Quand Compaoré verse dans le ridicule et que la rupture promise dans les relations France-Afrique se fait attendre


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Moins de deux semaines avant de commettre son horrible massacre du 28 septembre, la junte militaire guinéenne avait dépêché à Paris une délégation de haut niveau discrètement reçue par des officiels français, rapporte le quotidien américain The New York Times.

Cela ne surprend pas. C’est connu des Africains que pour la France, le camp des brutaux despotes est plus payant, parfois cash, et permet de mieux assouvir ses convoitises de l’uranium nigérien, du pétrole gabonais, des ports en eau profonde du Cameroun et du Togo, du bauxite guinéen, du diamant centrafricain ou encore, pourquoi pas, des belles cuisses sénégalaises.

Des sources bien informées américaines indiquent que malgré les tapages de Bernard Kouchener, Paris n’a pas totalement lâché la brute guinéenne, Dadis Camara. La preuve : Patrick Balkany, qui est un proche de Sarkozy, a affirmé que “la candidature du chef de la junte n’est pas un problème”. Les Africains francophones, très remontés contre l’Elysée et les lieutenants de sa diplomatie parallèle sur le continent, se demandent si derrière la médiation confiée au Burkinabè Blaise Compaoré ne se cache pas une manipulation française pour permettre à celui qu’il convient d’appeler “ le vétérinaire du 28 Septembre” de se maintenir au pouvoir.

C’est déjà arrivé au Togo où Faure Gnassingbé, en 2005, est resté aux affaires avec une complicité active de Paris et ce, malgré le meurtre de plus de 500 partisans de l’opposition (confère le rapport de l’ONU). Il y a de quoi être sceptique au sujet du cas guinéen. La proposition de sortie de crise du médiateur Blaise Compaoré n’est rien moins qu’un ridicule schéma, une insulte inacceptable à l’endroit des guinéens et de tout le Continent. Un gouvernement de transition présidé par Dadis Moussa Camara qui nommera un Premier Ministre au sein de la Société civile. Compaoré offre, en plus, au chef de la junte la possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle. Si on doit s’en tenir à un tel “chiffon”, les morts du 28 Septembre passent au compte des pertes et profits. Quelle infamie !

Blaise Compaoré n’a pas encore compris que l’exigence première de la communauté internationale, c’est d’abord et avant tout le départ du “vétérinaire” Camara. Doit-on se mettre à réciter des exemples pour faire comprendre au médiateur (?) que le type de solution qu’il propose aux Guinéens a lamentablement échoué partout en Afrique et que les solutions de complaisance et de facilité, comme la sienne, n’ont que trop nui à notre continent ?

Parias sur tapis rouge à Paris

Les Africains francophones doivent intégrer dans leur logique que l’opposition aux autocraties, c’est aussi forcément une opposition à la France. Des faits récents semblent le rappeler. Au Gabon, le ministre de la Coopération, Alain Joyandet, ne s’était pas contenté d’occuper les premières loges à l’investiture d’Ali Bongo. Il lui a apporté un soutien ferme de la France:“ il faut donner du temps à Ali” a-t-il déclaré aux journalistes.Un éloquent satisfecit à l’avocat Robert Bourgi pour la tâche accomplie, au nom de la France, dans l’élection de Ben Ali Bongo qui a d’ailleurs été félicité par son mentor, à Paris où il s’est rendu pour sa toute première visite officielle à l’étranger.

Le mois dernier, Mohamed Ould Abdel Aziz, le général qui a légitimé son Coup d’Etat avec une mascarade électorale en Mauritanie était en visite à Paris. Tapis rouge et honneurs de la garde républicaine pour un putschiste tout sourire aux côtes du président français sur le perron de l’Elysée.

Au Niger, le président Mamadou Tandja, après avoir méthodiquement bafoué les libertés civiles, mis aux arrêts des figures de l’opposition, a réussi à prolonger de trois ans son mandat présidentiel. L’impopulaire“despote du Sahel” est au ban de la communauté internationale mais s’affiche, sur une photo avec Nicolas Sarkozy, sur le site officiel du Quai d’Orsay. Un porte-parole du ministère français des Affaires étrangères a même laissé entendre, il y a deux semaines, qu’un contact de haut niveau est maintenu avec les autorités nigériennes.

Même amitié surréaliste à l’endroit de Paul Biya qui s’est constitutionnellement offert une présidence à vie après 28 ans de règne. Biya pompeusement reçu à l’Elysée en juillet dernier. “Le Cameroun est un pôle de modération”, dit-on comme pour justifier un accueil vu d’un mauvais œil aussi bien à Douala qu’à Yaoundé.

Obstruction à la liberté

“Les Africains n’aiment pas la France à cause de ses pratiques colonialistes qui leur font obstruction de choisir librement des dirigeants valables et capables”. C’est le constat que font beaucoup d’analystes parmi lesquels le camerounais Achille Mbembé, professeur de Sciences politique à l’université Sud-africaine de Witwatersrand. “Et partout, les processus démocratiques sont bloqués”, s’est indigné l’universitaire qui dénonce l’attitude obstructionniste de la France.

En 2010, trois pays francophones (Togo, Côte d’Ivoire, Centrafrique) vont organiser des élections présidentielles. A quelle sauce Sarkozy et ses réseaux vont-ils manger les électeurs de ces pays, s’interroge t-on sur le continent et dans les diasporas. Pas d’illusion à se faire, la rupture promise par Sarkozy dans les relations France-Afrique, c’est du bidon. On espère que les forces vives guinéennes resteront fermes et inamovibles sur leur position face au vaste complot que pilote, pour ses maîtres, le putschiste burkinabé Blaise Compaoré.

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Kodjo Epou est journaliste et chroniqueur pour différents médias, spécialisé sur l'Afrique et/où d'investigation. Il est aussi spécialiste de Relations Publiques
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