Protéger et réinsérer les enfants victimes de la guerre


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Les Nations Unies ont publié, mercredi, un rapport faisant le point sur les conséquences des conflits sur les enfants. Malgré des avancées, ils sont de plus en plus victimes de diverses formes de violences. Jean-François Bass, responsable de la protection de l’enfant à l’Unicef-Tchad, explique comment les protéger et les réinsérer.

« Les enfants qui vivent dans des situations de conflit sont de plus en plus menacés. Ils ne sont plus seulement pris entre deux feux. Ils sont de plus en plus souvent la cible délibérée de la violence, des mauvais traitements et de l’exploitation, et sont victimes des innombrables groupes armés qui s’attaquent aux civils ». La directrice générale de l’Unicef, Ann M. Veneman, résume ainsi l’un des principaux points du nouveau rapport des Nations Unies sur l’impact des conflits sur les enfants. Jean-François Bass est responsable de la protection de l’enfant à l’Unicef-Tchad. Il revient sur les moyens de réinsérer et protéger les enfants vivant dans un pays en conflit.

Afrik.com : Le rapport indique que la nature des conflits a changé. Dans quelle mesure ?

Jean-François Bass :
Ce changement est incontestable. La preuve la plus éloquente est qu’il y a dix ans le concept d’enfant-soldat rimait avec un jeune garçon qui porte une tenue spéciale, une arme, des bottes… On s’est rendu compte que cette définition est trop partielle car elle n’inclut pas les enfants qui soutiennent, s’impliquent et participent d’une façon ou d’une autre dans le conflit. Elle ne compte pas les enfants arrachés à leur scolarité et recrutés de force pour cuisiner, espionner… C’est pour cela que nous parlons d’enfants associés aux groupes (comme les milices) ou forces (régulières) armés.

Afrik.com : La réinsertion de ces enfants ne doit pas être facile…

Jean-François Bass :
La démobilisation est facile lorsque l’on parvient à un accord avec le gouvernement et les groupes armés. On met les enfants dans des centres pendant 90 jours où ils reçoivent des informations psycho-sociales. Ensuite, on regarde si la zone d’où ils viennent n’est plus en conflit et si sa famille est prête à l’accepter. C’est au niveau de la réinsertion sociocommunautaire que le processus est pluriannuel. Pour les enfants scolarisables et qui sont peu restés avec les groupes ou forces armés, il faut les remettre à l’école. Il arrive toutefois que des professeurs refusent de les avoir parce qu’il est déjà arrivé qu’ils se retournent contre eux. Pour ceux qui sont restés quatre ou cinq ans avec les groupes ou forces armés, il ne sert à rien de les scolariser car ils ont été habitués à gagner leur vie. Il faut donc leur trouver une activité génératrice de revenus, un apprentissage ou une formation. C’est un processus extrêmement complexe et qui demande une chaîne de responsabilités impliquant l’Unicef, les ONG internationales et locales – ces dernières pouvant suivre sur le terrain comment les choses se passent avec la famille.

Afrik.com : La réinsertion est-elle durable ?

Jean-François Bass :
Il est déjà arrivé qu’au bout de 24 mois les choses se passent mal avec l’enfant. En République Démocratique du Congo, il est arrivé que des enfants finissent par poignarder leurs parents alors que les premiers jours s’étaient bien passés. C’est la preuve que quelque chose n’a pas été réglé. Il faut réapprendre à ces enfants qui ont vécu comme des adultes à redevenir des enfants. Pour résumer, quelque soit la durée passée avec un groupe ou une force armés, il faudra trois ou quatre fois plus de temps pour réinsérer l’enfant.

Afrik.com : Quelles stratégies sont mises en place pour protéger les enfants en temps de conflit ?

Jean-François Bass :
Il y a d’abord tout ce qui concerne le plaidoyer. Il est important de rester impartial et de gagner la confiance des parties en conflit, tant du côté étatique que des groupes armés, pour pouvoir les convaincre de ne pas prendre les enfants pour cible. Ensuite, dans les déplacements de populations, 50% des déplacés ont moins de 18 ans. Il faut mettre une stratégie en place en amont pour limiter le nombre d’enfants séparés, non accompagnés ou qui traversent la frontière car ils sont plus exposés au risque de devenir enfant-soldat ou esclave sexuel. Enfin, lorsque le conflit est terminé, il faut mettre des réponses en place des stratégies pour que les garçons et les filles soient démobilisés et ne soient pas recrutés de nouveau.

Afrik.com : L’Unicef a-t-elle une activité particulière pour les protéger ?

Jean-François Bass :
Dans les camps de réfugiés de Goré et Gondje (Sud du Tchad) et dans 16 villages avoisinants, nous avons des centres dans des espaces clôturés. C’est une initiative que nous avons dans plusieurs pays. Les 3-5 ans apprennent à chanter, à jouer… dans un lieu sûr à l’abri de l’exploitation sexuelle et de la violence. Les 5-15 ans font des activités plus élaborées et les 15-18 ans font des activités sportives, assistent à des sessions sur le VIH/sida… Cela marche tellement bien qu’on nous a demandé de construire d’autres centres !

Afrik.com : Quelles initiatives les jeunes mettent-ils en place pour consolider la paix ?

Jean-François Bass :
Il existe quelques parlements d’enfants, qui ne rassemblent pas beaucoup d’enfants au niveau national. Il y a aussi les comités pour le bien-être des enfants qui se réunissent une fois par mois pour parler de problèmes de jeunes et parfois des causes d’un conflit. Ces comités marchent fort. Il y a aussi plusieurs radios qui ont fleuri ces quatre ou cinq dernières années avec des émissions destinées aux jeunes et préparées par des jeunes. Parfois, les questions ethniques ressurgissent et cela permet d’ouvrir le débat et de souligner que les jeunes ont plus intérêt à se rassembler pour vivre ensemble que pour détruire leur pays.

Afrik.com : Pensez-vous qu’il faut juger les enfants soldats ?

Jean-François Bass :
Tout d’abord, tous ces enfants n’ont pas commis des atrocités. La base pour nous est qu’ils sont victimes car ils sont mineurs. Et même s’ils sont partis combattre volontairement, on ne considère pas que c’était sur la base d’un consentement éclairé car ils sont mineurs. La juridiction internationale a une disposition assez spécifique qui dit qu’on ne traitera jamais un enfant et un adulte de la même manière pour le même crime.

Afrik.com : En a-t-il toujours été ainsi ?

Jean-François Bass :
Il y a une dizaine d’années, quand un enfant-soldat retournait dans sa communauté, c’était vraiment difficile car elle pouvait le rejeter ou se déchaîner contre lui. D’où l’importance de la sensibilisation à l’accueil de ces enfants, en partant du principe qu’ils sont avant tout des enfants, même s’ils ont commis des crimes abominables. Dans certains pays, il y a des rites pour extirper le mal de l’enfant ou des pratiques religieuses pour préparer son retour dans la famille.

 Photo : Unicef/Giacomo Pirozzi

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