Nigéria : Faut-il faire la guerre aux vendeurs de rue ?


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Le Nigeria interdit les commerces de rues. Pourtant c’est ce secteur informel qui emploie 70% de la population en zone urbaine. Ça se passe de commentaire.

Dans son article, Rahimat Emozozo, s’étonne d’abord de ce genre de mesures accompagnées d’aucune stratégie de réinsertion. Au lieu de distribuer des amendes et des peines de prison le gouvernement devrait mettre en place des mesures incitatives et un environnement des affaires favorable à la petite entreprise. Sans cela le niveau de pauvreté et de délinquance pourrait drastiquement explosé dans le pays !

Le commerce de rue représente plus de 70% de l’emploi urbain au Nigeria. En 2003, le gouvernement de l’État supervisant le Nigeria et la plus grande ville d’Afrique, Lagos, a pris des mesures réglementaires interdisant le commerce de rue sans tenir compte de l’impact significatif sur une vaste population dont le seul revenu dépend de cette forme d’entreprise privée. Alors pourquoi restreindre le commerce de rue?

Certaines des plaintes déposées contre le commerce de rue concernent les perturbations, le surpeuplement, ainsi que la congestion causée sur les routes principales. Les cas d’accidents de la route sont également fréquents dans les zones où le commerce de rue est plus concentré. De plus, le commerce de rue mobilise une part importante d’enfants travailleurs. Cependant, malgré les justifications avancées par les régulateurs pour restreindre le commerce de rue, la réglementation du secteur peut faire plus de mal que de bien.

Le commerce de rue c’est de l’entrepreneuriat de survie

Une littérature abondante témoigne de l’importance des pratiques de libre marché. Un thème commun réitéré par les théoriciens libéraux classiques tels que Mises, Kirzner et Rothbard est la valeur de l’activité entrepreneuriale et le rôle qu’elle joue dans le processus de croissance économique de tout pays. Avec cette prémisse, on pourrait penser que les pays qui tardent à se développer manquent d’esprit d’entreprise.

La prédominance d’activités entrepreneuriales, telles que le commerce de rue, dans les pays en développement témoigne de l’existence de l’esprit d’entreprise chez les citoyens. La réalité est que ces personnes, autant que dans n’importe quel pays développé, restent attentives aux opportunités de profit et agissent en conséquence. La question à se poser est de savoir s’il n’y a pas de disparités dans les activités entrepreneuriales dans les pays développés et sous-développés et si l’hypothèse d’une éthique de travail faible est nulle. Qu’est-ce qui fait que les pays en développement n’ont pas les mêmes effets de croissance que leurs homologues développés?

A l’évidence, il existe quelque chose qui déforme les effets des activités de marché dans les pays en développement : la sur-réglementation qui est un facteur majeur. Elle est pourtant généralement mise en place pour résoudre des problèmes supposés émaner du marché. Cependant, trop de régulation s’avère contre-productif. Ainsi, restreinte le commerce de rue peut avoir des conséquences dévastatrices.

Pas d’autre choix

Le commerce de rue semble être une caractéristique majeure de l’urbanisation dans de nombreuses villes émergentes. Sa prévalence peut être attribuée à l’un des problèmes exposés dans le livre de Hernando De Soto, Le mystère du Capital.

Les institutions de développement sont confrontées à des obstacles qui rendent difficile la capitalisation des actifs par les pays. L’un de ces obstacles se trouve dans le système de propriété formel. Des caractéristiques institutionnelles inadéquates et médiocres, conjuguées à une lourde bureaucratie, à des procédures d’enregistrement strictes pour l’acquisition de titres ou des permis, font qu’il est difficile et coûteux pour les entrepreneurs de posséder des entreprises formelles et légales.

Cela explique pourquoi le commerce de rue est persistant malgré les tentatives continuelles de le restreindre dans les centres urbains. L’échec continu du gouvernement à combler le fossé entre les institutions informelles et formelles sur la voie du développement entraîne des résultats décevants. Lorsque le gouvernement entrave la vie des populations, cela devient un gros problème. Lagos n’échappe pas à la règle.

La réglementation ne fonctionne pas

La loi de Lagos sur l’interdiction du commerce de rue et des marchés illégaux, adoptée en 2003 et relancée en 2016, interdisait les activités de commerce de rue dans la région métropolitaine de Lagos. Les violations de cette interdiction sont sanctionnées par une amende de 90 000 nairas nigérians (250 dollars américains) ou une peine d’emprisonnement de six mois. Les agents d’application de la loi sont également autorisés à saisir des marchandises auprès des vendeurs ambulants. Aussi brusques que paraissent ces réglementations, elles sont peu respectées et le commerce de rue est encore très répandu, peut-être en raison du manque d’opportunités d’emploi ou d’une faible application par les autorités.

La mise en œuvre de ces réglementations accorde une grande latitude aux agents de l’Etat. Cependant, en raison des attitudes aberrantes des forces de l’ordre dans les pays en développement comme le Nigeria, les commerçants de rue capables de payer des pots-de-vin aux policiers pourront continuer à commercer sur la voie publique. Ceux qui n’en ont pas la capacité sont condamnés à la pauvreté ou aux activités illicites. En raison des restrictions imposées par le gouvernement, une multiplication des crimes dans la zone urbaine est prévisible.

La moitié de la population de Lagos vit en dessous du seuil de pauvreté bien qu’elle fasse tourner une économie d’environ 50 milliards de dollars et environ 20% du PIB du Nigéria. Une grande partie des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’est en mesure de joindre les deux bouts que grâce aux opportunités offertes par le commerce de rue.

De plus, la réglementation ne peut pas réduire le travail des enfants parce que les enfants en âge de scolarisation impliqués dans le commerce de rue sont là par nécessité. L’absence d’opportunités de commerce de rue peut les rendre encore plus vulnérables et les expose à la petite délinquance et à la traite.

Une meilleure solution

Au lieu d’interdire complètement le commerce de rue, un processus graduel doit être mis en place pour minimiser les chocs sur les acteurs économiques impliqués dans cette activité. Le meilleur résultat viendra de mesures axées sur le marché (des incitations pour que les commerçants quittent les rues). Par exemple en simplifiant les démarches bureaucratiques relatives à la sécurisation des permis d’exploitation et des titres de propriété, les régulateurs pourraient faciliter l’entrée dans le secteur du marché formel et écarteraient ainsi du spectre de la grande pauvreté tous les petits commerçants autoritairement déguerpis.

Rahimat Emozozo est étudiant diplômé en économie au Johnson Center for Political Economy de l’Université Troy.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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