Sénégal : « Emigration clandestine, l’aventure mortelle »


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La bande dessinée Emigration clandestine, l’aventure mortelle est diffusée dans les collèges et lycées sénégalais depuis ce mardi. Son objectif est de sensibiliser les jeunes aux risques de l’immigration clandestine et de leur montrer qu’un autre avenir est possible dans leur pays. Interview du Dr Ute Gierczynski-Bocandé, qui a participé à cette initiative.

Une bande dessinée pour expliquer aux jeunes l’immigration clandestine, ses dangers et leur donner envie de rester au pays. Une idée novatrice mais malheureusement fort à propos : la semaine dernière encore, près d’une centaine de Sénégalais a péri en mer après que leur embarcation à échoué au large de Saint-Louis du Sénégal. La Fondation Konrad Adenauer, l’Association sénégalaise de coopération décentralisée et l’Institut sénégalais d’étude et d’action pour le développement de l’éducation ont donc écrit Emigration clandestine, l’aventure mortelle, diffusé depuis ce mardi dans les collèges et lycées sénégalais. Le scénario est basé sur des faits réels pour éviter les tragiques histoires d’immigration, de plus en plus fréquentes. Ce volet est le treizième de la collection Afrique Citoyenne, enrichie chaque trimestre d’un nouvel ouvrage pour sensibiliser les jeunes à divers thèmes de société : religion, culture, environnement ou politique. Le Dr Ute Gierczynski-Bocandé, adjointe au représentant résident chargée des programmes à la Fondation Konrad Adenauer, nous explique plus en détail le concept d’Emigration clandestine, l’aventure mortelle.

Afrik.com : Pourquoi avoir créé Emigration clandestine, l’aventure mortelle ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
C’est à cause de l’actualité brûlante de l’immigration clandestine que nous avons eu cette idée. Au départ, nous voulions faire une bande dessinée sur la scolarisation des jeunes filles et les mutilations génitales féminines. Mais, il ne se passait pas une semaine sans que les journaux ne rapportent une nouvelle tragédie de l’immigration clandestine et les choses empirent. En juillet, lors d’un séminaire sur l’immigration auquel nous avons participé avec Mouvement Citoyen, une association de jeunes très active, nous nous sommes dits que ce serait bien de faire une BD dessus.

Afrik.com : De quoi vous êtes-vous inspiré pour la produire ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Nous avons un très bon dessinateur qui nous a proposé un scenario. Nous sommes partis de là et avons apporté beaucoup de changements en nous basant sur l’actualité, sur les attentes des élèves, sur les témoignages tout en restant centrés sur la réalité.

Afrik.com : Quelles problématiques soulève la BD ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Elle montre la mort, les maladies et les troubles mentaux qui peuvent clôturer ou suivre les départs clandestins. Elle montre aussi que les familles s’appauvrissent parce qu’elles mettent tout (en moyenne il faut 400 000 FCFA) dans les départs et se retrouvent sans rien quand ils échouent. On voit notamment une usine de transformation du poisson qui se retrouve sans activité parce que toutes les pirogues sont parties, ainsi que tous les pêcheurs.

Afrik.com : Quelles solutions sont proposées ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Des amis d’Oussou, un brillant élève assez impulsif et qu’il faut raisonner, lui demandent pourquoi il a pris l’argent pour se jeter à la mer plutôt que de l’investir dans un télécentre ou dans un cybercafé. Cela donne une piste de réflexion potentielle.

Afrik.com : Oussou, après son aventure ratée, décide de créer un comité anti-émigration. Avez-vous prévu de faire une suite pour montrer s’il tient à sa décision de rester au Sénégal ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Nous avions dans l’idée de faire une suite où nous montrerions des projets qui ont réussi. Oussou passera son bac et montera quelque chose de raisonnable. L’objectif est de montrer la créativité et l’inventivité des jeunes qui se complaisent dans la morosité. Une morosité très contagieuse. Les jeunes s’asseyent sur un banc, boivent du thé et se découragent alors que beaucoup ont un diplôme et tout l’avenir devant eux !

Afrik.com : Quel est l’objectif de la BD ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Démontrer que l’Europe n’est plus une terre promise, mais un mirage. Que l’Europe à partir d’où les Africains arrivaient à nourrir toute leur famille n’existe plus. Il faut détruire ce mythe. Notre objectif est aussi de montrer que la pauvreté était économique mais était surtout un phénomène psychologique, dû au découragement mutuel.

Afrik.com : Comment seront distribuées les BD ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Nous avons fait imprimer 10 000 BD. Ce n’est pas extraordinaire, mais cela nous permettra d’en envoyer une dizaine dans les lycées et collèges. Les professeurs d’éduction civique pourront s’en servir comme un outil pour que les élèves fassent des exposés, des pièces de théâtre… Nous aimerions en imprimer plus, mais cela coûte cher. Nous sommes en discussion avec le ministère de l’Education qui nous a donné son accord de principe pour prendre en charge l’impression, mais il reste beaucoup de choses à régler.

Afrik.com : Les parents encouragent aussi parfois leurs enfants à partir. Ne faudrait-il pas une BD pour les sensibiliser aussi ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
La famille est en effet impliquée, comme le montre la famille d’Oussou (le héros du livre, ndlr), qui hypothèque sa maison pour qu’il puisse partir à l’étranger. Il sera d’ailleurs, au final, rapatrié des Canaries. Notre espoir est que les jeunes, une fois sensibilisés, rapporteront le contenu de la BD à leur famille.

Afrik.com : La prochaine BD en préparation ?

Dr Ute Gierczynski-Bocandé :
Le thème sera l’éducation à la paix. Il s’agira de traiter la gestion des conflits dans le cadre des prochaines élections ici. Certains disent qu’il pourrait y avoir des heurts. Je n’y crois pas tellement, mais on ne sait jamais. Et comme les grèves estudiantines sont parfois très violentes ici, nous voulons sensibiliser les jeunes le plus tôt possible. Nous allons nous pencher sur le scénario en janvier et la BD devrait sortir en février.

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