Penser « Africain » pour panser l’Afrique


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Steve Biko, leader Sud Africain contre l’apartheid et fondateur du Black consciousness movement (Mouvement de conscience noire) pensait à juste titre « qu’il ne peut y avoir de Libération physique sans une Libération psychologique ». Si on recontextualise aujourd’hui sa pensée, on pourra sans trop nous tromper dire que le développement de l’Afrique ne passera ni par une aide ni par une assistance occidentale mais uniquement et avant tout par la volonté des africains. Il ne peut y avoir de développement anhistorique.

L’un des drames aujourd’hui en Afrique est constitué par l’adoption de l’anglais, du français ou encore de l’espagnol ou du portugais comme langues nationales pour ne citer que les principales et cela, au détriment de nos langues ancestrales. Or, au-delà de sa dimension descriptive, nous connaissons tous la force performative de la langue. La langue ne décrit pas uniquement le monde, elle fait le monde, elle le transforme, elle le modifie.

Sur le plan empirique, la conséquence de tout cela est l’adoption de codes, us et coutumes occidentaux et son corollaire, la négligence des richesses africaines. Les principales marques utilisées en Afrique, les principaux produits en Afrique sont tous occidentaux.

La nécessité de « penser africain pour panser l’Afrique » est plus que d’actualité. En effet, la volonté de certains de réduire l’histoire de l’Afrique à la colonisation et le manque de volonté politique pour riposter de la manière la plus efficace possible nous amène aujourd’hui à entendre de la bouche de certains hommes politiques occidentaux des « bienfaits de la colonisation » et cela, sans aucune conséquence pour ces derniers. Quel homme politique occidental ose aujourd’hui parler des bienfaits de la shoah, des bienfaits du fascisme ou encore du nazisme sans mettre en péril sa carrière politique et sans s’attirer les foudres des grandes institutions internationales? Même si les chiffres sont encore sujets à controverse, la colonisation africaine a eu comme conséquence directe une perte en vie humaine estimée à plus de 41 millions de morts, soit presque 4 fois la population sénégalaise. Peut-on parler dans ce cas des « bienfaits supposés de la colonisation » ? Je vous laisse le choix d’en juger.

Sur le plan pratique, cette volonté de limiter l’histoire de l’Afrique à la colonisation se manifeste par la multiplication des discours sur l’immigration et récemment sur la peine qu’on devra infliger aux français d’origine étrangère commettant une infraction et cela aux mépris des règles élémentaires du droit international. Qui a dit « deux poids deux mesures ?»

Cette situation est-elle irréversible ? Non. Faut-il pour autant abandonner ces langues étrangères ? Bien entendu non. Par contre, il est d’une part urgent de développer et conforter nos langues nationales tout en incitant d’autre part nos intellectuels africains à penser africain et citer avec fierté nos ancêtres. Et même si notre civilisation est en partie orale, les ressources existent. Il suffit d’en être conscient et de les développer. Il ne s’agit pas de nier les écrits d’auteurs occidentaux, il s’agit tout simplement de valoriser aussi le patrimoine historique africain. « Wolof N’Diaye disait : avant de savoir où on va, il faut d’abord savoir d’où on vient.». Citer Koth Barma, montrer que l’Afrique est le continent « inventeur des droits de l’Homme », parler de Chaka Zoulou, de Soundiata Kéita et j’en passe, ce n’est ni plus ni moins que permettre aux africains de s’appuyer sur leur propre histoire comme fondement pour assoir durablement leur développement.

L’Afrique doit et va entrer dans le siècle naissant avec force et vigueur. Et au-delà des mots, sa participation ne se fera que si elle s’appuie sur les richesses africaines. Il s’agit donc de penser Afrique, valoriser l’Afrique, créer et développer les richesses africaines afin d’en faire des produits avec une valeur internationalement reconnue.

Penser Afrique au sens large et universel du terme sans aucun sectarisme bien entendu, c’est être conscient que sa principale force est dans son histoire, une histoire qui a existé bien avant la colonisation. C’est la seule voix possible pour panser l’Afrique.

Aujourd’hui le programme de tout président et futur président africain doit contenir ces deux propositions incontournables qui sont d’une part la mise en place des conditions pour la création d’un supra ministère africain de la culture et du patrimoine dont l’objectif est de rassembler ce qui est épars et d’aller vers la préservation et le renforcement d’une conscience et d’une histoire communes et d’autre part la création d’un supra ministère de l’initiative privée et de l’économie ayant pour objectif d’harmoniser les différentes initiatives locales et développer la richesse du continent en facilitant la création de grands groupes africains capables de se positionner avec force et efficacité dans la scène économique internationale. L’Afrique n’est ni anglophone, ni francophone encore moins lusophone et j’en passe. L’Afrique est africaine. Notre diversité est notre richesse. Développons-la. Préservons-la. C’est l’enjeu de notre développement. C’est l’un des défis du 21ème siècle.

Aujourd’hui plus que jamais il ne s’agit pas de déconstruire pour reconstruire mais d’enlever le voile afin de permettre à l’Afrique de montrer son vrai visage et aux africains qui n’ont jamais cessé de prendre leur destin en main, de faire connaitre à leur descendance leur vrai talent. C’est la voie d’une démarche d’ouverture. Montrer au monde mais surtout aux enfants d’Afrique qu’au « RDV du Donné et du Recevoir de ce que d’aucuns appellent la Civilisation Universelle et que certains appellent hâtivement la Civilisation Occidentale non pas sans arrière pensée dominatrice, l’Afrique a donné sa part…et quelle part. ».

Daby Pouyé, Professeur de marketing, Président de La Parisienne de l’African Dream Patchwork (Lapadp)

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