Réduction du nombre de parlementaires : acte fort ou Bonapartisme ?


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Assemblee nationale française

La révision constitutionnelle visant l’abaissement du nombre de parlementaires est-elle un acte fort ou Bonapartiste ? Un exemple à méditer pour les pays africains qui réfléchissent à une évolution de leurs institutions.

La réduction du nombre de parlementaires est l’une des mesures promises par Emmanuel Macron. La mesure est officiellement inscrite dans le projet de loi sur la réforme des institutions. Présentée au cours de l’été 2019 en Conseil des ministres par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, elle débouche sur une réduction de 25%, portant à 433 le nombre de députés et à 261 le nombre de sénateurs.

La loi organique implique la suppression de 144 postes de députés et 87 postes de sénateurs, soit approximativement 87 millions d’euros d’économies par an pour l’État.
En période de disette, l’argument n’est pas. Ayant dit cela, on peut se questionner sur les effets de levier sur la démocratie dans l’état actuel de la réforme.

Le 3 juillet 2017 à Versailles, dans son discours prononcé devant le Parlement réuni en Congrès, Emmanuel Macron émettait l’idée d’une réduction d’un tiers du nombre de sénateurs et de députés. Ainsi donc, l’Assemblée nationale devait passer de 577 à 348, le Sénat de 285 à 232 sénateurs.

Cependant, le projet de loi organique de la garde des Sceaux est plus nuancé (433 députés et 261 sénateurs). Début janvier 2018, François de Rugy a émis l’idée d’une réduction légèrement rabotée, faisant passer les effectifs à 403 députés et 244 sénateurs.

En dépit du fait que des élus de l’opposition estiment que la mesure conduirait à un éloignement des représentants des Français, force et de constater qu’un récent sondage BFMTV montre que 8 Français sur 10 approuvent la mesure (« Sondage : près de 8 Français sur 10 pour une diminution du nombre de parlementaires », le 12 janvier 2018).
Contrairement à ce que l’on peut penser, la réduction du nombre de parlementaires ne nécessite pas d’amender la Constitution de sorte qu’une loi organique y suffirait.

La Constitution française de 1958 fait peu de cas du nombre de parlementaires. Ainsi, seul l’article 24 affiche un nombre « maximal » de représentants (577 députés et 348 sénateurs).

Une loi organique éviterait les discussions et les négociations avec la majorité des trois cinquièmes du Parlement, mesure qui est impérative pour une révision constitutionnelle. En revanche, le Gouvernement pourrait tout à fait avoir recours au référendum pour acquérir un soutien total, d’ores et déjà acquis, de la population au vu des derniers sondages d’opinions.

Dans ce sens, trois quarts des Français estiment que « faire travailler ensemble élus de gauche et de droite permet de prendre de meilleures décisions pour la France » y compris au niveau local (78% des personnes interrogées), quant 60% d’entre eux expriment l’idée selon laquelle le clivage droite-gauche « doit être dépassé » (voir sondage BFMTV). Qu’à cela ne tienne, puisque la promesse d’Emmanuel Macron obligerait mécaniquement les futurs députés à travailler – davantage encore et de concert – avec les élus locaux. Pour autant, qu’en serait-il de la proximité du député avec la population ?

À ce jour, un député représente en moyenne 110 000 habitants. Si la mesure du Chef de l’État venait à se confirmer, l’explosion du nombre rendrait extrêmement ardue tout dialogue entre l’élu et le citoyen.

En conséquence, L’Hétairie, Think tank de gauche, estime que le chiffre bondirait à 173 000 habitants par représentant français, soit deux fois plus qu’un élu italien et une fois et demie de fois qu’un élu allemand (note L’Hétairie du 22 janvier 2018).

Pourtant, actuellement, avec une population de 67 millions d’individus au 1er janvier 2019 pour 925 parlementaires soit un élu pour 73 000 citoyens, la France fait état d’un ratio citoyen/élu au Parlement qui n’est pas différent des autres pays industrialisés (Allemagne, Espagne, Israël, Italie, Japon, Portugal, Norvège, Royaume-Uni et la Suisse).
De plus, rappelons que le nombre de représentants français n’a pas subi d’inflation au cours des dernières décennies (579 en 1958, 577 depuis 1993).

