Sitou Koudadjé : Acheter mes disques est un acte militant


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Après « 21 grams » sorti en 2031 et « Is that Jazz/Rap ? » sorti en 2051, le rappeur Sitou Koudadjé revient, cette année 2071 (comprenez 2013, 2015 et 2017), avec son 3e album : « Chansons cardiaques ». Depuis 20 ans qu’il rappe, l’artiste d’origine togolaise se caractérise par des textes profonds et souvent tristes, sur des beats hip-hop, jazzy mélodieux et recherchés. Pour Afrik.com, et avec générosité, le jeune parisien de 35 ans se penche pour nous sur son nouveau bijou musical autoproduit.

Afrik.com : Vous venez de sortir votre 3e album « Chansons cardiaques »? Pourquoi ce titre ?

Sitou Koudadjé : Je trouvais le titre super simple et en même temps très efficace. L’explication est du coup toute simple elle aussi: il s’agit de morceaux qui viennent du cœur d’où l’adjectif cardiaque. Un recueil de pensées et d’images qui m’ont traversées depuis 2/3 ans environ. Avec une couleur particulière, un champ lexical qui a un peu évolué depuis « IS THAT JAZZ/RAP?! » et « 21GRAMS ».

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous inspire lors de la création de vos morceaux ?

Sitou Koudadjé : Je puise mon inspiration dans mes expériences personnelles et celles de mes proches. Tout ce que je vois qui me révolte ou m’interpelle, m’attriste ou me fait sourire participe aussi au
processus de création. Ce qui est très paradoxal c’est peut être que l’écriture se fait aujourd’hui et toujours dans la douleur, dans une forme d’urgence viscéral pour moi, c’est un besoin impérieux qui s’impose à moi, certainement pour les raisons que j’ai cité plus haut, pourtant c’est également un exercice duquel je retire beaucoup de plaisir. Mes œuvres se nourrissent fondamentalement des injustices qui me touchent, de la question noire et de la violence faite aux petits. C’est en quelque sorte ma pierre à l’édifice, mon regard sur la société et le monde.

Afrik.com : Récemment en France, des agressions policières touchant de jeunes noirs ont fait la une de l’actualité. Vous avez vous-mêmes été à la place de ces jeunes gens il y a quelques années. Quelle est votre première réaction lorsque vous apprenez ces actes racistes, prendre votre stylo pour écrire un morceau à ce sujet ?

Sitou Koudadjé : Comme disait un artiste rap il y a quelques années « mon étoile jaune, je la porte dans ma peau » en référence à l’étoile des Juifs déportés durant la seconde Guerre Mondiale. Les violences policières sont permanentes. Après ces affaires qui, elles, ont été médiatisées, les flics s’en vantaient dans les quartiers, menaçant les gosses de leur faire la même chose qu’à Théo! Ce qui se passe en prison est terrible aussi, en raison notamment de l’opacité de ce milieu. Ce mépris ne fait pas de pause, c’est vraiment révoltant, et la plupart des affaires de meurtre ou de d’agression ne sont pas médiatisées, voilà tout. Les familles qui demandent justice sont très souvent esseulées, elles sont usées par des années de procédures « stériles ». Moi, je suis toujours un de ces « jeunes » et le serais aussi longtemps que la police sera raciste et fasciste, et aussi longtemps que la justice sera complice.

Afrik.com: Actuellement, le Togo dont vous êtes originaires, vit des heures assez sombres. Vous êtes proches de ce pays où vous avez vécu durant votre jeunesse mais vous n’y résidez plus. Comment vivez-vous ses évènements alors que vous êtes à distance ?

Sitou Koudadjé : Je suis d’origine togolaise, les parents sont tous deux originaires de ce pays qui pour aussi loin que je me souvienne a toujours connu ce climat tendu, sa liberté et son autodétermination confisquées, une indépendance de façade comme dans de nombreux pays africains. J’ai toujours connu cette omerta et la suspicion, la violence du pouvoir pour étouffer les espoirs légitimes de tout un peuple. Les manifestations pacifiques réprimées dans le sang, les
élections truquées validées par la France, etc… Aujourd’hui une nouvelle génération est dans la rue, les filles et les fils de ceux qui ont marché il y a plusieurs dizaines d’années pour dire non à Eyadema ; elle porte le nouveau visage de l’opposition au Togo. Comme je suis loin, je lis les réactions des uns et des autres sur les réseaux sociaux, discute avec des amis du pays pour me faire une opinion la plus juste possible.

