Saraha Rabeharisoa : « Il y a un génocide silencieux du peuple malgache »


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Saraha Georget Rabeharisoa est candidate à l’élection présidentielle malgache prévue le 23 août. Et elle compte bien la remporter, même si le climat actuel politique de son pays est très tendu. Afrik.com l’a rencontrée à l’occasion de son séjour à Paris. Elle confie ses ambitions pour redresser la situation de son pays. Entretien.

« Je comprends ceux qui disent qu’ils ont honte d’être Malgaches ! », lance de sa voix posée Saraha Georget Rabeharisoa, révoltée par la situation actuelle de son pays. Pour autant, elle n’a pas peur de l’immense chantier qui l’attend si elle est élue à la tête de la grande île. On le comprend dès les premières poignées de mains, dans cet hôtel parisien, où elle a déposé ses valises pour quelques jours. Vêtue d’un tailleur gris, accompagné d’escarpins multicolores. Un collier argenté autour du cou. Les cheveux soigneusement coupés, dégageant son visage aux pommettes hautes, elle ne vous lâche pas des yeux lorsqu’elle explique ses ambitions pour son pays. Les gestes posés, ferme dans ses convictions, on peut lire dans son regard sa détermination à changer les choses face à la lente agonie de la grande île. Elle dénonce la situation catastrophique de l’économie, la fuite des bailleurs de fonds, l’insécurité galopante, l’explosion de la prostitution infantile, la détérioration de la situation sociale… Sans compter le taux de pauvreté qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années. « Plus de 97% des Malgaches vivent avec moins d’un dollars par jour. C’est inacceptable ! », clame-t-elle.

Une dure réalité qui l’a poussé à créer le Parti vert en 2009, première mouvance écologique dans le pays, qui compte 300 000 adhérents et des représentants originaires de toutes les régions du pays. « Il y a urgence à Madagascar », estime la juriste qui a fait ses études de Droit à Paris-Dauphine avant de retourner dans son pays travailler pour de grands groupes. Fille d’une mère médecin et d’un père ingénieur, celle qui est âgée aujourd’hui de 43 ans, mariée et mère de trois enfants, a toujours été encouragée par ses parents à faire des études pour gagner son indépendance, tout comme ses deux sœurs qui ont aussi réussi leur carrière professionnelle. Un fait rare à Madagascar, où les femmes sont exclues des postes de responsabilité.

Afrik.com : Comment comptez-vous redresser la situation de Madagascar qui ne cesse de s’empirer ?

Saraha Rabeharisoa :
Notre programme repose sur trois piliers. Nous voulons mettre en place un Etat fort, juste et une décentralisation du pouvoir. Un Etat fort est primordiale à Madagascar car la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader. L’insécurité a fortement augmenté. Il faut y mettre fin. Aujourd’hui, il y a régulièrement des vols à mains armées dans le pays. Le phénomène des voleurs de zébus prend aussi de l’ampleur, provoquant constamment des affrontements sanglants entre ces derniers et les villageois. Le trafic d’ossements de cadavres est également une réalité à Madagascar. Certains Malgaches n’hésitent pas à déterrer des cadavres pour récupérer leurs ossements et les vendre à des acheteurs souvent originaires d’Asie qui l’utilisent pour en faire des produits cosmétiques. Une réforme de la justice est aussi nécessaire pour enrayer la corruption qui l’empêche de fonctionner correctement. Nous devons aussi œuvrer à la décentralisation du pouvoir tout simplement parce qu’il faut donner des moyens financiers suffisants aux collectivités territoriales pour qu’elles puissent se développer. A Madagascar, le pouvoir a toujours été centralisé autour de l’Etat. Il faut rompre avec cette pratique. Nous allons aussi faire de la lutte contre la pauvreté une de nos priorités et mettre en place des moyens pour faciliter l’accès à l’eau potable. Pour cela, il faut impérativement développer les infrastructures de base.

Afrik.com : Le chantier est donc immense. Avez-vous les moyens de vos ambitions ?

Saraha Rabeharisoa :
Bien évidemment nous ne pouvons pas financer ce projet seuls. Nous allons recourir à l’aide internationale pour assurer son financement. Mais que les choses soient claires : nous mènerons des programmes adaptés au pays et non dictés par l’extérieur. Jusqu’à présent, après 53 ans d’indépendance, les projets de développement à Madagascar étaient toujours établis par les pays étrangers et non par les Malgaches. Nous voulons que cela cesse. Désormais, nous voulons établir des programmes de redressement du pays conçus par les Malgaches et adaptés à leurs besoins.

