Pour une révolution universitaire au Cameroun


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« Malheur à vous, Docteurs de la Loi, qui possédiez les Clés de la Connaissance et qui n’êtes point entrés vous-mêmes, mais qui en avez interdit l’entrée à ceux qui le désiraient… » (St-Luc, XI, 52). Dans la nébuleuse affolée des intellocrates d’un RDPC en quête d’un nouvel arrangement au cœur de son oligarchie multiethnique, certains sont plus zélés que d’autres. Tout se passe comme si l’heure était enfin propice à l’émergence des seconds couteaux du biyaïsme vieillissant.

Il s’est ainsi trouvé deux professeurs de l’Université Camerounaise pour dire qu’une saine interprétation de la Constitution de 1996, amendée par l’autocrate Paul Biya en avril 2008, devrait conduire à offrir le loisir à un homme au pouvoir depuis 1982, d’y rester de façon indéfinie, se consacrant ainsi Président à vie et à mort. L’incongruité d’une telle analyse tient au fait qu’elle défie non seulement les canons de la modernité politique internationale qui converge plutôt vers la limitation de jure ou de facto du nombre de mandats présidentiels, mais aussi qu’elle méprise les luttes nationales les plus anciennes et les plus légitimes, menées par les camerounais pour voir émerger un véritable Etat de droit dans leur territoire. Il s’agit au fond d’une ultime injure au projet upéciste de fonder une république véritablement sociale, égalitaire, pluraliste, humaniste et solidaire.

Les analyses des professeurs Alain-Didier Olinga, Paul-Aarons Ngomo, Mathias Owona Nguini, ont largement démontré l’inanité juridique de l’argumentaire des juristes-roues-de-secours de Paul Biya. L’invocation pompeuse de l’intentionnalité psychologique bien- fondée du Constituant ou de la tradition juridique, tout comme la tentation de justifier de la rétroactivité de la loi sur le cas Biya, ont été rigoureusement analysées par les critiques, qui convergent vers un seul et même point : les professeurs Mouangué Kobila et Kombi Mouellé sont des sophistes cyniques au service du loup camerounais – le pouvoir Biya – dont on sait qu’il est construit, de fort longue date, sur le système successoral néocolonial de la Françafrique, l’usage de la violence armée et policière contre les citoyens, le pillage des richesses du pays, la corruption vertigineuse des hauts-cadres de l’Etat et du Gouvernement, l’abandon de millions de camerounais aux affres quotidiennes de la malemort, dont les statistiques officielles laissent percer tout le poids tragique : 70% des jeunes diplômés camerounais sont au chômage ; 40% des camerounais vivent en deçà du seuil de pauvreté ; l’espérance de vie en est réduite à 45 ans en cette 29ème année du séjour de Paul Biya au palais d’Etoudi.

Dans le présent écrit, il s’agira moins de revenir sur l’imposture intellectuelle et citoyenne de nos deux agrégés-de-service-du-biyaïsme que de s’interroger sur deux aspects laissés en suspens par toutes les interventions sus-évoquées : 1) Qu’implique pour l’avenir, le constat de l’instrumentalisation actuelle de la parole universitaire camerounaise par le régime de Paul Biya ? 2) Comment comprendre que des intellectuels du premier cercle ethno-oligarchique de Paul Biya brillent en cette affaire, tantôt par un dissentiment prudent, tantôt par un silence dont l’importance stratégique risquerait ainsi de nous échapper ?

Implications futures de la vassalisation actuelle de l’Université

Dans son maître-ouvrage, From Dictatorship to Democracy, le théoricien américain Gene Sharp, attaché à penser les conditions objectives d’une instauration de la démocratie par un usage rationnel et persévérant de la défiance non-violente, insiste à maintes reprises sur une idée essentielle : Sharp nous dit non seulement qu’il est difficile de passer de la dictature à la démocratie en utilisant les instruments de la guerre conventionnelle, de la guerre civile, de la guérilla, du coup d’Etat militaire, des élections, de l’intervention étrangère ou même des négociations avec l’autocrate ; mais Sharp montre aussi, et c’est sur ce point que nous insistons, que le passage de la dictature à la démocratie par l’usage de la défiance non-violente suppose une planification stratégique des actions susceptibles de convertir la société civile dominée en société créatrice de nouveaux droits. Autrement dit, il importe autant de renverser le dictateur que de savoir par quelles opérations anticipées la société qui succèdera à la dictature n’en reproduira pas une. Avant d’aller à l’assaut du système, les acteurs avertis des contrecoups de la défiance non-violente contre les dictateurs doivent en quelque sorte avoir prévu la société démocratique qu’ils désirent, en en cultivant les prémices dans la société civile qu’ils éduquent et dressent intelligemment et résolument contre le despotisme.