Afrik.com : Vous êtes un artiste indépendant, ce qui signifie que vous vous autoproduisez. Après ce 3e album, souhaitez-vous toujours continuer en indépendant ? N’es ce pas trop épuisant d’avoir à tout gérer, au-delà du volet artistique de création ?

Sitou Koudadjé : Si l’indépendance est une fierté c’est aussi un choix par défaut (évidemment j’aurais aimé signé un « petit » deal et bénéficier du soutien d’une structure musicale) mais c’est aussi une chance incroyable. Je suis le maître et le responsable de mon œuvre. Je me forme par la force des choses et à mon petit niveau au métier de producteur. Je sollicite des collaborateurs (qui sont ou deviennent des amis) dans tous les domaines pour pallier aux compétences que je n’ai pas. C’est beaucoup de boulot du coup, parce que je dois gérer cet aspect indispensable du boulot en plus de toute la partie artistique, mais c’est vraiment passionnant. Je progresse à chaque projet et que mes erreurs me font grandir. L’indépendance c’est une école mais aussi un milieu vivant avec beaucoup de talents avec lesquels je travaille: Underground conspiration, No Ruff, Première Ligne, Spiral prod, Cons Maf, Kiddam, S.A, Mod Efok, Horus Qa, Jean Baptiste, Elom20ce et les autres. Le point commun c’est l’artisanat dans la démarche. J’ai l’habitude de nous décrire comme l’underground de l’underground puisqu’on a accès à moins de scènes que les artistes underground qui tournent. On représente un modèle économique alternatif. Et en gros, bien souvent, si on veut jouer nos morceaux, on doit organiser nos propres events, se rapprocher de petits artistes qui partagent nos préoccupations, et/ou nos difficultés, qui se heurtent au même refus et au même snobisme des gens en place. Du coup, acheter mes disques relève de l’acte militant !

Afrik.com : Les morceaux n°2 « Je ne m’excuserai pas d’avoir faim », le n°3 « J’ai vu comment ces gens te regardent quand tu n’es personne » et le n°11 « J’ai perdu de ma superbe » sont des chansons phares de votre 3e album. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus créatif qui vous emmènent à parler de tel ou tel sujet ?

Sitou Koudadjé : Le titre « Je ne m’excuserai pas…  » est la suite du morceau de même nom qui est présent sur la compilation MAXIMUM BOYCOTT 4 produite par DE BRAZZA RECORDS. C’est un titre qui annonce la couleur, mon état d’esprit et ma philosophie de vie: Non je m’excuserai pas d’être qui et comme je suis, de penser comme et ce que je pense. D’aimer qui et ce que j’aime et de détester qui et ce que je déteste. Le rap et la chanson sont mon média je suis libre de le pratiquer de la façon que je juge la meilleure. Le titre est produit par Monsi du 6. Ensuite, le titre « J’ai vu comment… » parle de lui-même : c’est de l’orgueil pur, de celui qui aide et sauve, de celui qui te fait te se sentir mieux et te battre. C’est une chanson pour les anonymes et les petites gens, une façon de dire je suis comme toi, toi, toi et toi. C’est au fond, comme une façon de dire: Allez, les gars! Venez on y va! Ne laissez personne vous dire que vous n’êtes pas capables ou pas beaux… Le morceau est produit par Sheety. Enfin, « J’ai perdu de ma superbe… » C’est un morceau un peu nostalgique d’un type qui fait une pause et qui jette un regard sur ce qu’il a vécu, ses choix, ses erreurs et ses rêves avortés. Le morceau est produit par Sheety également.

Afrik.com : Le morceau n°7 de l’album évoque la « Putain de vie d’artiste » que vous vivez au quotidien. Comment la vivez-vous justement ?

Sitou Koudadjé : (Sourire) C’est un titre important qui a eu un gros impact autour de moi. Il a vraiment marqué les différents auditeurs de l’album. En fait, ce morceau c’est un monologue, un soliloque, c’est un peu le miroir du titre « Je ne m’excuserai pas… » C’est pourquoi il est si important pour moi. C’est la caution de mon travail dans la musique depuis toutes ces années. Morceau produit par Kofi que j’apprécie aussi beaucoup humainement et musicalement parlant. La boucle est bouclée.

Afrik.com: Travaillez-vous actuellement sur de futurs projets ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sitou Koudadjé : J’ai quelques morceaux pour le prochain album qui s’appelera TWILIGHT ZONE. J’ai déjà écrit pas mal de titres. Mais j’ai aussi envie d’écrire d’autres choses et que mon travail de
réflexion et de questionnement du monde, des hommes et de la société prenne d’autres formes, aille dans d’autres sphères. Je commence à sentir le besoin de sortir de ma zone de confort mais tout en continuant à produire de bons albums.

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