SAR Erelu Abiola Dosumu : une voix royale pour le développement


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Erelu Abiola Dosumu
Erelu Abiola Dosumu

Femme, chef traditionnel et entrepreneur. La Princesse régente du royaume de Lagos (Nigeria), en pays yoruba, Son Altesse Royale Erelu (reine mère en yoruba) Abiola Dosumu est tout cela à la fois. En d’autres termes, un triptyque gagnant pour le développement de l’Afrique qu’elle évoque dans cet entretien.

Chef traditionnel et entrepreneur, la Princesse régente du royaume de Lagos, au Nigeria, Son Altesse Royale Erelu Abiola Dosumu a su allier habilement tradition et modernité au service de son pays et aujourd’hui de son continent dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Membre de la Table ronde des hommes d’affaires d’Afrique (ABR), elle assure en effet la coordination des activités de son organisation au sein du Nepad. Diplômée en droit, décoratrice d’intérieur et dans les affaires depuis près de 35 ans, c’est une femme aux multiples talents qui croit fermement aux capacités et aux valeurs de son continent. La fondation qu’elle a créée en 1991 en est la preuve. Sa vocation : servir ceux qui en expriment le besoin tout en promouvant l’héritage culturel africain. Juste cause pour cette gardienne des traditions qui fait partie de l’illustre collège des chefs traditionnels de son pays.

Afrik.com : En tant que femme et entrepreneur, quelle est, selon vous, la contribution de ces acteurs au développement du continent ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : Nous disposons actuellement d’un outil très important en Afrique : le Nepad. C’est un concept pensé par nos chefs d’Etat en faveur de notre développement. Chaque Africain doit y adhérer, notamment la femme qui constitue le pilier du développement local. Les Occidentaux devraient d’ailleurs s’appuyer sur cette initiative pour nous apporter leur aide et contribuer à la mise en oeuvre du Nepad. Par exemple, en investissant dans le microcrédit, le seul moyen pour beaucoup d’Africains d’accéder à des fonds. Car ils ne peuvent en aucune façon se substituer à nous en ce qui concerne notre développement : les différents programmes menés par les Nations Unies ou autres en sont une parfaite illustration.

Afrik.com : En tant que chef traditionnel, comment, selon vous, les valeurs africaines dont vous êtes le garant, peuvent aider au développement ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : L’ intégrité, le sens de la famille… Le fonctionnement du microcrédit témoigne justement de la façon dont elles peuvent contribuer au développement. C’est un système qui fonctionne au sein d’une communauté à qui l’on emprunte de l’argent pour investir dans un projet. On engage son honneur. Par conséquent, ne pas rembourser ce que l’on doit est lourd de conséquences. On parle souvent de corruption en Afrique, nous n’étions pas corrompus, « ils » sont venus nous compromettre. Mon Président (Olusegun Obasanjo, ndlr) capitalise d’ailleurs sur ses valeurs pour lutter contre la corruption et cela au plus haut niveau de l’Etat. En être coupable jette l’opprobre sur vous, mais surtout sur votre famille.

Afrik.com : Vous parliez de famille, on dit souvent de la famille élargie africaine qu’elle constitue trop souvent un handicap en Afrique ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : Je le percevrais plutôt comme un avantage dans la mesure où elle permet d’éduquer le maximum de gens. Loin d’être un inconvénient, investir dans la famille est une composante de cette stratégie qui mène au développement. En nous aidant et en impliquant les uns les autres, on fait grandir ensemble nos différents projets. Quand j’étais plus jeune et que j’étais au marché, nous n’avions pas besoin de surveiller nos étals. Nous pouvions nous absenter sans rien craindre. Si un client arrivait, les autres lui indiquaient le prix de la marchandise et vous retrouviez, à votre retour, sur votre étal l’argent de la vente. Nous avions des sociétés très bien organisées avant l’arrivée des Européens.

Afrik.com : Vous vivez entre Lagos et l’Europe. Comment arrive-t-on à concilier ces deux mondes ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : Cela peut se faire de fort jolie manière. Je vais vous donner un petit exemple mais très significatif. C’est que je porte là est fait dans un tissu africain tout en étant adapté à l’Europe. J’ai eu l’idée, voilà plus de 15 ans, d’utiliser ces tissus et d’en concevoir des vêtements à la mode européenne que j’ai commencé à vendre dans un magasin en Angleterre. C’est une petite affaire qui représente aujourd’hui des millions. Je ne propose pas ces vêtements qu’aux Africains, qui en sont d’ailleurs très friands, mais à tout le monde. Le marché est là. Le Nigeria, à lui seul, représente des millions de consommateurs potentiels. Vous voyez donc qu’il est possible d’allier formidablement les deux cultures.

Afrik.com : Quels sont les principaux obstacles que les entrepreneurs africains rencontrent sur leur continent ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : La première chose qui me vient à l’esprit, c’est le manque d’infrastructures, notamment en matière de transport : terre, mer et air. Quand on veut se déplacer sur le continent, on est souvent obligé de passer par l’Europe parce c’est plus simple. Vous imaginez le surcoût que cela peut représenter quand il s’agit de transporter des marchandises. Il faut mettre en place un réseau panafricain de transport, des autoroutes transafricaines qui assureraient l’interconnexion entre nos différents pays. Un réseau dans lequel les investisseurs étrangers devraient investir, car encore une fois le marché existe et par conséquent les projets sont rentables. L’Afrique est un continent où les taux de rentabilité peuvent atteindre les 30%, ce qui est rarement possible ailleurs.

Afrik.com : Pour revenir à votre pays, le Nigeria, en dépit de la manne que représente le pétrole, demeure un pays pauvre. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : Encore une fois, c’est un problème d’infrastructure. Car il faut raffiner le pétrole que l’on extrait, ce qui est une entreprise très onéreuse. Le Nigeria est confronté à un choix difficile : ‘investir ses recettes dans des secteurs de base comme l’éducation, la santé ou raffiner son pétrole. Le choix est vite fait. La seule solution, c’est que des investisseurs viennent l’aider à construire des usines qui permettraient de raffiner le pétrole sur place. Au Nigeria, nous nous efforçons, depuis quelques années déjà, de créer un cadre juridico-légal attractif en luttant notamment contre la corruption, l’instabilité politique, en mettant en place des mesures incitatives… Le développement est un combat que l’on ne peut mener sans l’aide des autres. Pourquoi l’Afrique devrait constituer une exception quand elle a contribué, elle, à celui de l’Europe ?

Afrik.com : En quoi consiste votre charge ?

SAR Erelu Abiola Dosumu : Elle est multiple et multiforme, gardien des traditions, chef spirituel, je dois être à l’écoute de tout un chacun et apporter mon aide à ceux qui en ont besoin. Mais je dois dire que la promotion de la femme reste ma principale charge, notamment pour toutes les raisons que nous évoquions précédemment.

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