Sexualité : les recettes secrètes de Fati « Casser le lit »


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Au Salon international de l’artisanat pour la femme (SAFEM), qui se déroule cette semaine à Niamey, il est un stand qui ne désemplit pas. Jusqu’à la nuit tombée, les clientes se pressent dans la petite échoppe de Hadja Fati dite « Casser le lit ». La jeune femme, qui pratique la médecine et la pharmacopée traditionnelles du Niger, a une spécialité très recherchée : la fabrication d’aphrodisiaques.

Casserlelit.jpgDans les bidons, bocaux et bouteilles qui encombrent « Le secret de la femme », l’étroit stand de Hadja Fati, quantités de poudres, liquides et autres mixtures. Aux femmes qui viennent lui confier leurs tracas et attentes, elle en explique les vertus : « la poudre verte olive, il faut la boire avec du miel, à 20 heures. Avec ça, ton mari te sent bon comme du miel. La poudre noire, par contre, ça fait pleurer l’homme ! » Sur la composition de ses produits, elle reste très vague. « Il y a des plantes du Niger, et d’autres d’ailleurs, comme l’Arabie saoudite, l’Algérie, le Nigéria, explique-t-elle, mais pour la plupart on les trouve ici.

» Des fabrications qu’elle garantit 100% naturelles, héritées d’un savoir qu’elle tient de sa famille, transmis de génération en génération. « Quand j’étais petite, j’aidais ma mère à piler les plantes, se rappelle-t-elle. Nous sommes originaires de Zinder, dans l’Est. Tu sais, là-bas, on est très forts dans ça. » Et lorsqu’on lui demande d’expliquer pourquoi l’on doit consommer telle médication à telle heure et pour quelles raisons il faut l’associer à un produit plutôt qu’un autre, elle se trouve très surprise et répond qu’elle ne fait que répéter ce qu’on lui a enseigné. Puis elle rappelle que les « médicaments des blancs » ont eux aussi leur posologie.

FatiCasserlelit2.jpg« Kiriagadou ! », s’exclame un passant, lorsqu’il arrive à proximité du stand de Hadja Fati. La jeune femme, qui n’est pas peu fière de sa renommée, explique que « kiriagadou » veut dire « casser le lit » en haoussa, l’ethnie dont elle est issue. A 35 ans, elle dit être connue dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, du Nord et jusque dans la péninsule arabe. C’est d’ailleurs lors de l’un de ses voyages au Burkina Faso, à Bobo-Dioulasso, il y a trois ans, qu’elle a hérité de son surnom. « Une dame a acheté chez moi, raconte-t-elle. Le lendemain, elle est venue, elle m’a dit : « Toi là, tu as fait casser le lit !  » Et depuis ce jour, on m’appelle Fati « Casser le lit ». »

Une affaire qui marche

FatiCasserlelit3.jpgCe succès n’est pas sans lui causer quelques soucis. Son époux ne voit pas d’un très bon œil qu’elle soit une spécialiste de la sexualité. Lorsqu’on lui demande s’il est possible de la prendre en photo, elle hésite : « Mon mari ne veut pas ». Puis finalement, elle accepte car, de son côté, elle assume ses activités. « Mon mari, ça le dérange parce qu’il est jaloux, estime-t-elle. Il est tout le temps collé à moi. Et sa famille ne m’aime pas, parce qu’elle pense que je l’ai « grigrisé ». »

Mais ces petits inconvénients, elle s’en accommode, car son commerce rapporte. « Ca marche très bien, déclare-t-elle. J’ai même acheté une villa grâce à ça, et bientôt une voiture inch’allah. » La raison de ce succès ? La qualité de ses produits, répond Khadija, 27 ans, l’une de ses clientes. « Moi, j’ai tout essayé. Elle m’a cassé trois lits ! », s’exclame-t-elle. Fati, flattée, ne peut s’empêcher de relater une histoire qui lui est arrivée récemment. A l’une de ses riches clientes, qui se plaignait que son mari ne criât jamais pendant l’acte, elle a vendu l’une de ses mixtures : l’Eau miraculeuse, dont il faut enduire le vagin avant le rapport. « Le lendemain, à huit heures, elle m’a appelé pour me dire qu’elle en achetait un tonneau et demi », raconte Fati.

FatiCasserlelit4.jpgTrois boules, Eau rouge, Courant, Louche qui attrape l’homme… l’essentiel des médications dispensées par Fati sont destinées aux femmes. Car son savoir, explique-t-elle, elle le tient de femmes qui ont répondu d’abord aux besoins de leurs congénères. Aussi, n’a-t-elle rien appris de ce qu’elle connaît à son fils, alors que si elle avait eu une fille elle lui aurait tout transmis. Néanmoins, face aux demandes très pressentes des hommes, elle a dû mettre à leur disposition sur son stand un filtre qui, selon elle, revigorerait leur virilité : le Kan Kan Kan. Mais deux jours à peine après l’ouverture du SAFEM, il n’en restait déjà plus. « Un client a acheté tout mon stock, pour la Libye », explique-t-elle, tout sourire.

Présidente du bureau des femmes de l’APSN (l’Association pharmaco-santé Niger, qui regroupe de nombreux tradithérapeutes), Fati réfléchit avec ses collègues à l’éventualité d’ouvrir une école, à Niamey. Un outil qui leur permettrait de faire perdurer leurs savoirs. Fati « Casser le lit » est certaine que de nombreuses femmes seraient prêtes à devenir ses disciples. Néanmoins, elles devront savoir que pour combler un homme, les remèdes et filtres d’amour ne suffisent pas, et apprendre de leur maître « les différents caprices pour garder les maris à la maison ».

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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