Avec 694 parlementaires restants, le projet de loi de réforme des institutions porte le ratio citoyen/élu à un parlementaire pour presque 97 000 habitants. Dans ce cas, la France devient le deuxième au classement des pays européens, juste derrière l’Allemagne qui abrite un parlementaire pour 115 000 habitants environ.

Concrètement, cela signifie que la France devient le deuxième pays le moins bien lotis en parlementaires, très loin dernière le Royaume-Uni qui compte un parlementaire pour 45 000 habitants.

Rappelons également que l’Assemblée nationale législative de la monarchie constitutionnelle française (Constitution du 3 septembre 1791) accueillait 745 représentants à l’instar de la Convention nationale de la Constitution du 21 septembre 1792.

Sous le Directoire (Constitution du 5 fructidor an III10), le Conseil des Cinq-Cents, comme cela est dit, comprenait 500 membres. Sous la Restauration, on notera que la Chambre des députés des départements était composée de 258 députés (1817). Le nombre passera à 430 députés (loi électorale du 29 juin 1820) assorti de 200 pairs de France (https://www.senat.fr/histoire/restauration.html).

Plus tard, la Monarchie de Juillet présentera une chambre 459 députés.
Sous la Deuxième République, les deux assemblées élues (constituante puis législative) sont portées à 900 membres dans le cas de l’Assemblée nationale constituante de 1848-1849, et à 750 membres dans le cas de l’Assemblée nationale ordinaire.

L’Assemblée nationale de 1871 sera composée de 768 représentants, tandis que la chambre des députés de la Troisième République, en 1876, sera composée de 534 députés puis de 618 députés lors des élections de 1936. La Constitution de la Quatrième République fixe un nombre identique de représentants dans les deux assemblées soit 586 députés. Lors de l’élections législatives du 9 mai 1951, 626 députés ont été élus alors que la Constitution prévoyait 619 députés. 1956, 596 députés ont été désignés auxquels se joignaient les représentants du « Conseil de la République ».

Pour finir, il convient d’indiquer que seuls les Constitutions « bonapartistes » du 13 décembre 1799 et du 14 janvier 1852 ont réduits drastiquement le nombre de représentants avec les conséquences historiques que nous connaissons.

Cela dit, après le coup d’État de 1799, Napoléon circonscrit la chambre à 300 membres, puis est auto-proclamé empereur 5 ans plus tard. Son neveu, Louis-Napoléon Bonaparte, en 1852 s’en inspire en vue d’un Second Empire restreint à 260 députés.

Avec l’inversion de la hiérarchie des normes voulue par la Loi Travail en 2017, l’instauration du traité de Maastricht en 1992 qui justifie à lui seul la mise en concurrence de tous les pans de l’économie vu l’obligation du déficit public inférieur fixé à 3 % du PIB, la promesse du Président de la République vient comme le troisième étage d’une fusée au sommet de laquelle se pose une République méconnaissable. Fait est que la République du nouveau monde désire remplacer la République à l’aube XXIème siècle qui l’a vue naître.

En résumé, on pourrait soupçonner les racines du populisme à l’heure où les peuples éprouvent une certaine lassitude à l’égard des partis. C’est alors que les foules mûrissent le projet de la recherche d’un « sauveur » qui insinue l’idée de la passion du bien-être matériel, penchant associé à l’égalité et, surtout, à un fantasme collectif susceptible de déboucher sur la jalousie à l’égard des « individus égaux ». C’est la célèbre formule de Jean Gabin : Salauds de pauvres !

De cette façon, il y a un sérieux risque d’effondrement de la démocratie et d’asservissement, dès lors qu’une nation ne réclame plus que le maintien de l’ordre et le bien-être matériel comme le but ultime de l’ambition sociale. À ce moment-là, le guide spirituel, le tribun, peut apparaître puisque que la masse des citoyens est enfin prête à être esclave dans son cœur.

Avec la mesure souhaitée par le Chef de l’État, faut-il voir un rebond historique, sinon un émiettement des liens déjà distendus entre les citoyens et les élus censés les représenter ?

Par Marcel Lourel

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