Afrik.com : L’économie malgache n’est pas en bonne santé. Avez-vous des solutions pour la remettre sur pied ?

Saraha Rabeharisoa :
L’entreprenariat sera au cœur de mon programme économique, car elle est absente de l’économie du pays. Il faut aussi créer un tissu économique qui permettra aux petites et moyennes entreprises de se développer et de devenir des pourvoyeurs d’emplois pour assurer la survie de milliers de familles. Il faut, également, impérativement mettre en place des structures qui facilitent l’accès aux crédits bancaires, tel que le système microcrédit, qui permet d’avoir des prêts à des taux d’intérêt très bas. L’économie ne pourra pas se développer si les principaux acteurs n’ont pas accès aux finances. Nous devons aussi mieux gérer nos ressources naturelles telles que la terre, l’eau. Des valeurs chères à notre parti et aussi aux Malgaches, qui sont naturellement liés à la nature. Chez nous ce lien viscéral avec la nature est culturel. Nous devons donc exploiter ce filon pour l’essor de l’île. Les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de l’artisanat, qui sont chers aux Malgaches, doivent être valorisés. Les Malgaches sont travailleurs. Ils ne demandent qu’à travailler. Il faut donc leur donner les moyens de mettre leurs ouvrages en valeur.

Afrik.com : Vous semblez très optimiste. Mais pensez-vous avoir suffisamment de soutien au sein de la population pour remporter la Présidentielle ?

Saraha Rabeharisoa :
Oui, nous avons de nombreux soutiens, dont des personnalités hauts placés. Certaines ont même exprimé publiquement leur appui à notre mouvement, même si d’autres ont préféré garder l’anonymat. Notre parti compte 300 000 adhérents dans tout le pays. Ce qui est énorme ! Nous avons des structures dans les 22 régions du pays. Tous mes collaborateurs au sein du parti sont originaires de différentes régions du pays : du centre, nord, sud… Pour moi, il était important d’avoir dans le parti des personnes originaires de tout le pays. Je ne connaissais aucune d’elle auparavant. Mon objectif est qu’on travaille tous ensemble pour redresser le pays. Je n’ai pas cherché à placer mes amis où des membres de ma famille comme cela se fait dans le pays. Il faut rompre avec le clientélisme. Nous avons créé le Parti vert en juin 2009, face au manque de volonté politique à Madagascar. Nous voulons changer l’état actuel du paysage politique. Le parti ne défend donc pas seulement des valeurs liées à l’écologie.

Afrik.com : C’est-à-dire ? Qu’entendez-vous par là ?

Saraha Rabeharisoa :
A travers le Parti vert, nous défendons aussi une nouvelle manière de faire de la politique, plus saine. En clair, nous voulons assainir la politique malgache et entendons lutter contre la corruption qui l’a pourrie depuis des lustres. Les choix politiques et économiques jusque-là faits par les dirigeants du pays n’ont jamais été compris par les Malgaches. Je parle en connaissance de cause. Je suis allée à la rencontre des populations. J’ai sillonné tout le pays. J’ai été jusque dans les régions les plus reculées pour saisir leurs problèmes et comprendre leurs difficultés. Il était très important pour moi d’aller sur le terrain. J’ai donc vu les populations, je les ai écoutées. Et c’est à partir de leurs attentes et revendications qu’on a construit notre projet politique.

Afrik.com : Que pensez-vous des candidatures du président de transition Andry Rajoelina, Lala Ravalomanana et Didier Ratsirika ?

Saraha Rabeharisoa :
Ces trois candidats ne doivent pas se présenter. Je dénonce cette situation qui n’est pas acceptable. Pour moi, elle est due avant tout à l’égoïsme de ceux qui peuvent empêcher le bon déroulement des élections. Toutefois, même si leurs candidatures sont illégales, je pense qu’il faut laisser le peuple malgache s’exprimer. D’autant qu’il y a une question cruciale sur laquelle il faut se pencher, à savoir : vont-ils respecter le résultat des urnes une fois qu’ils seront connus ? Je pense que cette question mérite d’être posée dès maintenant, car c’est toute la problématique.

