Opposition togolaise : pourquoi marche-t-elle encore ?


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Un mois après les premières protestations du Front Républicain pour l’Alternance et le Changement (FRAC) contre la réélection du président sortant Faure Gnassingbé, l’opposition prépare une nouvelle marche de contestation ce samedi 3 avril. Eric Dupuy, le secrétaire national à la communication de l’Union des forces du changement (UFC) revient sur les évènements du 24 mars et explique les raisons de leur détermination.

Le gouvernement togolais a interdit à l’opposition d’organiser des marches de contestation à la suite des violences de la veillée du 24 mars censée « enterrer » le régime en place. Celle-ci avait provoqué le report de la manifestation du samedi 27 mars, suite à une première rencontre entre le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT, au pouvoir) et le FRAC.

Afrik.com : Le 26 mars dernier, vous avez rencontré Pascal Bodjona, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale. Que s’est-il dit à cette réunion ?

Eric Dupuy :
A la veille de chaque marche, nous rencontrons ce ministre ainsi que le ministre de la Sécurité, le colonel Titikpina, pour analyser les trajets et les modalités liés à la sécurité, ce n’est pas nouveau. La seule chose, c’est que 48h avant, il y avait eu des incidents graves lors de notre veillée. Il y a eu l’intrusion d’un homme armé, issu des forces de l’ordre, qui voulait s’approcher de nos leaders. Il a été désarmé par notre service d’ordre et un peu brutalisé. Contrairement aux déclarations mensongères du gouvernement, les gendarmes n’ont pas vu leurs collègues en sang puisque nous avons pris le temps de le soigner avant de la remettre aux autorités. Les faits ont été transformés. La rumeur a également couru que c’est Jean-Pierre Fabre qui aurait donné l’ordre de le molester, c’est totalement faux puisque celui-ci était assis à l’avant. Il n’était même pas au courant de ce qui se passait. Dans un souci d’apaisement, nous avons donc décidé de reporter la marche prévue le lendemain. Lors de cette entrevue, nous avons vivement protesté contre cette infiltration, leur rappelant qu’en janvier 1993 et en 2005, des personnes mal intentionnées avaient ainsi provoqué des incidents qui ont fait plusieurs morts. Nous leur avons également rappelé que nous ne sommes pas prêts à accepter les violations répétées de la Constitution comme le communiqué interdisant toute protestation concernant le hold-up électoral et l’interdiction des marches dans l’intérieur du pays.

Afrik.com : Vous parlez également des difficultés à organiser des manifestations en dehors de Lomé?

Eric Dupuy :
Tout à fait. Pourtant, elles sont un droit constitutionnel de tous les Togolais. Quand on leur a posé la question, on nous a répondu que c’est parce qu’ils ne disposent pas de suffisamment de personnel dans la police et dans la gendarmerie sur toute l’étendue du territoire pour assurer la sécurité. Nous leur avons répondu que les droits des Togolais de Lomé sont les mêmes que ceux résidant à Badou ou ailleurs. Nous tenons à ce qu’ils soient respectés. Je crois plutôt qu’ils ont peur de la contagion de nos manifestations en dehors de Lomé. La semaine dernière, nos collègues ont redemandé à manifester à Dapaong, Sokodé, Atakpamé, Kpalimé, Badou et Aneho. C’est encore interdit pour l’instant mais nos membres ont refait la demande cette semaine. Il y a une réelle contestation au Togo. Certains l’ont montré en votant pour l’opposition, d’autres en s’abstenant, d’autres encore en quittant le pays. Mais, est ce que c’est un honneur pour un pays qui se dit démocratique de dire qu’à la veille d’une élection présidentielle les gens ont fui le pays ?

Afrik.com : Vous ne comptez pas respecter l’interdiction de manifester du ministre de la Sécurité ?

Eric Dupuy :
Ce mercredi, nous avons écrit au ministre Bodjona pour réitérer cette demande et nous avons envoyé copie à M. Titikpina car cette interdiction n’est pas normale. C’est un droit constitutionnel. Ce dernier n’a pas vocation à nous l’interdire. C’est ridicule. Nous avons également dénoncé l’arrestation abusive de nos camarades de l’UFC. Certains ont été libéré cette semaine, mais pas tous. Je peux par exemple citer le cas de deux Togolais vivants en France. Ils sont venus nous prêter main forte pour l’organisation. La veille du scrutin, ils sont venus au siège chercher le matériel et l’argent à donner à nos membres des bureaux de vote. On les a arrêtés et depuis ils sont toujours en prison sans aucune raison. D’autres sont emprisonnés au nom du MCA (Mouvement citoyen pour l’alternance, un groupement insurrectionnel proche de l’UFC, ndlr) parce qu’ils sont supposés avoir fomenté quelque chose. Nous sommes dans un pays où on vous voit dans la rue et on vous emprisonne parce qu’on suppose que vous avez l’intention de commettre un acte répréhensible.

