Nigeria : Tinubu accorde une grâce présidentielle aux « Ogoni Nine »


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Bola Tinubu, président de la CEDEAO
Bola Tinubu, président de la CEDEAO

Le 12 juin 2025, lors de la Journée de la démocratie, le président Bola Tinubu a accordé une grâce posthume aux « Ogoni Nine », dont Ken Saro-Wiwa. Vingt-neuf ans après leur exécution controversée, cette décision symbolique ravive les critiques sur l’absence de justice et de réparation.

Vingt-neuf ans après leur exécution qui avait choqué le monde entier, Ken Saro-Wiwa et huit autres militants ogoni viennent d’être graciés à titre posthume par le président nigérian Bola Ahmed Tinubu. Cette annonce, faite lors de la Journée de la démocratie célébrée le 12 juin, vient rouvrir une plaie profonde dans l’histoire politique et environnementale du Nigeria. Mais si ce geste est symboliquement fort, il soulève aussi de nombreuses questions sur la justice, la mémoire, et la responsabilité historique.

Un pardon tardif, mais lourd de symboles

L’annonce du président Tinubu marque une reconnaissance officielle – bien que partielle – des abus commis sous la dictature militaire de Sani Abacha. Le 10 novembre 1995, Ken Saro-Wiwa et ses huit compagnons d’infortune avaient été pendus dans des conditions atroces, à l’issue d’un procès qualifié de « mascarade judiciaire » par Amnesty International. Le Nigeria tourne ainsi une page sombre de son passé, mais sans pour autant l’avoir entièrement lue.

Écrivain, producteur et militant écologiste, Ken Saro-Wiwa fut le porte-voix infatigable du peuple ogoni, victime de décennies de pollution causée par l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger. En dénonçant la complicité entre l’État nigérian et des multinationales comme Shell, il est devenu une figure mondiale de la lutte pour la justice environnementale. Son engagement, consigné notamment dans son ouvrage Genocide in Nigeria, lui valut admiration internationale… et la corde au Nigeria.

La mémoire sans la justice ? Les critiques ne désarment pas

Si la grâce posthume constitue une avancée morale, elle est loin de satisfaire les défenseurs des droits humains. Amnesty International appelle à une réhabilitation complète, incluant l’exonération officielle, la réparation pour les familles, et la poursuite des responsabilités politiques et économiques. Car derrière le symbole se cache toujours une réalité douloureuse : aucun responsable n’a été jugé, ni au sein du gouvernement de l’époque, ni parmi les entreprises incriminées.

La multinationale Shell, accusée d’avoir fermé les yeux, voire d’avoir collaboré, à la répression des militants ogoni, fait aujourd’hui face à plusieurs procès au Royaume-Uni. Les communautés locales réclament des réparations pour des décennies de pollution, d’expropriation et de violences. Cette bataille juridique rappelle que les crimes contre l’environnement sont aussi des crimes contre les peuples, et qu’ils laissent des traces bien au-delà des discours de réconciliation.

Un geste politique, un test pour la démocratie nigériane

En choisissant de gracier les « Ogoni Nine » le jour de la fête nationale de la démocratie, Bola Tinubu envoie un message politique fort. Mais ce geste suffira-t-il à reconstruire la confiance entre l’État nigérian et les communautés marginalisées du delta ? Pour beaucoup, la vraie justice ne viendra que lorsqu’on reconnaîtra publiquement l’innocence des militants exécutés, qu’on indemnisera les familles et qu’on mettra fin à l’impunité des pollueurs.

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