Nous pensons que ce raisonnement de Gene Sharp doit précisément s’appliquer à ce pan essentiel de la société civile camerounaise qu’est l’Université. Comment concevoir l’Université Camerounaise future de telle sorte que les œuvres néfastes d’universitaires comme les professeurs Mouelle Kombi et Mouangué Kobila y prospèrent de moins en moins, voire disparaissent à jamais dans les calendes de l’archaïsme intellectuel du pays ? Nous pensons que cela passe par la mise en lumière des mécanismes par lesquels cette chose particulière qu’est l’intellocrate ou intellectuel despotique peut naître, durer et périr. Qu’est-ce donc qu’un intellocrate ? C’est un travailleur de l’intellect qui a cessé de croire en la fonction émancipatrice de l’intelligence. C’est par conséquent, un homme – ou une femme – qui a coupé sa logique de l’éthique qui devrait lui servir de philosophie première. C’est un diplômé de l’Université, formé à la pratique théorique d’une discipline scientifique quelconque, mais qui tire de bien étranges conclusions du fait qu’il vit dans un Etat où la raison critique ne confère pas le pouvoir social, économique et politique. Devant le constat que dans le régime politique dominant où l’inégalité est au principe de la puissance, bien penser, bien dire et bien faire ne nourrissent pas correctement leur bonhomme, l’intellectuel vire en intellocrate, il se met au service du système despotique dont il s’attache à vivre en habillant son despotisme des atours de l’excellence. L’intellocrate pense, non plus avec son cerveau, mais désormais avec son ventre. C’est un ventriloque ou un ventrisophe, selon le néologisme qu’on préfèrera. On peut donc conclure de ce qui précède la chose suivante : l’intellocrate dure tant que le système despotique se reproduit. Il mourra par conséquent, non pas simplement du remplacement du despote ancien par un nouveau despote, mais de la transformation de la société autocratique en société démocratique.

Comment cette transformation devrait-elle se faire concrètement dans l’Université Camerounaise ? Nous la concevons en trois révolutions aux plans de la politique de l’Université, de l’économie de l’Université et de la culture de l’Université. La première opération consistera à autonomiser réellement l’accès à tous les grades de l’Université par des mécanismes de promotion placés sous le contrôle des enseignants de l’Université eux-mêmes. Il s’agira de couper l’Université du contrôle de qualité direct du Pouvoir Politique. En tant que haut-lieu de la Culture, l’Université doit être le lieu où l’Universel se réconcilie avec son exigence d’objectivité par la mise en application de l’évaluation critique des compétences à tous les niveaux de responsabilité scientifique. Le contrôle des Grades de Maîtres de Conférences et de Professeur des Universités par les légataires de l’Etat est un verrou à faire sauter. L’Université doit promouvoir les universitaires par des voies et moyens internes à l’Université. Pour cela la tradition des collèges électoraux universitaires, mais aussi des jurys impartiaux et compétents devra être protégée par des mécanismes de sélection exemplaires.

La seconde opération concomitante devra porter à notre sens sur la modernisation de l’infrastructure matérielle de l’Université, ce qui renvoie à ce que nous nommons précisément l’économie de la nouvelle Université camerounaise. L’état de délabrement physique et l’archaïsme architectural des universités comme des stades du Cameroun, sont des témoignages vivants de la ruine collective qui nous ronge. Des budgets puissants et rigoureusement gérés par des entreprises d’Etat ou des entreprises sous-traitantes sous contrôle et audit permanents, doivent être affectés à la construction de nouveaux amphithéâtres, bureaux, laboratoires, salles de cours, salles de conférences, sanitaires entretenus, logements, espaces de sports et loisirs, dans le cadre d’une architecture éco-innovante des Universités, chacune en phase avec son environnement et les exigences de la recherche de haut niveau. Une attention particulière sera portée à la sécurité sociale étudiante, avec une remise en selle du système des bourses d’Etat à la majorité des étudiants, l’accès gratuit aux soins dans l’Université sur la base d’une Couverture Maladie Etudiante, mais aussi de nouvelles facilités liées au transport public dans les villes universitaires. Enfin, le salariat du personnel de l’Université, enseignant et non-enseignant, doit être mis au diapason du coût réel de la vie au Cameroun, des niveaux de rémunérations dans des Universités de pays comparables, de telle sorte que les sirènes de la mangeoire d’Etat cessent de distraire les chercheurs de leur tâche d’avant-garde rationnelle de la nation. Pour cela, l’Université Camerounaise pourrait toujours profiter de la décentralisation de l’Etat pour négocier avec sa Région d’implantation, mais aussi avec les entreprises de son bassin, des contrats quinquennaux facilitant l’adéquation.

