques internationales). Cela montre l’engagement limité de la Russie envers l’Afrique. Les engagements économiques de la Russie en Afrique sont principalement basés sur le commerce. Cependant, cela aussi est modeste à seulement 14 milliards de dollars – contre 295 milliards avec l’Union européenne, 254 milliards avec la Chine et 65 milliards avec les États-Unis ».

Pire encore, les chiffres globaux des échanges commerciaux entre notre continent et la Russie font peine à voir : malgré les effets d’annonce du premier Forum Afrique-Russie en 2019, les échanges ne décollent pas, la Russie ne représentant que 2,4% des échanges commerciaux du continent, échanges totalement déséquilibrés puisque les exportations russes vers l’Afrique représentent 7 fois le niveau des exportations africaines vers la Russie. L’Afrique n’exporte en effet presque rien vers la Russie – mis à part des produits frais et quelques métaux précieux – tandis que la Russie exporte principalement des céréales et des armes. Et pas à n’importe qui : la quasi-totalité des exportations russes est dirigée vers l’Afrique du Sud, l’Algérie ou l’Égypte. Nous sommes bien loin de ce que les médias nous montrent en permanence : les peuples du Sahel par exemple, gangrénés par la violence et si prompts à brandir des drapeaux russes à Bamako ou Ouagadougou, ne sont absolument pas concernés par de quelconques partenariats russo-africains. La Russie n’est pas présente dans ces pays pour le bien-être des peuples, mais pour maintenir au pouvoir leurs dirigeants issus de coups d’État.

L’Afrique a besoin de savoir-faire, pas d’acheter des produits

La Russie vend donc son blé à plusieurs pays d’Afrique. L’Égypte, le Soudan, le Nigeria, la Tanzanie, l’Algérie, le Kenya et l’Afrique du Sud importent à eux seuls 50% du blé russe importé chaque année sur le continent. Mais ce n’est pas de blé ou de farine dont les pays d’Afrique ont besoin, mais des technologies et du savoir-faire agricole pour transformer nos pays en zone de production et de transformation. L’aide au développement ne se fera que de cette façon ; nous contraindre à acheter des produits finis n’apportera aucune souveraineté à nos pays.

C’est en tout cas la position de certains observateurs africains, comme Ludovic Tapsoba, secrétaire général adjoint de l’Association des anciens étudiants et stagiaires de l’Ex-URSS, initiateur d’une rencontre à Ouagadougou début juin, destinée à mettre sur la table ce que les délégations africaines devraient demander à Sotchi en juillet prochain : « L’Afrique a d’énormes potentialités, toute coopération doit se tourner autour des actions qui seront profitables aux deux parties. Pour nous, il ne s’agit pas pour l’État burkinabè d’aller demander à la Russie l’octroi de la farine de blé moins chère, mais d’aller demander la technologie dans le cadre d’un partenariat pour transformer véritablement cette zone agricole en un lieu de production et d’exportation de blé. Nous interpellons donc les plus hautes autorités de l’Afrique afin d’éviter d’aller faire du tourisme en Russie lors de ce forum. Il faut oublier la politique de la main tendue dans ce monde multipolaire. Il faut y aller avec des projets bien ficelés et travailler d’égal à égal. Il faut y aller la tête haute ».

Le problème, c’est que des pays comme la Centrafrique, le Mali ou le Faso – et demain bientôt le Tchad –, sont en train de tomber dans le même piège : leurs chefs se rapprochent de la Russie pour asseoir leur pouvoir et payent les mercenaires russes de Wagner en délivrant des licences d’exploitation pour l’extraction de l’or ou les bois précieux. Les populations civiles, elles, ne voient jamais les bénéfices de cette soi-disant « coopération » avec Moscou. Elles en subissent même parfois les conséquences comme cela a été le cas lors des massacres de Moura (Mali) en mars 2022 ou de Karma (Burkina Faso) en avril dernier où le rôle des « soldats blancs » de l’organisation paramilitaire russe ne semble guère faire de doute.

À quoi va servir Sotchi 2023 ?

Probablement à rien, mis à part à diffuser une belle photo de famille avec Vladimir Poutine en chef d’orchestre. Car nos frères africains ne doivent pas s’y méprendre : la Russie ne sera pas là pour promouvoir des élections dans les pays qui en ont le plus besoin. Non. Elle recevra les délégations africaines pour jouer sa carte : elle ne pense qu’à ses intérêts propres, ce qui est fort logique après tout. « Je tiens à souligner que notre pays a toujours accordé et continuera d’accorder la priorité à la coopération avec les États africains, a encore déclaré Vladimir Poutine en mars dernier. Notre pays est déterminé à poursuivre la construction d’un partenariat stratégique au plein sens du terme avec nos amis africains, et nous sommes prêts à façonner ensemble l’agenda mondial. » Dans sa hotte à promesses, le leader russe a dégainé ses ritournelles habituelles : accentuation de la coopération dans l’énergie, doublement des quotas d’étudiants africains dans les universités russes…

Les plus naïfs prendront ces promesses au pied de la lettre. Les plus cyniques pourront toujours se dire que – en partant d’aussi bas en termes des échanges commerciaux réels et d’investissements directs – la marge de progression est gigantesque et porteuse de promesses. En fin de compte, la seule chose facile à prédire à quelques semaines du sommet de Sotchi en juillet, c’est la future avalanche d’articles dans les médias africains inféodés aux quelques présidents pro-russes, glorifiant leur allié. Mais il ne faudra pas tomber dans le panneau : il n’y a aucune raison pour que le Kremlin change une recette gagnante. En Afrique, elle ne fait rien mais fait croire qu’elle fait tout. Et ça, c’est une vraie réussite.

Par Amadou Coulibaly

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