Procès contre Gbagbo ou procès contre Ouattara et contre la CPI


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« En Côte d’Ivoire, celui qui juge, c’est celui qui a gagné » ce titre étonnant d’un article qui court en ce moment de rédaction en rédaction sur internet et dans les journaux semble être un projectile tiré par le camp Gbagbo et ses réseaux sur le nouveau gouvernement ivoirien et sur la CPI dans le cadre d’une offensive médiatique lancée pour tenter d’infléchir, au profit de leur protégé, le cours du procès intenté par la CPI. Edito.

On assiste en effet à la diffusion massive de plusieurs variations sur les thèmes de la criminalisation de l’armée ivoirienne, de la partialité de la justice internationale et de la justice ivoirienne. La dénonciation d’une « violation massive » des droits de l’homme par l’armée ivoirienne désignée intentionnellement sous le vocable de « FRCI de Ouattara », afin d’établir une analogie entre la nouvelle armée ivoirienne et les milices tribales sanglantes de l’ex-gouvernement, se fait de plus en plus pressante et de plus en plus bruyante. A l’aide de tribunes publiées, d’interviews accordées, et de commentaires diffusés dans des blogs, les soutiens et réseaux internationaux de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, assimilent la justice de la CPI et la justice nationale ivoirienne à une justice de vainqueur. Ils proclament la relativité de la justice et du droit pénal international au moment même où ils dénoncent une violation des Droits de l’homme, autrement dit une violation des principes universels qui régissent le fonctionnement des Etats de droit par le nouveau régime ivoirien !
Cette contradiction du camp Gbagbo dévoile une instrumentalisation de la justice et des droits de l’homme à des fins personnelles qui font peu de cas de la défense de la démocratie en Afrique.

Ce qui se présente comme une louable préoccupation d’impartialité ne poursuit-il pas d’autres buts moins nobles ? Ne cherche-ton pas à politiser le tribunal international pour sauver le soldat Gbagbo, combattant africain intrépide de l’anticolonialisme international de salon et de la lutte contre « l’impérialisme » néolibéral ? Ne cherche-t-on pas à transformer un procès juridique en procès politique pour discréditer la Cour Pénale internationale au profit de l’avenir politique de Laurent Gbagbo et des intérêts idéologiques et politiques de la nébuleuse qui le soutient ? Hier la paix civile en Côte d’Ivoire et le bien-être des populations furent sacrifiés sur l’autel de l’ambition personnelle de l’ex-chef d’Etat qui désirait conserver le pouvoir en violant le principe démocratique de la majorité des suffrages. Dans la continuité de cette logique qui piétine allègrement l’intérêt général fût-il celui d’un continent entier au profit d’un individu ou d’une faction, ne s’ingénie-t-on pas à instrumentaliser les droits de l’homme quitte à dévoyer en Afrique le nouvel impératif juridique des démocraties du XXIème siècle qui consiste à limiter le Pouvoir d’Etat par les droits humains fondamentaux ? Le procès Gbagbo ne doit-il pas permettre d’instituer dans le paysage politique africain cette nouvelle acception de la démocratie représentative du XXIème siècle qui naît sur les décombres des totalitarismes et des dictatures et qui renverse la perspective en subordonnant l’Etat à la société civile, en accordant aux intérêts des acteurs sociaux une place centrale au détriment de la toute puissance d’un Etat illimité ? Le procès Gbagbo n’est-il pas dans cette Afrique du XXIème siècle le procès emblématique d’un pouvoir qui s’installa sur la négation du rôle des Etats démocratiques de la nouvelle modernité, rôle qui consiste mettre le Pouvoir politique au service des intérêts des acteurs de la société civile, du respect des différences et de l’intégration des minorités ? La consécration de cette limitation des pouvoirs africains par les droits de l’homme n’est-elle pas l’enjeu fondamental de l’inculpation d’un chef d’Etat qui, portant la bannière de la démocratie semble-t-il pour faire illusion, gouverna cependant en violant systématiquement les droits de l’homme au moment même où l’Afrique sortait de la nuit des dictatures et des autoritarismes ?

Cette instrumentalisation cynique des Droits de l’homme par ceux qui furent les adeptes d’un ethno-nationalisme xénophobe meurtrier et antidémocratique ne met-elle pas finalement à mal la démocratie des droits de l’homme naissante en Afrique ? En cherchant à occulter le passif du gouvernement Gbagbo, en s’évertuant à détourner l’attention sur le nouveau Pouvoir ivoirien et à discréditer la CPI ne cherche-t-on pas à mettre en question la nouvelle conception de la démocratie qui donne la priorité aux intérêts de la société civile sur les intérêts de l’Etat qui se confondent bien souvent en Afrique avec les intérêts des couches dirigeantes ? En réalité, l’offensive des réseaux et supporteurs de Laurent Gbagbo est soutenue par une culture antidémocratique qui s’enracine dans l’idéologie des mouvements de libération nationale en lutte contre le capitalisme international et le néocolonialisme dont Laurent Gbagbo se réclame. En sourdine, cette offensive médiatique contre le nouveau gouvernement ivoirien et contre la CPI repose sur la thèse invariable du complot international contre Gbagbo dont l’inculpation au tribunal de la Haye constituerait le dernier acte. Dans leur esprit, la justice internationale vient parachever et pérenniser, en tant que parodie de justice, le règne de l’ordre établi au profit des intérêts financiers et géostratégiques du néo-libéralisme international et des multinationales. Elle vient entériner la loi du plus fort qui soutient la domination mondiale des intérêts du néo-capitalisme.

