Si l’héritage des Noirs Marrons m’était chanté


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L’héritage des Noirs Marrons est capital pour les peuples vivant sur le fleuve Maroni, en Amérique Latine. C’est pourquoi les descendants d’Africains ayant fui l’esclavage le préservent, entre autres au travers de la musique et de la danse. Harold Adoïsse, leader du groupe surinamais Spoity Boys, dévoile le rôle central du tambour dans la culture bushinengué.

Notre envoyée spéciale à Saint-Laurent du Maroni

Que reste-il des Noirs Marrons ? Une culture riche et variée que les peuples du fleuve Maroni, en Amérique Latine, s’évertuent à protéger en conservant leurs langues et leurs traditions. Pour ces descendants d’esclaves ayant fui la servitude, appelés Bushinengués, c’est une façon de transmettre leur précieux héritage. Un héritage que certains ont décidé de partager par delà les mers. Parmi eux, on compte Spoity Boys. En dix ans d’existence, et quatre albums, le groupe surinamais a fait découvrir le kawina au Nigeria, au Brésil, en Hongrie, en France… Harold Adoïsse, le leader du groupe, était présent lors des Transamazoniennes qui se sont tenues en Guyane, du 24 au 26 octobre. L’artiste, également guide touristique, explique le rôle primordial que joue le tambour dans la culture bushinengué et revient sur le parcours des Spoity Boys.

Afrik.com : Comment définiriez-vous la culture bushinengué ?

Harold Adoïsse :
C’est une richesse. Toutes nos musiques viennent des esclaves qui sont venus par bateau. Pour la musique, il y a un petit changement par rapport au tambour d’Afrique, mais on retrouve les mêmes danses, les mêmes sons… La personne qui joue ou danse donne un plus au style mais ça reste toujours la même chose. C’est une richesse qu’il ne faut pas perdre et que nous devons montrer aux autres pour qu’ils nous respectent, comme nous les respectons.

Afrik.com : Peut-on dire que le tambour et la danse sont centraux dans la culture bushinengué ?

Harold Adoïsse :
Oui. Sans le tambour, on n’avait pas vraiment de vie. Dans le temps, on s’en servait pour communiquer et faire passer des messages avec le capitaine (le chef coutumier du village, ndlr), les ancêtres, quelqu’un qui est mort… La danse qui accompagne le tambour nous sert à montrer et exporter notre culture à l’extérieur. C’est pour ça que nous participons à des festivals comme les Transamazoniennes. Pour que les gens voient et reconnaissent notre culture.

Afrik.com : Il existe plusieurs tambours. Choisit-on le sien en fonction de son tempérament ?

Harold Adoïsse :
Pour la musique kawina, il y a le koti, le vali, le timbal, la grosse caisse et la petite. Quand on avait créé le groupe, on avait posé tous les tambours et chaque personne en a choisi un. A partir de là, on voyait comment la personne jouait. En voyant son style, sa manière de faire, on lui disait si tel ou tel tambour lui irait mieux. Il faut souligner que chaque tambour a son propre son et qu’il faut qu’on les entende tous, de même que les voix du chant.

Afrik.com : Diriez-vous que la culture bushinengué est menacée ?

Harold Adoïsse :
Bientôt on aura la route qui vient de Saint-Laurent du Maroni. On sera à une heure de cette ville donc il y a une autre culture qui va nous chambouler un peu. La danse awassa tient toujours. On voit que quelques jeunes aiment l’apprendre. Par ailleurs, des gens se battent pour que l’awassa devienne une matière du bac. Bientôt ils vont intégrer l’awassa, comme la danse créole a été intégrée. A l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres, ndlr), sur Cayenne, ils donnent des cours d’awassa. Cela dit, des jeunes veulent faire du raggamuffin donc ils oublient un peu leur culture. Mais, plus tard, ils retournent aux sources. La culture bushinengué est un réel mouvement.

Afrik.com : Certains estiment que la façon authentique de jouer du tambour se perd…

Harold Adoïsse :
Il y a d’autres groupes de kawina qui ont ajouté de la guitare, de l’orgue à la musique traditionnelle… Mais nous avons gardé la base, le style ancien. Pour être sûrs de bien faire, on va voir les anciens et on leur demande conseil. Parfois, lorsqu’on répète, ils viennent et nous disent si ce n’est pas comme ça qu’il faut taper, mais plutôt comme ça. Comme ça ils savent que, si on va à l’étranger, ce qu’on va faire là-bas sera bon. Et quand on revient au pays, ils nous accueillent et nous félicitent. Ils nous disent « Merci les gars, vous avez fait du bon travail ». Ils sont fiers de nous.

Afrik.com : Quels thèmes abordent les Spoity Boys dans leurs textes ?

Harold Adoïsse :
Nous chantons des messages pour les jeunes. Pour qu’ils aillent à l’école, pour qu’ils ne fassent pas de mal aux autres. On parle aussi d’amour, beaucoup d’amour, de la vie de tous les jours…

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi le kawina ?

Harold Adoïsse :
Le kawina est une musique du [fleuve] Maroni qui est pratiquée à Paramaribo (la capitale du Surinam, ndlr) mais c’est moi qui, le premier, a décidé de faire cette musique sur le Maroni. Les autres faisaient de l’aléké, de l’awassa, du songué… toutes les autres danses, sauf le kawina. Certains se disaient que c’était nouveau mais ça ne l’était pas. Mon papa le pratiquait et moi j’ai appris un peu à travers lui. J’ai ensuite appelé mes cousins, mes petits frères, je leur ai appris un peu le kawina avec d’autres… C’est comme ça qu’on a commencé.

Afrik.com : Cela fait dix ans que vous existez. Quel bilan feriez-vous de l’aventure Spoity Boys ?

Harold Adoïsse :
On peut dire que c’est un bilan positif parce qu’en 2006 on était lauréats du concours 9 semaines & 1 jour… En fait, lorsqu’on a créé le groupe, tout de suite ça a captivé le public, il a aimé. Partout où on va, on parle des Spoity Boys. On devait jouer à ces Transamazoniennes, mais on a un de nos gars qui a eu un accident et qui se trouve actuellement sur Paris. On attend donc son retour.

Afrik.com : Pensez-vous également avoir un bilan positif quant à la préservation de la culture bushinengué ?

Harold Adoïsse :
Ce matin, lorsque je suis arrivé, des jeunes m’ont demandé si on jouait. Quand j’ai dit que non, ils ont trouvé ça dommage. Ils nous aiment parce qu’ils voient qu’on est plus âgés qu’eux et qu’on a gardé notre culture. D’autres viennent parce qu’ils veulent prendre des cours pour faire comme nous. Certains jouent de l’awassa, du songué… mais ils veulent apprendre le kawina pour continuer le travail qu’on a fait.

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