Rapport de Yaoundé sur les massacres de Ngarbuh ou l’art de calmer la grogne par des miettes


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Fotsing Nzodjou

Analyse sur le rapport du gouvernement camerounais sur l’attaque de Ngarbu : De L’art de mentir avec la force de l’autorité.

Mentir c’est cacher la vérité ou refuser de la reconnaître. Mais l’imposer avec autorité et vouloir que c’est elle qui soit connue, c’est faire triompher la volonté de la force au détriment de celle de la force des faits qui fonde la vérité. Cela revient aussi à renseigner sur le sens de ce qui est supposé être réel sous le ciel de l’autoritarisme. Car tout est fait pour qu’on n’ose pas dire ce qui ne colle pas avec les versions officielles.

La vérité ici est celle qui satisfait aux exigences de l’autorité tant qu’elle conserve son autorité. Ne soyons pas si naïf de penser que sous l’autorité, lorsque la vérité est dite, même en partie, que cela est l’expression de sa faiblesse, il est le plus souvent question de stratégie pour calmer la grogne sociale et mieux préserver son autorité. L’autorité camerounaise a précisément pris la peine de fournir un rapport sur les évènements de Ngarbuh dans un contexte marqué par la crise sanitaire du COVID-19 sous fond de crise institutionnelle inhérente à l’incapacité du Président de fait à jouer son rôle comme ses homologues. Et il devient évident que la sortie du gouvernement sur les massacres de Ngarbuh est loin de couvrir toute la vérité, mais encore se trouve être une diversion visant à calmer, voire supprimer ou prendre de l’avance sur le jeu démocratique. Nous verrons en quoi.

La vérité d’Etat, une version incomplète

Les Massacres de 21 civils à Ngarbuh avaient été révélés a l’issue des enquêtes de Human Rights Watch  Le rapport de HRW à ce sujet fut contesté par la communication gouvernementale camerounaise. On avait alors assisté à une cabale des journaux proches du gouvernement de Yaoundé pour blanchir l’armée camerounaise indexée. On avait assisté à toutes les intellectualités pro-gouvernementales très fertiles à produire des concepts pour déconstruire tout discours, qui de prêt ou de loin, voulait valider la thèse de l’assassinat des civils par l’armée camerounaise dans la région de Ngarbuh. Je ne vais pas m’étaler ici sur un rappel desdits concepts et des multiples sorties enregistrées à cet effet. Les archives sur net vous permettront de vous en faire une idée.

La vérité d’État actuellement publiée sous la forme du rapport sur le massacre des civils à Ngarbuh est une version incomplète et dont la force réside aussi dans l’atténuation de la vérité. D’abord sur le nombre de mort (13 au lieu de 22 selon les enquêtes de HRW), ensuite sur le caractère délibéré de l’acte et enfin sur les coupables. Ici, on choisit de donner un nombre de morts sans évoquer scientifiquement l’enquête qui a permis de l’établir, on procède ensuite à la justification de leur décès par la qualification de cette zone comme étant un foyer pro-sécessionniste, sans démonstration. Ainsi, la thèse de l’échange des coups de feu peut avoir un sens au détriment de la thèse de l’exécution des civils avancées par HRW. Enfin, la culpabilité. Ici, on accuse les exécutants et les rend responsables de ce qui s’est passé. On justifie l’erreur gouvernementale par un mauvais compte rendu de la part des soldats qui voulaient dissimuler les faits. Tout ceci pour nous faire croire que le gouvernement est à pieds d’œuvre pour rétablir la vérité.

Le choix de ces éléments, quand bien même il parvient à établir la reconnaissance de l’erreur gouvernementale dans ces événements, révèle fort bien le besoin de réduire l’ampleur du phénomène. Car toute la vérité impliquerait que le gouvernement pliât bagage et démissionnât en raison d’un mensonge d’envergure. Mais l’enjeu est trop important: conserver le pouvoir, nourrir l’opinion publique d’une actualité écran et la détourner du besoin immédiat absolu déjà exigée par le Président élu le Pr Maurice Kamto. Dans ce cas, il faut lui s’accorder un soupçon d’humanité et se rendre moins vulnérable.

De l’art de la Diversion et de la conservation du pouvoir.

Ce qui transparaît du rapport de Yaoundé à nos yeux, cependant, est moins ce qui y figure que le rôle d’un pareil rapport en ces circonstances. Non pas qu’il n’aurait pas dû exister, mais le moment de sa délivrance participe moins ou très peu d’un souci de justice que de divertir.

Avec un tel rapport, on orientera les esprits sur des évènements qui méritent mieux qu’un simple souvenir et une reconnaissance de ce que le gouvernement travaille. Ce rapport dit en filigrane que le Président de fait Paul Biya est à la manœuvre, qu’il joue son rôle en président alerte. Les autres décrets qu’il a (aurait) signé sont dans cette mouvance. Même la réception polémique de l’ambassadeur français au palais d’Etoudi reste dans la perspective de faire croire à l’opinion camerounaise que Biya jouit encore de ses capacités d’action et que rien ne justifie la moindre vacance du pouvoir.

Il est question ici de se servir une fois de plus du massacre des civils de Ngarbuh pour nous distraire et faire croire que le gouvernement œuvre à rétablir la justice.

Ce que vous observerez est la tendance des internautes à oublier que jusqu’ici Paul Biya n’a pas parlé à son peuple; qu’il lui est attribué un ensemble d’actes qui sont peu prouvés. Et que toute tendance ou orientation vers cette question est critiquée sévèrement. Car, c’est la question qui fâche et peut mettre tout le pouvoir de Yaoundé à mal. Il faut dire que s’il y a une reconnaissance à faire, elle irait à l’endroit des tous les organismes et journaux qui ont veillé à ce que les faits puissent triompher. Mais pour nous, cela n’a pas encore été fait totalement et une demi reconnaissance ne sonne à nos oreilles que comme l’art de nuire à la vérité. De plus, se servir de ces événements de Ngarbuh pour dissimuler ou faire écran à la nécessité de constater la vacance du pouvoir, c’est nous dévoiler combien on se moque des camerounais.

Le vrai problème est qu’on est en plein empêchement du jeu démocratique et ceci en faveur du pouvoir de Yaoundé. Rappelons nous, lorsque l’autorité prétend révéler la vérité, il ne parle que de ce qui l’arrange tant que cela participe à la préservation de son autorité ou de son pouvoir. Et c’est ce que m’évoque ce rapport qui correspond juste à des miettes pour contenter ou diminuer la pression de la communauté internationale. L’heure est à la vigilance et à la résistance.

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