Nuit de fronde à Paris


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Moins de trois heures après l’annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles, la foule envahit les rues des grandes métropoles françaises. Réactions spontanées à l’annonce du résultat. Jean-Marie Le Pen, candidat de l’extrême-droite, sera en effet le challenger du président sortant Jacques Chirac au second tour. Retour sur une nuit parisienne entre colère et espoir.

Paris, Place de la Bastille, 22h45. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sont tombés un peu moins de trois heures auparavant. 19,8% pour le président sortant Jacques Chirac ; 17,2% pour Jean-Marie Le Pen, candidat du Front National. Le représentant du parti d’extrême-droite figurera donc au second tour, pour la première fois en France. La colonne de juillet, monument symbole de la place, s’entoure de manifestants. Cent, deux cents, cinq cents personnes. La rue se remplit à vue d’oeil. Le premier slogan fuse, comme spontanément :  » Nous sommes tous des enfants d’immigrés, première, deuxième, troisième générations ! »

Image historique. Du groupe de manifestants qui s’est huché sur l’obélisque émerge un petit enfant. Haut comme trois pommes et noir comme la nuit, il brandit une pancarte trop lourde pour lui.  » Le Pen, dehors « , simplement. Comme les autres, il affiche une mine radieuse. La manifestation prend un air de fête. Il est 23h00 et ce sont maintenant plusieurs milliers de personnes qui amorcent lentement une marche vers la place de la République. Des cortèges se forment à la hâte. Désordre et spontanéité.

Le sourire et l’amertume

 » Moi je m’en fiche, de toute façon je retourne à Dakar ! « , crie Leïla en avançant. Elle ne scande pas les slogans qui résonnent autour d’elle. Elle dit juste à qui veut l’entendre qu’elle ne restera pas ici.  » En fait, ce n’est pas vrai, je ne vais pas rentrer. Pas tout de suite du moins. J’ai toute ma famille et mon travail ici, mais si Le Pen passe au second tour, là, oui, je m’en vais « , rectifie-t-elle. Elle sourit en prononçant ces paroles amères.  » Il y a vraiment beaucoup de monde… Ca fait du bien « .

Surprise, la marche est stoppée par une autre manifestation. Un même rassemblement a eu lieu place de la République et se dirigeait de son côté vers la Bastille. Demi-tour. Les deux cortèges n’en forment plus qu’un et retournent vers le point de départ. Moment de confusion. La caméra de LC2, la télévision béninoise, peine de plus en plus à recueillir les témoignages des manifestants, entre les hurlements et la pression de la foule. La journaliste n’est pas inquiète pour son reportage. Elle confie que les mots qu’elle enregistre sont toujours les mêmes de toute façon :  » Le Pen à 17%, c’est la honte « . La phrase revient comme un leitmotiv, et  » Entre nous, ça me rassure un peu « , dit la jeune femme de Cotonou.

Ce n’est qu’un début

Retour à la Bastille. Des échos des autres manifestations, à Lille, Strasbourg, Grenoble, Rouen et Nantes parviennent jusqu’aux manifestants et font la joie des conversations. C’est un troisième cortège qui a porté la nouvelle. Une troisième manifestation avait en effet pris naissance place de l’Odéon, avant de rejoindre, elle aussi, la place de la Bastille. A présent c’est entre 20 000 et 50 000 personnes qui marchent ensemble.

En marge du mouvement, deux voitures, toutes portières ouvertes, stationnent côte à côte. De la radio d’une vieille Peugeot blanche retentit les basses d’une musique d’Afrique du Nord, tandis que de sa voisine bleu foncé grondent les rythmes rapides des tambours du Mali. Une dizaine de personnes dansent sur ce curieux mélange. David, dont les parents viennent de Bamako, s’arrête un instant de battre le tempo pour parler du résultat de ce premier tour.  » Première réaction : ça fait peur.  »

Mais il se dit ému de voir les gens qui se sont déplacés.  » Et c’est juste le début « , prophétise-t-il. Pour lui, le mouvement de la rue ne fait que commencer. Il se promet d’être présent samedi prochain, à la manifestation contre la xénophobie qu’annoncent déjà le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et la Licra (Ligue internationale de lutte contre le racisme et l’antisémitisme).  » Et nous serons encore plus nombreux ! « 

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