Présidentielle camerounaise : l’interminable cauchemar ?


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arton23810

Le président Paul Biya est en campagne électorale depuis 29 ans, face à lui 22 candidats tirés de l’obscurité fondamentale, pour la plupart anonymes des anonymes, inconnus au bataillon des grands hommes auxquels la nation devrait être reconnaissante et insusceptibles, comme Dracula, de passer l’épreuve du jour et de la lumière que constitue une campagne électorale. Ceux-ci, loin de donner de la tablature à l’homme du peuple, le champion du renouveau, confirment plutôt l’idée entretenue dans le corps social, par les chantres du pouvoir ad infinitum, qu’après le désastre ce sera le chaos : craint-on le néant quand on est dans le vide ?

Paul Biya est une drogue nationale! C’est aussi un alchimiste qui transforme la souffrance des millions de camerounais en rêves et hallucinations collectives. Il a tout pour lui, ses discours sont des formules magiques qui anesthésient toute frustration. Il sera réélu en toute logique, et massivement, au-delà de toutes fraudes éventuelles. Si le président Biya souffre, c’est surtout d’être cru des jeunes, les vieux défendent leur bifteck, cela s’entend. Mais quid des jeunes? Ils revendiquent leur misère, acceptent, que dis-je, assument leur condition, célèbrent la réussite extraordinaire d’un Etat si pauvre dans un pays si riche ! Car le plus étonnant dans l’histoire, c’est que ce sont les populations rurales, les couches les plus misérables, la masse des humbles et des petits, les jeunes, les affamés, les laissés-pour-compte, les chômeurs, les célibataires, les orphelins, les paumés, les exclus, les marginaux, les femmes battues, les veuves, les « filles-mères », les handicapés, les souffreteux, les locataires, les tâcherons, les paysans, les villageois de Nkong-Messe, les éboueurs d’Hysacam, les vendeurs à la sauvette de Mokolo, les chauffeurs de « benskin » de Douala, les analphabètes, les sous-diplômés, les désespérés, les prisonniers, les sidéens, les victimes, qui psalmodient le mieux les louanges de l’éternel président.

Paul Biya éteint la rage furieuse de ses opposants les plus tenaces par un mépris souverain, presque amusé, des turpitudes dans lesquelles ils s’engluent et des contradictions qui les habitent. Par exemple, la plupart des opposants, au moins les plus sérieux, parlent d’un gouvernement de transition (e.g. Bernard Muna et John Fru Ndi), en cas d’élection, délégitimant par là, par avance, leur victoire éventuelle, s’incriminant eux-mêmes, en se posant comme indignes d’exercer un pouvoir véritable, continu, de manière efficace. Succéder à Biya ne serait-ce pas une transition suffisante ?

LES UN-PEU-PRESIDENTS

Ils sont avides de pouvoir mais n’en réclament qu’une petite parcelle pour un petit moment ; ils veulent la partie pour mieux accaparer le tout, les un-peu-président n’ont pas encore résolu l’équation de leur existence après Biya. Les gouvernements de transition ont toujours été le fait des gouvernements frappés d’illicéité ou d’illégitimité, les pouvoirs issus des révolutions ou des coups de force. En ce cas, leur programme politique, c’est la transition, face à un candidat dont le programme est de durer indéfiniment, cette stratégie de la non-existence est une stratégie de l’échec. C’est que le tonnage des cerveaux des un-peu-présidents ne contient pas une grande quantité de marchandises, tous les articles de choix sont des avaries et quand on a subi la déblatération de leurs rêves fédéralistes, on sait d’eux tout ce qu’il y a à savoir : ils sont là pour empêcher toute succession, non pas pour succéder véritablement. Témoin, la candidature insolite d’A. Ekanè a été validée alors qu’il n’a pas pu présenter de certificat d’imposition. La Cour Suprême a confirmé les errements passés qui avaient permis la candidature d’Ekanè, consacrant ipso facto une erreur en un droit constant. D’abord on a des candidats qui ne sont pas imposés, ensuite on aura des présidents qui ne sont pas imposables, c’est cela le calcul ?

