Sida : « le gouvernement d’Afrique du Sud semble déterminé à se discréditer aux yeux du monde »


Lecture 6 min.
arton12292

Madlala-Routledge, la vice-ministre sud-africaine de la Santé, a été limogée la semaine passée sans raison officielle. Elle s’était atttachée depuis son arrivée en 2004 à rétablir les liens entre les activistes du sida et un gouvernement discrédité par ses prises de positions sur cette pandémie.

Johannesbourg

Lors d’une conférence de presse, vendredi dernier, à Cape Town, la vice-ministre sud-africaine de la Santé a affirmé que le Président Thabo Mbeki l’avait limogée « tout simplement parce qu’elle avait fait son travail ». Mme Madlala-Routledge a été nommée vice-ministre en 2004 ; or, il est rapidement apparu que ses prises de position sur l’épidémie du VIH/SIDA étaient à l’opposé de celles du président Thabo Mbeki et de sa ministre de la Santé Manto Tshabalala-Msimang.

Cette dernière préconisait un mélange de jus d’ail et de citron comme remède aux premiers symptômes de la maladie qui, selon les dernières estimations gouvernementales, touche 5,41 millions de Sud-Africains.

« Un recul considérable dans la lutte contre la pandémie »

En tant que vice-ministre de la Santé, Mme Madlala-Routledge a cherché à rétablir les liens entre le gouvernement et les activistes du sida à travers un plan quinquennal global sur le VIH/SIDA qui visait à modifier certaines prises de positions très controversées des autorités sud-africaines sur la question de la pandémie. Stephen Lewis, envoyé spécial pour le VIH/SIDA en Afrique de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a indiqué au Business Day, un quotidien économique sud-africain, que le limogeage de Mme Madlala-Routledge « représentait un recul considérable dans la lutte contre la pandémie, un coup redoutable porté tant à ceux qui se battent à l’intérieur du pays, contre la maladie, qu’aux observateurs extérieurs qui suivent son évolution en Afrique du Sud. Le gouvernement de l’Afrique du Sud semble déterminé à se discréditer aux yeux du monde entier ».

« Cette décision va choquer tout le monde. Nous avions cru que le revirement opéré en 2006 signifierait un réel changement, mais il est tout à fait clair qu’avec la réapparition du ministre de la Santé [Mme Tshabalala-Msimang], les choses vont dans le sens contraire ».
En février 2007, Mme Tshabalala-Msimang avait pris un congé pour subir une greffe du foie ; mais plutôt que de nommer Mme Madlala-Routledge au poste de ministre de la Santé par intérim, c’est le ministre des transports Jeff Radebe qui a été chargé de la supervision du ministère de la Santé.

Mme Tshabalala-Msimang avait regagné son poste peu de temps avant le début de la troisième Conférence sud-africaine sur le VIH/SIDA, en juin, mais s’était retirée de la conférence estimant qu’on avait donné un rôle plus important à sa vice-ministre ; des allégations contestées par les organisateurs qui ont indiqué qu’ils avaient invité la vice-ministre à prendre la parole lors de la séance d’ouverture.

Les causes de son limogeage

Bien que la Présidence ait refusé de révéler les causes du limogeage de Mme Madlala-Routledge, l’ancienne vice-ministre de la Santé a indiqué lors de la conférence de presse qu’elle avait été pénalisée « pour avoir rendu une visite impromptue le 13 juillet 2007 à l’Hôpital de Frere [à London East] et pour la réponse à la situation désastreuse dans laquelle j’ai trouvé le service de maternité ».

Cette visite de l’hôpital a été motivée par une enquête menée par un journal local, le Daily Dispatch, qui avait découvert un taux de mortalité infantile très élevé : au moins 2 000 nouveau-nés morts au cours des 14 dernières années. Suite à sa visite à l’hôpital la vice-ministre avait déclaré que le service de maternité, débordé, était une « urgence nationale ».

Dans les jours qui ont suivi, ces déclarations ont d’abord été vivement critiquées par Mme Tshabalala-Msimang, selon laquelle les propos de la vice-ministre ne reflétaient pas la réalité, puis par M. Mbeki, dans son bulletin d’information hebdomadaire publié sur le site Internet du Congrès national africain (ANC).

« En disant que la situation constituait une urgence nationale je me suis basée sur le triste constat que certaines morts pouvaient être évitées, et que la situation que j’ai observée n’était pas un cas isolé qui concernait uniquement l’hôpital Frere », a dit Mme Madlala-Routledge aux journalistes lors d’un point de presse.

L’autre raison évoquée par Mme Madlala-Routledge pour expliquer son limogeage était « le voyage très médiatisé que j’ai effectué à Madrid pour participer à une conférence organisée par… l’Initiative internationale pour un vaccin contre le sida ».

« Ce qui est en cause ici c’est le fait que je me suis rendue à Madrid sans la permission du président », a dit Mme Madlala-Routledge à la presse. « Quand je me suis rendue compte que le voyage n’avait pas été approuvé par le président, j’étais face à un gros dilemme parce que le voyage coûtait très cher, mais je ne pouvais pas défier le président en participant à la conférence. Alors je n’y ai pas participé… J’ai pris le premier vol retour disponible ».

Réactions au limogeage de Mme Madlala-Routledge

Sa révocation, la veille de la Journée de la femme, a provoqué des réactions en Afrique du Sud et beaucoup pensent que la vraie raison de ce limogeage était son point de vue sur le VIH/SIDA, qui était différent de celui de M. Mbeki et de Mme Tshabalala-Msimang.

Selon un communiqué de la campagne d’action pour les traitements – Treatment Action Campaign, en anglais – (TAC), qui a été le fer de lance de la lutte pour l’accès universel au traitement antirétroviral en Afrique du Sud, « ceci [la révocation de Mme Madlala-Routledge] est une terrible erreur de jugement qui sera néfaste pour la santé publique et surtout pour la lutte contre l’épidémie du VIH. C’est la preuve que le président reste opposé à la science du VIH et aux moyens de lutter de manière efficace contre l’épidémie. Nous l’invitons à revenir sur sa décision ».

« Il ne fait aucun doute, le ministre de la Santé et son directeur général [Thami Mseleku] sont les premiers responsables de ce limogeage », a déclaré à quotidien Business Day Zackie Achmat, le président de TAC.

Selon Zwelinzima Vavi, le secrétaire général du Congrès des syndicats sud-africains (Congress of South African Trade Unions, en anglais), dont les propos ont été rapportés dans l’hebdomadaire Mail & Guardian, « en l’absence de toute autre explication convaincante, nous concluons qu’elle a été révoquée à cause de son point de vue sur le VIH/SIDA, qui n’était pas partagé par le président et par le ministre de la Santé. C’est très triste parce que cela veut dire que la mentalité consistant à suivre aveuglement les directives de la hiérarchie va perdurer. Cela va qu’encourager la culture de flagornerie qui existe au sein des ministres du gouvernement et des responsables ».

IRIN/PlusNews n’a pas réussi à obtenir une déclaration officielle. M. Mbeki n’a pas encore désigné de successeur à Mme Madlala-Routledge.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News