Enfin, une ultime opération de transformation concomitante porterait sur ce que nous nommons la Culture de l’Université. J’entends par là un cadre déontologique strict et original, matérialisé par un environnement éthique, juridique, règlementaire, procédural, qui oblige les citoyens qui y mettent les pieds à s’y sentir comme dans un espace sacré. La propreté extérieure des Universités Camerounaises devra témoigner de leur pureté intérieure. Celle-ci tiendra à la disparition exigée, recherchée et entretenue des pratiques d’impolitesse banalisée dans la réception des visiteurs, des pratiques de corruption administrative et financière, des pratiques de conflits d’intérêt entre étudiant(e)s et professeurs, entre professeurs et administrateurs, entre administrateurs universitaires et cadres des formations politiques de la majorité présidentielle ou de l’opposition. La Culture de l’Université fera primer les travaux de haute envergure, fera évaluer régulièrement les chercheurs dans lesquels la communauté nationale aura investis, fera rayonner les Universités Camerounaises au plan sous-régional, africain et mondial, en en faisant un lieu de labels d’excellence enviés et respectés par tous les travailleurs de l’intellect sur la terre.

La révolution universitaire, au cœur de la révolution citoyenne future, devra du même geste, viser ce triple horizon. Seule une Université Camerounaise, enfin coupée du contrôle direct du pouvoir politique, restaurée et modernisée dans l’infrastructure matérielle des choses et des personnes, placée dans le cadre quotidien d’une société de droits et de devoirs contrôlée par des lois, règlements et pénalités opérationnels et équitables, sera en mesure de se débarrasser utilement des nuisances des intellocrates. Ceux-ci auront alors à choisir résolument entre le travail de pensée critique et l’avilissement aux pratiques dogmatiques qui ne leur rapporteront ni avancement, ni nomination, ni chaire, ni reconnaissance citoyenne. Je reviens volontiers à une métaphore du livre de Gene Sharp que je recommande fortement aux lecteurs du présent texte. Gene Sharp invoque au chapitre 3, la fable du Maître-Singe, empruntée à une parabole chinoise du 14ème siècle, racontée par Liu-Ji (1311-1375). Un vieillard tenait des singes sous un joug impitoyable, leur imposant de donner le dixième de leurs récoltes de fruits chaque jour. Un jeune singe demanda un jour aux autres, écrasés par le fouet quotidien du maître, s’il n’était pas possible de désobéir ensemble au maître en cessant de lui ramener le fruit de leur labeur. Ce fut l’éveil des singes, la révolte des esclaves. Ils abandonnèrent le vieil homme qui finit par crever de faim. Et Liu-Ji de conclure : « Certains hommes, dans le monde, dominent leur peuple par l’imposture et non pas par la justice. Ne sont-ils pas comme le Maître singe ? Ils ne se rendent pas compte de leur confusion d’esprit. Dès que le peuple comprend la chose, les ruses ne fonctionnent plus. »

De ce qui précède, il ressort clairement qu’il existe un lien profond entre la fin de l’autocratie du RDPC, l’instauration d’un Etat de droit démocratique et la disparition résolue des hordes d’intellocrates qui polluent nos académies nationales. L’Etat-RDPC et ses intellocrates sont le Maître-Singe de la parabole. Quand le peuple organisé des primates émancipés – des vrais Hommes – les coupera de leurs ressources de domination, commencera alors la possibilité d’une nouvelle et vraie Université d’excellence dans l’histoire de ce pays. Or, une révolution citoyenne ne s’éveille pas seulement, elle se doit d’être veillée. Dans les rangs des peuples en colère, se glissent parfois leurs futurs dictateurs. Peut-on donc voir les prémices de cette révolution moralement nécessaire dans l’attitude critique fort nouvelle de nombreux anciens intellocrates du régime Biya ? Tous ceux qui contestent les manipulations pseudo-constitutionnelles des Mouellé Kombi et Mouangué Kobila veulent-ils résolument la modernisation qualitative de l’Université et de la Nation ? Ce point mérite maintenant notre attention.