L’appel au respect des droits de l’homme et à une justice impartiale par les réseaux et soutiens de Laurent Gbagbo, leur dénonciation du nouveau pouvoir ivoirien est, en cela, loin d’être motivée par l’intention démocratique de veiller à ce que les droits de l’homme constituent désormais la valeur cardinale de la politique et de la démocratie africaines. Les supporteurs de l’ex-chef de l’Etat et ses réseaux internationaux demeurent dans la logique de la contestation de la légitimité du nouveau Pouvoir ivoirien avec laquelle ils veulent polluer le procès de la Cour pénale internationale. L’appel à l’inculpation des membres du nouveau gouvernement ivoirien et de l’armée ivoirienne relève d’une stratégie politique qui doit servir à mettre à mal le nouveau pouvoir ivoirien soupçonné d’être le pion africain du néo-colonialisme occidental et la tête de pont des multinationales. Il doit permettre de réinsérer leur mentor et champion dans le jeu politique ivoirien pour continuer, en Afrique, la lutte « anticolonialiste » contre la démocratie des droits de l’homme qui serait dans leur esprit prétendument téléguidée par le néo-libéralisme international. Dans cette stratégie ciblée, les réseaux internationaux et soutiens de Laurent Gbagbo agissent comme un groupe de pression dont l’intention est de perturber la sérénité des débats à la CPI au profit de leur joker africain qui risque l’emprisonnement à perpétuité. Que penser, en effet, des silences étonnants de certaines vigiles du Droit devant les violations des droits humains durant la crise post-électorale par les milices du chef d’un Etat dont il n’est pas absurde de soutenir, comme le fit la communauté internationale à propos des terroristes du djihad lors de la prise d’otage massive sur le site gazier d’In Amenas, qu’il porte l’entière responsabilité de toutes les horreurs de la guerre civile que son refus de céder le pouvoir après avoir perdu les élections a provoquées ?
Après le massacre des femmes d’Abobo, nième violation des Droits de l’homme, qui conduisit les Etats-Unis à déclarer la faillite morale de Laurent Gbagbo et de son régime, nous nous étions émus du silence d’Amnesty international dans une tribune intitulée « La logique de l’absurde de Pierre Sané ». L’éminent représentant de l’Organisation s’était fendu d’une interview dans laquelle il dénonçait la mise en quarantaine du régime Gbagbo par la communauté internationale sans souffler mot sur cette tuerie des femmes perpétrée à l’aide d’obus anti-char ! Nous nous étions étonnés de l’étrange silence et de l’indifférence de Pierre Sané, l’ex-secrétaire général d’Amnesty international, relativement à cet ignominieux massacre ! Que penser alors de cette soudaine conversion au respect des droits de l’homme de ceux qui prirent parti pour l’imposture lorsque l’avenir de la démocratie africaine fut gravement obscurci par le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir après avoir perdu les élections ?

Comment apprécier le récent souci de justice de ceux qui réclament l’impunité pour l’ex-chef d’Etat et qui se turent si bruyamment lorsque ce dernier mit en œuvre une campagne de meurtre massif pour tenter de conserver le pouvoir ? Comment évaluer la passion de justice et la conviction démocratique de ceux qui font de l’abandon des charges de crimes contre l’humanité qui pèsent sur Laurent Gbagbo, la condition de la réconciliation et de la pérennité de la démocratie en Côte d’Ivoire. La démocratie libérale représentative n’est-elle pas fondée sur le respect inconditionnel des droits de l’homme ? La réconciliation escomptée en Côte d’Ivoire, où la violation massive de ces droits fut inaugurée et perpétrée sous la direction de l’ex chef de l’Etat, ne passe-t-elle pas par la médiation de sa propre réconciliation avec les droits de l’homme au moyen de la sanction pénale ?

La passion nouvelle des réseaux et soutiens du camp Gbagbo pour la justice et pour l’égalité devant la loi, fondement et condition d’une saine démocratie, serait salvatrice à condition de s’inscrire dans une cohérence de convictions démocratiques explicitement formulées et déclarées. La crédibilité de la conversion de la nébuleuse pro-Gbagbo au respect des droits humains devrait être attestée par sa reconnaissance claire de la souveraineté de la vox populi, dont l’actuel chef de l’Etat ivoirien et son gouvernement, détiennent leur légitimité incontestable. Elle devrait être prouvée par le consentement du parti de Gbagbo à jouer le jeu de la démocratie libérale représentative et à en respecter les règles. Elle devrait être confirmée par son consentement à s’inscrire dans une opposition constructive fondée sur le débat démocratique des idées, et sur la confrontation des projets de société et des conceptions partisanes du bien commun.

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