Révolution tunisienne : la victoire des modérés


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La création par l’exécutif de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution marque un coup d’arrêt au Conseil national de protection, qui en perd sa légitimité. De quoi satisfaire Ettajdid, qui défend un modèle consultatif institutionnel. Mais de quoi inquiéter le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), qui craint une déstabilisation dommageable à la Révolution.

L’Instance supérieure, nouvellement créée par l’exécutif pour organiser les élections, ne fait pas que des heureux dans les rangs politiques tunisiens. Elle rend de facto obsolète le Conseil national de protection de la Révolution, qui prétendait à un rôle beaucoup plus fort pour protéger le pays de tentatives contre-révolutionnaires. Passée l’euphorie du renversement du président Zine el-Abidine Ben Ali, un nouveau jeu politique se met en place, à quelques mois de l’élection d’une assemblée constituante.

Repères

L’« Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », créé début mars à l’initiative du président par intérim, Foued Mebazaa, et du Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, compte 71 membres, dont 12 représentants de partis politiques, 18 représentants d’organisations professionnelles ou de syndicats et 42 personnalités politiques.

Elle devrait passer à environ 130 membres pour répondre aux critiques et intégrer les représentations des régions et des organisations de jeunesse, a annoncé samedi le président de l’Instance, Yadh Ben Achour. Les personnalités qui avaient signé la pétition en faveur d’une nouvelle candidature à la présidence de Zine el-Abidine Ben Ali en 2014 seraient également désormais exclues.

Les projets de décrets-lois relatifs à l’élection de l’Assemblée constituante, théoriquement le 24 juillet, sont d’ors et déjà prêts, en attente d’être discutés en séance plénière, selon l’agence TAP. L’Instance est censée décider avant la fin du mois de mars du nouveau code électoral et proposer une première version de la future Constitution.

Le Conseil national de protection de la Révolution, créé de son côté début février par des représentants des forces vives de la Révolution, comptait 28 membres, dont les plus important sont Le PCOT, le syndicat UGTT et Ennahda (islamistes). Son objectif était de porter à leur terme les revendications démocratiques de la Révolution.

« Un conseil de commandement »

Entre l’« Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » et le Conseil national de protection de la Révolution, deux conceptions de la Révolution s’affrontent. « Le nom retenu par le gouvernement par intérim est un peu différent, mais nous avons depuis le début défendu la création d’une entité consultative », explique Ahmed Brahim, premier secrétaire du mouvement Ettajdid (social-démocrate), à propos de l’Instance supérieure.

A l’entendre, le Conseil national voyait grand quant à ses prérogatives. « Ils étaient au départ mus d’une volonté de cumuler les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, explique-t-il, ils voulaient, entre autres, pouvoir nommer les juges. En résumé, leur objectif était plus de former un conseil de commandement que de protection de la Révolution ». Mais avec la création de l’Instance supérieure et le ralliement des membres du Conseil national, « les choses se sont bien terminées », estime Ahmed Brahim. Un membre de la nouvelle scène politique tunisienne, qui préfère rester anonyme, prête au Conseil national des débuts la volonté plus forte encore de se transformer en assemblée constituante, une affirmation que dément Adel Thabet, représentant en France du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT).

On peut comprendre qu’Ahmed Brahim, membre des deux gouvernements Ghannouchi, n’appréciait pas l’existence, à partir de février, d’un Conseil national de protection de la Révolution. « Il s’agissait pour certaines forces Ettajdid et le PDP (social-démocrate), ndlr] d’un contre-pouvoir », estime Adel Thabet, en réponse aux critiques sur la légitimité du Conseil national. « Mais plus que des extrémistes de la Révolution, ce sont plutôt ceux capables d’accepter les compromis mais marginalisés par leur absence du gouvernement Ghannouchi qui ont formé le comité », décrypte Vincent Geisser, chercheur en sciences politiques à l'[Irenam. Le rapport du Conseil national au gouvernement était ambigu, estime le politiste, car « il revendiquait la légitimité révolutionnaire, tout en reconnaissant une tâche technocratique au gouvernement ».

Disparition programmée

L’organisation de l’élection d’une Assemblée pour rédiger une nouvelle Constitution figurait parmi les principales revendications du Conseil national de protection de la Révolution. Il s’agit donc de ce point de vue d’une « victoire » pour ce dernier, note Vincent Geisser. Mais son remplacement programmé par l’Instance supérieure représente pour Ahmed Brahim la preuve que «la posture du Conseil national n’était pas tenable ». « Le Conseil national est affaibli et discrédité, auprès des forces politiques comme de l’opinion, depuis la création de l’instance supérieure », reconnait Adel Thabet, sans parler de dissolution.

Le représentant du PCOT se dit désormais « inquiet » face aux évolutions possibles de la situation politique. « La contre-révolution est toujours en cours », estime-t-il, mettant l’accent sur le flou actuel dans l’organisation des élections. « L’administration qui falsifiait les scrutins sous Ben Ali est toujours en place, rappelle Adel Thabet, il faut donc exiger de sérieuses garanties ! ».

Adel Thabet se dit de plus soucieux de l’autorisation de la création de quatre partis issus de l’ex-RCD. Mais Vincent Geisser entend relativiser : « Ce sont les membres les moins « mouillés » et les plus libéraux du RCD qui veulent jouer leur carte, notamment les ex-ministres Mohamed Jegham et Kamel Morjane. Ils veulent lancer des formations centristes pour jouer sur les peurs et viser les petits entrepreneurs ». Reste, pour Adel Thabet, les souvenirs de l’ancien régime, avec par exemple « la torture d’un certain nombre de camarades sous l’ancien ministre de l’Intérieur Ahmed Friaa ».

Enfin, la sérénité des discussions pourrait selon le représentant du PCOT être remise en cause par « certaines forces », qui créent une « dynamique de clivage sur la question religieuse ». Plusieurs confrontations ont eu lieu dans les rues sur le sujet délicat de la laïcité. Le fait de « quelques groupes minoritaires » qui défendent une vision « moyen-âgeuse », pour Ahmed Brahim. Pour régler ces craintes, la meilleure solution reste, chacun en est persuadé, le vote de la loi électorale.

Photo : Tunis, le 19 janvier 2011 (Flickr/Nasser Nouri – Creative Commons)

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