Anti-biyaïsme et lutte démocratique camerounaise

Dans la guéguerre déclenchée par les interprétations de l’esprit de la Constitution de 1996 au Cameroun, il faut se méfier de confondre le bon grain et l’ivraie. En réalité, l’anti-biyaïsme qui commence à faire l’unanimité dans l’opinion savante du pays n’est pas forcément un signe de progrès pour la lutte des citoyens vers l’instauration d’une démocratie réelle. Comment séparer ces deux mouvements, apparemment convergents, en ces temps où l’on nous assure volontiers que la majorité des camerounais soutient le slogan du « Biya must go » ? Si la plupart des camerounais veut que Biya dégage, est-ce à dire que tous veulent l’instauration de la démocratie ? Nous ne le pensons pas. L’anti-biyaïsme risque précisément de servir de nouvel étouffoir à la lutte démocratique camerounaise si les forces citoyennes résolument engagées pour l’émergence de l’Etat de droit se laissent progressivement submerger par des fausses forces jumelles immergées en elles. L’anti-biyaïsme que manifeste la dénonciation du tripatouillage constitutionnel de 2008 doit être soumis au décryptage de l’observation historique de longue durée pour apparaître dans toutes ses nuances intrinsèques. Je distingue ainsi plusieurs sortes d’anti-biyaïsme : a) L’anti-biyaïsme de frustration ; b) L’anti-biyaïsme ethniciste et opportuniste ; d) L’anti-biyaïsme humaniste, bien-pensant et abstrait ; e) L’anti-biyaïsme muet ; f) L’anti-biyaïsme républicain, démocratique, pluraliste, humaniste et révolutionnaire. On devine d’ores et déjà que le dernier cité me paraît être le meilleur et que je m’y affilie. Examinons nos nuances.

L’anti-biyaïsme de frustration est celui des Mono Ndzana, des Joseph Owona, des Titus Edzoa, de tous ceux qui, pour des raisons en partie liées à leur carrière politique personnelle, en veulent à Biya de ne pas avoir suffisamment récompensé leur sacrifice pour la cause de son pouvoir autocratique. Des déclarations fourmillent chez ces trois personnages, qui illustrent bien cet anti-biyaïsme de frustration. Mono Ndjana, sophiste de longue date du Renouveau, a avoué dans moult tribunes qu’il vivait mal l’ « ingratitude » de Biya envers sa personne. On ne l’a même pas nommé ministre ! Aujourd’hui Mono recommande à Biya la retraite. Mais cela est loin de faire de Mono un ardent partisan de la révolution démocratique et pluraliste au Cameroun, puisque par ailleurs, il s’est parfaitement accommodé de tous les tripatouillages électoraux et crimes anciens du RDPC. Joseph Owona, ancien Secrétaire Général de Présidence de la République, autrefois pressenti comme dauphin éventuel de Biya, n’a pas ourdi le Projet de Constitution de 1996 sans songer que la clause de limitation de mandats pourrait le placer un jour en pôle position dans la course successorale interne au RDPC après-Biya. Comptable de nombreux désastres du pouvoir RDPC qu’il a servi au plus haut niveau, le Professeur Joseph Owona est par ailleurs le père du juriste critique Mathias Owona Nguini. On peut prudemment se demander, dans ces conditions, et eu égard à l’absence de confrontation théorique publique entre les deux Owona, jusqu’où peut aller la critique du fils envers le système-nourricier du père. Enfin, Titus Edzoa, illustre bien ce cas de figure. Après avoir servi de cerbère à Biya contre une génération entière de jeunes camerounais, Edzoa s’est retourné contre son maître – d’aucuns disent disciple – qu’il a défié dans un dernier geste éperdu. Aujourd’hui prisonnier de son ex-patient Biya, le Professeur Edzoa aurait pris plaisir à lire le livre historique Kamerun, qui raconte la criminalité originelle du régime Ahidjo-Biya auquel il lia dangereusement son destin. Curieux reflux de mémoire…

