Mustapha Cherif en tête-à-tête avec Benoît XVI


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Mustapha Cherif

Depuis mardi, le pape Benoît XVI effectue sa première visite officielle dans un pays musulman : la Turquie, où chacune de ses prises de parole sont écoutées avec la plus vive attention. Le 12 septembre dernier, les déclarations du souverain pontife sur la place de la violence dans l’Islam avaient provoqué un tollé dans le monde musulman. Mustapha Cherif, philosophe et islamologue, professeur à l’Université d’Alger, a rencontré le pape quelques jours avant son départ pour Ankara. Il revient, pour Afrik.com, sur cet entretien.

Moins de trois mois après la violente polémique déclenchée par ses propos sur l’Islam, le pape Benoît XVI est en visite officielle en Turquie. Arrivé hier à Ankara, son voyage s’achèvera vendredi. Au cœur des sujets abordés lors de ses rencontres, le dialogue entre chrétiens et musulmans. Ce dernier avait été mis à mal après son discours de Ratisbonne, en Allemagne, prononcé le 12 septembre 2006. Pour faire une condamnation claire et motivée de la violence exercée au nom de la religion, il avait, entre autres, cité l’empereur byzantin Manuel II Palaiologos qui en 1391 s’était entretenu avec un érudit persan à propos du jihad. Le pape avait repris les propos de l’empereur chrétien qui avait déclaré à son interlocuteur : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait ». Le discours de Ratisbonne avait déclenché la colère des fidèles et des autorités religieuses du monde musulman qui lui reprochèrent d’assimiler violence et Islam. Le 17 septembre, le pape se déclarait « attristé » par les réactions produites par son discours. Et le 25 du même mois, au palais apostolique de Castelgandolfo, il recevait les ambassadeurs des pays musulmans auxquels il exprimait ses regrets. Suite à ces événements, Mustapha Cherif, islamologue et philosophe, professeur de l’Université d’Alger, spécialiste du dialogue inter religieux, a voulu s’entretenir avec le pape. Le 11 novembre dernier, il a obtenu satisfaction. Pour Afrik.com, il revient sur cette rencontre.

Afrik.com : M. Mustapha Cherif, comment s’est déroulée votre rencontre avec le pape Benoît XVI ?

Mustapha Cherif : J’ai eu le privilège exceptionnel de m’entretenir avec lui, le 11 novembre dernier, dans son bureau, au Vatican, et d’échanger avec lui pour ouvrir des horizons de paix. Benoît XVI m’a écouté avec bienveillance et attention. C’est un homme de dialogue, mais pas un spécialiste de l’Islam.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous voulu le rencontrer ?

Mustapha Chérif : Il est important d’aider le souverain pontife à comprendre les musulmans et à connaître le vrai Islam. Il est clair que son discours de Ratisbonne a légitimement choqué les musulmans du monde entier. Il a aussi heurté beaucoup de chrétiens… Ce qui a offensé les musulmans dans ses déclarations, c’est qu’elles faisaient l’apologie du christianisme en dénigrant l’islam. L’immense majorité des musulmans accepte la critique positive mais refuse le dénigrement et l’amalgame. Lors de notre rencontre, c’est ce que je lui ai dit. En retour, j’ai accepté de répondre à ses questions sur des points fondamentaux tels que la violence et la foi.

Afrik.com : Pour vous, la page du discours de Ratisbonne est tournée ?

Mustapha Chérif : A partir du moment où le pape a présenté ses regrets, je suis d’accord pour discuter. De toutes façons, entre l’Islam et le Christianisme, il n’y a pas d’autre alternative que le dialogue. La propagande du choc des civilisations est une diversion pour nous diviser et occulter les grands problèmes politiques du monde. Le pape et moi avons convenu que nous devons être alliés plutôt que concurrents.

Afrik.com : Avant d’être élu Pape, le cardinal Ratzinger avait la réputation d’appartenir à l’aile dure de la hiérarchie catholique. Pensez-vous que les relations entre musulmans et chrétiens peuvent s’améliorer sous son règne ?

Mustapha Cherif : De savoir, s’il est plus ou moins dur, c’est aux catholiques de le dire, pas à moi. Pour ma part, je considère qu’il est en train d’apprendre quelle est la responsabilité d’un souverain pontifical. Le discours de Ratisbonne a été un tournant dans sa vie. Il a pris en considération nos critiques, celles du monde musulman. Je crois qu’un rapprochement est possible. J’ai confiance. Nos défis communs, les grands enjeux de l’humanité sont plus importants que ce qui nous divise.

Afrik.com : Quelle voie faut-il prendre, de votre point de vue, pour permettre un rapprochement entre chrétiens et musulmans ?

Mustapha Cherif : Il faut se rencontrer. Il faut prendre la parole, il faut dialoguer. Il faut se connaître. Car le partage de l’expérience humaine nous transforme. Nous ne devons pas laisser les extrémistes de tout bord nous diviser. Les pyromanes ne sont qu’une infime minorité. L’écrasante majorité des musulmans a soif de dialogue et de paix.

Mustapha Cherif revient sur sa rencontre avec le pape Benoît XVI dans l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur à paraître demain, jeudi 30 novembre.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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