Afrik.com : Vos marches sont elles susceptibles d’inverser la tendance actuelle alors même que la cour constitutionnelle a validé la victoire de Faure Gnassingbé ?

Eric Dupuy :
Nous ne sommes pas découragés, bien au contraire. Nous avons le plaisir de voir que, de semaine en semaine, les populations nous rejoignent encore plus nombreuses. Nous avons un message pour ceux qui se maintiennent au pouvoir : ce sont les populations qui décident. Dès que nous avons quitté le ministère vendredi, nous avons suffisamment communiqué autour du report de la marche du lendemain. Nos militants criaient « manifestation, marche, marche » mais nous avons su les convaincre du bien-fondé d’un report. Nous avons été entendus donc nous ne sommes pas inquiets d’une éventuelle baisse de la mobilisation populaire.

Afrik.com : Vous comptez marcher jusqu’à quand ?

Eric Dupuy :
Jusqu’à ce qu’ils comprennent que cela suffit. On est dans un pays où on n’a jamais eu un scrutin propre. Il y a toujours eu des hold-up, depuis le père jusqu’au fils. C’est toujours le même parti au pouvoir qui obtient les mêmes 60% des voix. Or, lorsque vous interrogez les populations, ces gens-là sont vomis. Comment est ce que vous pouvez voter pour des gens qui vous maintiennent dans la misère ? D’après les dernières études du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), plus de 66% de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté au Togo. Dans certaines régions, ce taux atteint 80%. Une femme enceinte qui va à l’hôpital pour son accouchement doit dépenser 25 000 F CFA pour son kit de césarienne, sinon on ne la soigne pas alors que la césarienne est maintenant gratuite dans la région. Et au vu de tout ça, on va leur dire de rester au pouvoir ?

Afrik.com : Le candidat Nicolas Lawson a récemment incité le FRAC à renoncer à manifester. N’êtes vous pas tenté de suivre ses recommandations après un mois dans la rue ?

Eric Dupuy :
M. Nicolas Lawson prêche pour sa chapelle. Quand on est homme politique et qu’on s’amuse à jouer au yoyo, cela ne fait pas sérieux. Je m’interroge et je me dis que sa participation à l’élection de 2010 a été téléguidée et soutenue par je ne sais qui. Maintenant, ces actions sont de nature à remercier les généreux donateurs à qui il fait des appels de pied pour pouvoir participer à un éventuel gouvernement. Il l’a lui-même laissé entendre.

Afrik.com : Mais de votre côté, des rumeurs de ralliement courent également concernant votre porte-parole Kofi Yamgnane, voire d’autres membres du FRAC ?

Eric Dupuy :
Je ne les ai pas entendus au sujet de M. Yamgnane. Mais soyez sur que l’UFC n’est pas prête à travailler avec le gouvernement. Pour nous, nous considérons que la victoire nous a été volée. Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent, je ne vois pas pourquoi nous le ferions aujourd’hui. Les choses peuvent toujours évoluer car en politique, on ne dit jamais « jamais » mais c’est notre position actuelle.

Afrik.com : Pourquoi, selon vous, le président sortant ne s’est toujours pas exprimé concernant sa réélection ?

Eric Dupuy :
Selon les rumeurs, il devrait prêter serment à la fin de la semaine. Si j’étais à sa place, je profiterai de ce moment soit pour restituer le pouvoir à celui qui l’a effectivement gagné dans les urnes, soit pour remettre ma candidature en jeu en appelant à d’autres élections dans six mois, un an. Parce qu’il ne peut pas avoir claironné dans toute la sous-région qu’il allait faire une « élection transparente à la ghanéenne », « instaurer la démocratie » et se contenter du simulacre de scrutin de cette année 2010. Je pense que c’est pour cela qu’il reste silencieux.

Afrik.com : Que répondez-vous à ceux qui dénoncent votre responsabilité du fait de la corruption de certains de vos observateurs présents les bureaux de vote ?

Eric Dupuy :
Avant même qu’on aille aux élections, il y a eu de la fraude. Nous avons fait des analyses sur la fraude qui se préparait avant le 4 mars. Par exemple, imaginez-vous que dans certaines régions la croissance de la population a été multipliée par 4 en deux ans. Nous avons saisi l’Union européenne (UE) et le PNUD. Nous avons signalé le vote de mineurs, ceci a été confirmé par le rapport liminaire de l’UE. Certains préfets et chefs traditionnels ont appuyé la campagne de Faure. Tout cela est en violation du code électoral. Ces éléments suffisent déjà pour que ce scrutin soit nul.

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