Réhabiliter les savants noirs


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Archive se bat depuis 2000 pour que les savants et inventeurs noirs aient enfin leur place dans l’historiographie française. Un combat gagné de longue date dans les pays anglophones, selon Yvan Voice, président de l’association. En attendant de les retrouver dans les manuels scolaires, vous pouvez vous connecter sur le Net pour découvrir ces gloires nègres.

Connaissez-vous Norbert Rillieux, l’inventeur en 1848 de la cristallisation du sucre ? Georges R. Carruthers, qui créa en 1969 le convertisseur d’images, ou encore Garret A. Morgan, qui au début du siècle dernier inventa le masque à gaz et nous apporta l’indispensable feu de signalisation ? Non ? C’est normal, ces savants ne figurent pas dans les manuels scolaires francophones, ni même dans les ouvrages scientifiques spécialisés. Tous sont noirs et sont nés dans les Etats-Unis du 19è siècle. Parfois esclaves à leur naissance, ils sont parvenus à mener à bien leur scolarité et à participer à de grandes avancées scientifiques. Reconnus de longue date dans les pays anglophones, l’association Archive se bat depuis des années, notamment sur Internet, pour qu’ils le soient également dans les pays francophones. Le chanteur de Zouk et Président de l’association fondée en 2000, Yvan Voice, s’explique.

Afrik : Pourquoi avoir créé Archive ?

Yvan Voice :
Quand je suis parti en Guadeloupe, en 1993, j’ai découvert un animateur TV, Ibo Simon, noir comme l’ébène, qui prenait un malin plaisir à dire que les Noirs n’avaient jamais rien inventé, qu’ils n’étaient bons qu’à s’amuser… Il vantait les Békés (Blancs, ndlr) de Guadeloupe, les Syriens, les Libanais ou les Indiens, mais les Noirs… rien. Quand j’ai vu qu’il racontait ces bêtises 6 jours par semaine de 12 heure à 13 heure, je me suis dit qu’il fallait lui faire fermer sa bouche.

Afrik : Qu’avez vous fait ?

Yvan Voice :
J’ai décidé de mettre ma notoriété de chanteur au service de la communauté. Il fallait rétablir la vérité et dire qu’il y a eu des savants noirs, notamment aux Etats-Unis. En 2002 nous avons créé l’association Archive. Nous avons invité en Guadeloupe le chercheur Haïtien résidant au Canada, Yves Antoine, qui a publié en 1998 un livre intitulé « Inventeurs et savants noirs », et fait toute une série d’expos avec lui. Nous avons ainsi pu attirer l’attention de RFO TV, radio… sur ce problème. En ce qui concerne l’animateur TV, j’en suis presque venu au main avec lui sur cette question, et il a fini par arrêter de déblatérer. Mais à la place, il a commencé à dire du mal de la communauté haïtienne, qui était bonne à rien… ! Il a finalement été condamné par la justice.

Afrik : Comment ses propos étaient reçus par le public guadeloupéen ? Etaient-ils capables de faire la part des choses ?

Yvan Voice :
Beaucoup ont pris ses propos pour argent comptant, car ils n’étaient pas au courant de leur histoire.

Afrik : Justement, vous menez également votre combat sur le plan de l’enseignement…

Yvan Voice :
J’ai beaucoup fustigé certains enseignants, en Guadeloupe, qui voyagent aux Etats-Unis, où les inventeurs noirs sont reconnus. Ils savent que ces savants existent mais n’ont pas le courage de les faire connaître. Nous avons essayé de travailler avec les syndicats de professeurs pour que ces hommes soient mis à l’honneur, mais nos doléances sont restées lettre morte. Nous nous sommes adressés au recteur d’académie, preuves et brevets internationaux à l’appui, sans résultat. En France, nous avons sollicité le précédent gouvernement afin que ces inventeurs apparaissent sur les manuels scolaires, au moins, dans un premier temps, aux Antilles. On nous a fait parvenir un courrier selon lequel notre « demande de subvention était refusée » ! Nous ne leur avions jamais demandé de subventions. Nous avons réitéré notre requête auprès du nouveau gouvernement et nos interlocuteurs y paraissent plus sensibles.

Afrik : Vous parlez de preuves et de brevets concernant ces inventeurs. Sont-ils ou ne sont-ils pas reconnus internationalement?

Yvan Voice :
Ils le sont largement aux Etats-Unis. Dès 1929, durant la grave crise économique, on pouvait voir l’inventeur Georges Washington Carver, né dans le Missouri de parents esclaves, dans les bras du Président Roosevelt. D’une manière générale, les pays francophones sont très en retard par rapport aux anglophones, où les inventeurs sont déjà dans les programmes scolaires. Quand nous avons commencé nos investigations en France, il n’y avait pratiquement aucune documentation sur ces inventeurs. Pour Raoul-Georges Nicolo, par exemple, qui est un chercheur qui a vécu en France, nous avons du faire des pieds et des mains pour accéder à son brevet auprès de l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle, ndlr). De la même façon, nous avons contacté Anne Marie Giscard d’Estaing, qui publie chaque année une encyclopédie des inventeurs, afin que les inventeurs noirs soient présents dans son ouvrage. Elle nous a dit qu’elle transmettrait la requête mais l’année suivante, rien n’avait été fait.

Afrik : A quoi attribuez-vous ces retards par rapport aux anglophones ?

Yvan Voice : C’est dû au fait que nous sommes toujours colonisés. Les Dom (départements d’outre mer, ndlr) sont toujours français. Tout est centralisé ici (Paris France métropolitaine, ndlr), l’enseignement notamment. Et les nègres ne sont toujours pas responsables de leur culture. C’est cela qui a engendré ce retard extraordinaire.

Afrik : Le plus ancien inventeur répertorié sur votre site est né en 1731 et tous sont des « produits de la civilisation occidentale ». Avez-vous prévu de vous intéresser à de plus anciens savants et inventeurs, africains d’Afrique ?

Yvan Voice :
Bien sûr, nous avons également la volonté d’être une passerelle avec l’Afrique. Je dois ainsi partir au Cameroun, début décembre, dans le cadre de la fête du Gondo, pour des concerts et des expositions. Mais c’est un travail très long. Des travaux ont été menés par Cheikh Anta Diop, entre autres, qui ont prouvé l’africanité de la civilisation égyptienne. Ils ont montré tout ce que l’Afrique a apporté à l’Egypte et réciproquement. Beaucoup de recherches ont été menées sur ce sujet mais aucune sur les savants plus contemporains.

 Visiter le site de l’Association Archive

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