Pauvreté en Afrique : la faute aux seuls plans d’ajustement structurel ?


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Avec la crise actuelle, un grand nombre d’économistes ont appelé de leurs vœux l’intervention du Fonds monétaire international (FMI). Pourtant, celui-ci ne bénéficie pas toujours d’une bonne publicité. C’est le cas en Afrique où il est commun d’entendre dénoncer les impacts sociaux (négatifs) des programmes d’ajustement structurel (PAS) qu’il a parrainé dans le dernier quart du siècle dernier. Dans l’imaginaire populaire, le FMI serait le responsable de l’accroissement de la pauvreté en Afrique. Un tel discours n’est-il pas exagéré ?

Par Oasis Kodila Tedika

Vers le début des années 70, la vulnérabilité de la plupart des économies africaines se fait sentir. Les équilibres macroéconomiques se rompent : déficit budgétaire, endettement étouffant, inflation galopante et déficit commercial chronique. Bref, le tableau est catastrophique. L’Afrique se voit alors contrainte de recourir aux programmes du Fonds monétaire international (FMI). Comme remède proposé, en simplifiant, il y avait entre autres la réduction des dépenses étatiques ; ce qui occasionna des coupes budgétaires dans les secteurs de santé, d’assistance sociale, etc. L’austérité budgétaire des PAS sera-t-elle donc la seule responsable de la dégradation du niveau de vie des Africains ?

Dans une série d’articles, Emanuele Baldacci, Benedict Clements et Sanjeev Gupta ont trouvé que l’austérité budgétaire du FMI n’a pas été vraiment désastreuse au plan macroéconomique. En examinant 39 pays à faible revenu ayant appliqué un programme d’ajustement appuyé par le FMI pendant les années 90, les auteurs trouvent qu’en moyenne les pays de l’échantillon (africains et d’ailleurs) ont enregistré une croissance du revenu par habitant de 0,5 % par an pendant les années 90. Une amélioration de 1 point du PIB du solde budgétaire a un effet positif significatif sur le taux de croissance du PIB, en l’augmentant d’un quart de point au moins. Toutes choses restant égales, l’austérité est par conséquent non seulement inéluctable dans un contexte d’endettement excessif, mais utile pour contribuer à l’induction à terme de la croissance comme l’illustre le graphique suivant :

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Source : Xavier Sala-i-Martin et Maxim Pinkovskiy (2010)

L’observation de ce graphique montre que si la pauvreté a augmenté notamment suite à la mise en place des PAS, elle baisse à moyen et à long terme. En effet, le graphique montre l’existence d’une relation entre la mise en place des PAS et l’augmentation de la pauvreté. Une des raisons en est que ceux qui vivaient à la charge de l’Etat ont été privés d’assistance. Naturellement, une montée de la pauvreté devait s’en suivre. Toutefois après l’assainissement de la situation macroéconomique, la rationalisation des dépenses publiques et certaines réformes, le taux de pauvreté a commencé à reculer grâce au retour de la croissance et la création des emplois.

Dans une étude de 2010, intitulé « African Poverty is Falling…Much Faster than You Think ! », Xavier Sala-i-Martin et Maxim Pinkovskiy sont encore plus optimistes : l’incidence ou l’étendue – proportion de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour – de la pauvreté baisse très rapidement. Le taux de pauvreté qui atteignait 42% de la population en 1990 a rapidement diminué depuis 1995 pour atteindre 32% en 2006. Si le taux de pauvreté continue de diminuer à la même vitesse qu’entre 1995 et 2006, l’objectif du millénaire pour le développement de diminuer de moitié la pauvreté sera atteint en 2017 pour l’Afrique subsaharienne. Précisons quand même que toutes les « réformes » ne relevaient pas nécessairement de l’initiative du FMI.

L’idée transférant l’entière responsabilité de la pauvreté aux PAS ne se justifie pas aisément dans ce contexte. Cette idée, se fondant sur l’hypothèse selon laquelle la réduction de la pauvreté passe par la redistribution et donc par les transferts de l’Etat, n’est pas vraie. Il y a trop de raccourci. Or, pour les tenants du discours causal entre PAS et pauvreté, il y a eu des coupes budgétaires importantes dans les dépenses sociales. Et donc, il suffit juste de les considérer pour conclure de l’effet négatif des ajustements structurels sur la pauvreté. Véridique quant aux coupes ! Mais dans une certaine mesure, cela était inéluctable. Ajustement ou pas ajustement, d’une manière ou d’une autre, ces coupes allaient au pire de cas arriver. Le problème grec actuel est très illustratif : une gestion laxiste ne peut durer ad vitam aeternam.

Et puis, contrairement à ce qu’ils peuvent s’imaginer, la redistribution dans le contexte de l’Afrique des années 70-80 avait fait la preuve de son inefficacité : aggravation de la pauvreté. En effet, l’aide internationale fut généralement redistribuée à des gouvernements corrompus qui en ont fait leur propriété. Les ressources nationales furent dilapidées, sans un seul égard pour les pauvres.

Aussi, la recherche économique actuelle a démontré que la croissance économique est beaucoup plus efficace pour sauver des pauvres que la redistribution. Dans le cas africain, la voie empruntée était celle de la « décroissance » et donc celle de la pauvreté. Plus clairement, dans un pays où l’environnement institutionnel n’incite pas à la création d’entreprises, parce qu’il y a une instabilité permanente, une bureaucratie mêlée à une corruption prononcée et au non respect des libertés économiques, sur lequel on a saupoudré des mauvaises politiques économiques, il est normal que la croissance devienne négative. La pauvreté et les coupes budgétaires devenant ainsi inévitables. Les pays africains étaient contraints à un « ajustement structurel » pour se remettre sur le sentier de la croissance. Evidemment, pas forcément des PAS à la manière de ceux proposés par le FMI à l’époque.

En somme, il ne s’agit nullement de faire l’apologie du FMI ni de ses politiques. Loin de là ! Si l’on scrute très bien, il y a des éléments importants sur lesquels on peut réellement critiquer ses politiques pendant les décades 80 et 90, notamment sa focalisation sur l’approche comptable de la croissance et sa négligence du rôle des institutions dans le développement. Cependant l’obsession de certains à vouloir voir à tout prix en lui le monstre qui a détruit l’Afrique n’a pas grand sens car elle réduit ou fait disparaître du débat la responsabilité des politiques et des dirigeants africains et de l’histoire (colonisation, etc.).

Oasis Kodila Tedika est économiste congolais,

Publié en collaboration avec UnMondeLibre

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