Afrik.com : Face à cet imbroglio, comment comptez-vous vous faire une place dans le paysage politique malgache, sachant que le président de transition Andry Rajeolina reste toujours l’homme fort du pays ?

Saraha Rabeharisoa :
Andry Rajoelina toujours l’homme fort du pays ? (Elle esquisse un sourire avant de répondre). Non je ne pense pas. Il ne l’est plus. Lorsqu’on est constamment en quête de légitimité, on n’est pas fort mais au contraire faible. Andry Rajoelina a peur d’aller aux élections, après avoir mené quatre ans de transition catastrophique ! Il a peur de la réponse des urnes, de la sanction que vont lui infliger les Malgaches ! Actuellement, il y a une confiscation du pouvoir par le régime actuel. C’est pour cela que je pense que nous devons avoir le courage de réformer nos institutions pour mettre fin à la corruption, si nous voulons redresser la situation du pays.

Afrik.com : Les femmes peinent à accéder aux postes de responsabilités à Madagascar. Pensez-vous avoir toutes vos chances de remporter l’élection présidentielle ?
Saraha Rabeharisoa :
Le fait que je sois une femme n’est pas un handicap mais au contraire un atout. Au sein de la population, beaucoup m’ont soutenu parce qu’ils ont compris que je suis une femme qui veut redresser la situation du pays et non une politicienne. Bien évidemment, améliorer la vie des femmes à Madagascar est aussi un des principaux combats que je veux mener. Je veux que les femmes puissent avoir les mêmes droits que les hommes, notamment l’accès à la terre. Rares en effet sont les femmes qui sont propriétaires de leur propre terrain. En général seuls leurs époux bénéficient de ce droit.

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager en politique ?

Saraha Rabeharisoa :
En février 2009, l’association de lutte contre les maladies mentales dans laquelle je milite a décidé de sillonner les zones les plus reculées de Madagascar pour apporter des soins médicaux aux malades qui n’ont souvent pas d’hôpital dans leur commune. Durant notre périple, dans une région reculée du nord du pays, j’ai aperçu une femme sur une charrette en train d’accoucher. Elle était en compagnie d’une vieille femme, de ses deux enfants à bas âges, et deux hommes chargés de tirer la charrette. Elle a eu une hémorragie. On est allé à son secours pour essayer de stopper l’hémorragie avec des serviettes, car dans cette zone il n’y avait pas d’hôpital où elle pouvait recevoir des soins d’urgence. Elle est finalement morte. Ses enfants pleuraient, et ses proches étaient effondrés. Je n’oublierai jamais son visage, ses souffrances, ainsi que celle de ses enfants. J’ai vu cette femme en train d’agoniser sous mes yeux ! (Les larmes aux yeux, elle marque une pause). Je suis émue parce que cela fait longtemps que je n’ai pas raconté cette histoire. C’est cet évènement qui m’a profondément marqué qui m’a poussé à m’engager. J’ai été meurtrie de voir la misère de cette femme que j’ai vu mourir sous mes yeux. J’ai décidé à cet instant de consacrer ma vie à changer la situation de mon pays. Je ne pouvais plus supporter cette misère dans laquelle vivent la majorité des Malgaches.

Afrik.com : Selon vous à quoi est due cette pauvreté dans laquelle est engluée l’île depuis son accès à l’indépendance ?

Saraha Rabeharisoa :
Les politiques ont totalement laissé Madagascar à l’abandon. Et ceci depuis toujours ! Actuellement, il y a un génocide silencieux du peuple malgache sans que personne ne s’en rende compte. Personne ne semble prendre en compte la gravité de la situation. Tous les jours, par district, 70 enfants âgés de moins cinq ans meurent de maladie ou de malnutrition ! Le tourisme sexuel a aussi explosé ces dernières années. Je suis sûre que d’ici quelques années, on fera parti des pays qui compteront le plus de gens atteints du sida dans le monde. Au moins 97% des Malgaches vivent avec moins de 1 dollar par jour, selon la Banque mondiale, qui a publié son rapport la semaine dernière. Auparavant, 70% des Malgaches étaient dans cette situation. Donc en quelques années, les chiffres ont explosé, la pauvreté n’a cessé de grimper. Madagascar est parmi les 15 pays les plus pauvres du monde. Sachant qu’il n’est pas en état de guerre civil, c’est d’autant plus inacceptable !

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