L’anti-biyaïsme ethniciste et opportuniste est assez curieux. C’est un fourre-tout national qui frôle le piège collectif à cons. On trouve quelques uns de ses représentants parmi les tribalistes anti-Boulou dans le Centre-Sud-Est, mais aussi dans toutes les ligues tribalistes anti-Beti qui se sont agglomérées dans tout le pays, en cercles plus ou moins officiels, dans l’Ouest, le Littoral, le grand Nord ou le Nord-Ouest. L’anti-biyaïsme ethniciste travaille ainsi le duel stratégique entre les élites du Nord et celles du Sud dans le cadre de l’équilibre légué par le colon français. L’anti-biyaïsme passe aussi dans la fracture anglophones/francophones ardemment entretenue par l’arrogance cynique des manipulateurs francophones du pacte du 20 mai 1972, mais aussi par le sécessionnisme en partie amnésique de certains mouvements anglophones qui limitent l’origine historique de la nation camerounaise à la période de la tutelle franco-britannique. Les prises de position d’intellectuels comme Mishe Fon, Shanda Tonme, et bien d’autres partisans du « Biya must go » portent exemplairement ces séquelles d’un projet de revanche ethnique. Tous, dans cette ruée aveugle contre l’autocrate d’Etoudi, oublient une chose : le régime RDPC de Paul Biya, dont les manettes sécuritaires les plus importantes sont entre les mains de la France et d’un premier cercle d’oligocrates Beti et Nordistes, est aussi un régime oligocratique multiethnique au sens large grâce à son mécanisme de cooptation des élites. Bamiléké, Foulbé, Bassa, Douala, Kirdis, Voutés, etc., tous les grands groupes ethniques camerounais ont leurs porte-étendards de foire dans le régime Biya. Le RDPC, ce sont aussi les Njoh Mouellé, Guillaume Bwélé, Laurent Essoh, Mouelle Kombi, Mafany Musongè. Ce sont aussi les Cavaye Yéguié, Amadou Ali, Marafat Yaya, etc. Le RDPC, ce sont aussi les Victor Fotso, Jean Nkuete, Kontchou Kouomegni, Achidi Achu. Ces gens sont de toutes les régions du Cameroun, bien qu’ils ne soient pas au pouvoir en vertu du choix démocratique des populations camerounaises. Il s’agit donc de mettre fin à un système oligarchique postcolonial, en refondant les institutions du pays dans la perspective de la souveraineté populaire. Du coup, ce qui caractérise cet anti-biyaïsme ethniciste, c’est sa quête de nouvelle opportunités pour reconstituer une nouvelle oligarchie ethnique nationale en lieu et place de cette que dirige Paul Biya.