Au reste, le slogan de campagne du « leader de l’opposition », Ni John Fru Ndi, indique non sans humour : « vous savez dans vos cœurs que j’ai raison ». Cette injonction peut être mise en parallèle avec le slogan faussement sobre du président sortant, qui ne risque pas de « sortir » : « Le choix du peuple ». Dans un cas, si on le savait dans nos cœurs, cela se traduirait dans le choix que nous effectuerons dans l’isoloir le 09 octobre prochain, en réalité il sortirait incinéré de certains cœurs ; dans l’autre cas, c’est encore une injonction, parce que le peuple qui se prononcera le 09 octobre n’a pas encore voté que déjà on lui indique qu’un peuple occulte a déjà choisi, à moins que ce ne soit un slogan en direction de la Communauté Internationale, messieurs du RDPC, le peuple choisit son président pas ses candidats. Les un-peu-présidents sont tous les jours dans les médias, le président sortant lui ne se soucie pas de cette iniquité, il est le candidat qu’on a le moins entendu, qui est le moins apparu physiquement, pourtant, par un tour d’alchimiste dont il a le secret, il est aussi celui que l’on voit partout dans les rues, dans des affiches géantes, celui qu’on invoque le plus, en somme un candidat au-dessus du lot, d’une absence partout présente.

Le président Paul Biya qui, à l’occasion de sa campagne, c’est d’ailleurs une posture permanente chez lui, un régime, n’accorde jamais de conférence de presse, ne rencontre pas les médias, n’a pas encore, à une semaine de l’élection, pris un seul bain de foule, devrait pousser sa logique jusqu’au bout : s’enfermer à Etoudi ou dans son village à Mvomeka’a jusqu’au 09 octobre prochain. Cela l’empêchera de parler au même temps que les autres candidats. Avec cette conséquence qu’il pourra profiter comme la plupart des Camerounais du spectacle d’humour et d’autodérision que donnent à voir ceux qui prétendent lui succéder. Il se rassurera à bon compte, après lui ce ne sera pas le chaos, mais la franche rigolade.

PAS BESOIN DE GUERRE, LE FEDERALISME C’EST LE CHAOS

Quand Paul Biya se pose en rassembleur, ses rivaux parlent d’un retour au fédéralisme, exposent leur méconnaissance de notre histoire, qu’ils entendent refaire selon leurs fantasmes, c’est-à-dire, finalement, réaménager, au sens originaire du mot, le chaos (origine du monde) et nous enlever l’âme de notre pays : l’unité. La décentralisation, ils ne comprennent pas que c’est parce qu’elle est ineffective qu’elle est inopérante ; leurs diagnostics sont si mauvais que leurs remèdes (la partition du Cameroun en trois ou en dix micro Etats) ne feraient que accentuer les divisions, dérouler le tapis rouge au sécessionnistes du SNCC… Au-delà de son inopportunité économique, le fédéralisme à nouveau serait un pas résolu et irréversible vers l’éclatement de notre pays, c’est le cheval de Troie du SNCC. A quelques exceptions près, tous les pays qui connaissent ce système politique (Belgique, Canada, Espagne, Ex-URSS, Ex-Yougoslavie, Nigeria, RDC, etc.) n’arrivent pas à juguler les montées souverainistes qui viennent les secouer. Après avoir été amputé par une partie de son territoire qui est revenu au Nigeria, le restant du territoire camerounais doit-il à présent être disloqué ?

Pour tout dire, Paul Biya n’est pas un président qu’on nous aurait imposé, c’est un candidat que les Camerounais s’imposent eux-mêmes. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » : est ce que savoir, ça n’est pas pouvoir ? Si, si… Encore faut-il vouloir. Les vieux savent, peuvent, mais ne veulent pas. Le jour vient où l’on comprendra exactement la nature de cet accommodement de l’inertie, comment, sans violences manifestes, sans succès économiques, sans présence médiatique, un homme seul a pu se maintenir indéfiniment, dans un contexte global constamment défavorable et une configuration nationale indiscutablement belligène. C’est cette compréhension seule qui conduira à la succession véritable, qui en tout état de cause n’aura pas lieu le 09 octobre prochain.

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