L’anti-biyaïsme bien-pensant se présente comme une critique républicaine de la conservation du pouvoir au nom de la prise en compte des normes internationales de la modernité politique contemporaine. Cela est un point positif incontestable qui fait l’humanisme de principe de cette sorte d’anti-biyaïsme. Biya devrait donc partir, après 29 années de pouvoir pour la seule et bonne raison que cela ne se fait plus normalement dans le monde. Les événements dans le monde arabe, les révolutions Orange de l’est de l’Europe, les renouvellements politiques en Amérique latine, le Vent de l’Est dans les années 90, la jurisprudence de nombreux pays africains insérés dans des traditions d’alternance politique, tout cela indique que nous sommes dans un nouveau monde, que la dictature des présidents à vie est un archaïsme. Mais l’anti-biyaïsme bien-pensant ne nous suffit pas non plus. Il reste un humanisme abstrait. Exprimé par les prises de position courageuses des professeurs Alain-Didier Olinga et Mathias Owona Nguini contre les arguties juridiques des tripatouilleurs professionnels, l’anti-biyaïsme bien-pensant se veut gardien de la mode politique alors même qu’il s’agit d’épouser, davantage que ces idéaux tout à fait louables de notre temps, les luttes sociales, économiques et politiques concrètes du peuple camerounais pour la démocratie. C’est dans la rue, dans les associations, dans les partis, dans les ONG, dans les luttes réelles que l’intellectuel résistant à la dictature donne toute la mesure de son exigence. Clairement, la bien-pensance ne suffit pas là où il s’agit d’organiser la résistance collective contre une autocratie. J’en conclus que l’intelligentsia bien-pensante du Cameroun est en bonne voie vers la prise de conscience de ses devoirs. Et au lieu de se contenter de sermonner Mouangué Kobila et Kombi Mouellé pour leurs réflexes de confraternité avec leurs alliés des sommets du RDPC, il faut avoir le courage de dénoncer, en plus des voyoucraties pseudo-initiatiques qui serviraient de repaires secrets à ces manœuvres honteuses, le conflit ouvert que le RDPC au pouvoir mène contre les intérêts sociaux, économiques, culturels et politiques de l’écrasante majorité des citoyens du Cameroun. Il s’agit de dénoncer les Joseph Owona, Njoh Mouellé, et Maurice Kamto du RDPC ! La prise en charge de cette fracture politique seule conduit à en tirer les conséquences suivantes : on ne peut être sérieusement intellectuel dans une dictature sans prendre fait et cause soit pour le statut d’intellocrate, soit pour le statut d’intellectuel humaniste républicain, démocrate, pluraliste, humaniste et révolutionnaire. Cela dit, les anti-biyaïstes « muets » sont, comparés aux bien-pensants, les pires lâches de notre temps. Leur silence feutré sur les tripatouillages de Biya renvoie à l’opportunisme ethniciste et il faudra bien le leur rappeler un jour. Qu’ils ne croient pas qu’on n’entend pas leur silence pendant que l’innommable se perpétue ! Chaque chose a son temps. Insistons plutôt sur les anti-biyaïstes révolutionnaires et républicains, pour clore notre fresque de l’anti-biyaïsme.

Seuls ces derniers prennent sérieusement en charge les tâches concrètes de démantèlement de l’autocratie camerounaise, s’employant non pas seulement à faire le deuil symbolique et réel de la présidence-Biya, mais aussi à réarticuler les maillons épars de la société civile camerounaise martyrisée par plus de cinquante d’ans d’ajournement de la démocratie par des institutions violentes, arbitraires, infécondes et mensongères. L’anti-biyaïsme révolutionnaire n’a que faire de Monsieur Paul Biya, car il sait que cet homme doit tout au Cameroun et que le Cameroun ne lui doit plus rien. Ce qui intéresse cet anti-biyaïsme non obsessionnel, y compris quand il argumente ad hominem contre le dictateur comme fauteur de crimes imprescriptibles, c’est l’instauration d’un ordre politique nouveau, où l’Université Camerounaise sera au diapason d’une société renouvelée par la critique et la transformation réellement positives de ses fondements éthiques, culturels, sociaux, économiques et politiques. La tradition inaugurée par les Ruben Um Nyobé, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Osendé Afana, Mongo Beti, Jean-Marc Ela, Tchundjang Pouémi, et de nombreux autres valeureux citoyens attachés à l’intérêt général de la collectivité camerounaise, a besoin d’organisations civiles capables de la matérialiser dans le marbre des Idées et dans la chair matérielle du monde camerounais de la vie. La pensée des Eboussi, Moukoko Priso, Kom, Mbembé, Monga, Ngomo, comme la mienne, puise dans ce filon. La révolution universitaire camerounaise aura lieu précisément quand une alliance efficace et opérationnelle se constituera entre l’anti-biyaïsme bien-pensant et l’anti-biyaïsme humaniste, républicain, démocrate, pluraliste et révolutionnaire. Un alliage alchimique des Idées, un alliage concret des méthodes, une alliance organisationnelle citoyenne entre les forces intellectuelles critiques et les forces révolutionnaires démocratiques à l’œuvre dans la société camerounaise, sont les conditions de la mise à mort résolue du Cameroun archaïque du biyaïsme et de l’ahidjoïsme. Davantage que le changement d’hommes à la tête de l’Etat camerounais, nous avons besoin d’un changement des méthodes d’institution de la liberté, mais aussi d’une réforme radicale des institutions politiques, sociales et économiques sous l’orientation de l’intérêt général. Et comme le dit si bien Krishnalal Shidharani : « Le tyran ne tire son pouvoir de nuisance que des faiblesses de notre résistance. »

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