Meurtre de Travyon Martin: « la justice américaine est raciale, mais pas raciste»


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De nombreuses villes américaines ont manifesté ce lundi pour dénoncer un jugement « impartial et raciste », à la suite d’un verdict très controversé rendu samedi 13 juillet par le tribunal de Floride, dans l’affaire Trayvon Martin, du nom de ce jeune Noir-américain assassiné en février 2012 par George Zimmerman, un jeune Latino-américain de 28 ans. Une affaire qui avait secoué l’Amérique toute entière jusqu’au plus haut sommet de l’Etat et qui avait fait réagir le Président Barack Obama. Joint par Afrik.com, François Durpaire, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise et Spécialiste des Etats-Unis, fait le point.

Afrik.com : Comment qualifiez-vous le jugement de Georges Zimmerman ?

François Durpaire : c’est un jugement qui permet d’évaluer l’état des relations inter-raciales aux Etats-Unis. Il y a deux types d’erreurs à ne pas commettre pour analyser cette affaire. La première consiste à penser que rien n’a changé aux Etats-Unis, que le racisme d’aujourd’hui est le même que celui d’hier, que l’élection d’un Président noir est l’arbre qui cache la forêt. La deuxième erreur, à l’inverse, consisterait à croire que tout a changé, et que l’élection d’un Président noir à la tête du pays suffirait à tout régler, que le racisme est définitivement derrière nous.

Afrik.com : Juste après le jugement, la presse américaine a accueilli « sans surprise » le verdict. Pourquoi un tel désespoir de la part de presse nord-américaine ?

François Durpaire : Il ne s’agit pas de désespoir mais d’anticipation, car il y a avait des choses qui avaient filtré. La police avait déjà commencé à appeler au calme. Depuis jeudi, la presse américaine avait déjà une idée de ce qui allait se passer. Le jury semblait hésitant, et on sait que le doute doit profiter à l’inculpé.

Afrik.com : l’Etat américain peut-il faire quelque chose dans cette affaire ?

Français Durpaire : Aux Etats-Unis, les juges sont élus et non pas nommés. Il y a une indépendance totale de la justice. La seule chose que l’Etat fédéral peut faire – via le ministère de la Justice – est de diligenter une enquête fédérale. On sait qu’un individu ne peut pas être jugé deux fois pour le même chef d’inculpation, sauf si on change d’échelle de jugement. Dans ce cas, on passerait d’un jugement au niveau de l’Etat de Floride au niveau fédéral. George Zimmerman pourrait être accusé de violation des droits civiques, ce qui est un crime fédéral.

Afrik.com : En se basant sur ce jugement, peut-on dire que la justice américaine est raciste ?

François Durpaire : Je dirais que si cette justice n’est sans doute pas « raciste » (au sens où les jurés seraient hostiles a priori aux Noirs), elle est très certainement « raciale » (au sens où la couleur de peau et l’origine continuent à jouer un rôle déterminant). Il est caricatural de dire que la justice américaine est raciste, qu’elle est une justice des Blancs contre les Noirs (comme elle l’a été au cours de l’histoire américaine), mais il serait également utopique de considérer que la justice est neutre. Peut-on penser que si Trayvon Martin avait été blanc, il aurait été ainsi abattu. Peut-on penser également que si les jurés avait été noirs, le jugement aurait été le même ? Enfin, il faut souligner que cette affaire n’est pas finie. En plus de la question de l’enquête fédérale, il est tout à fait probable que la famille de Trayvon demande un procès civil. Le fait de perdre au pénal ne préjuge pas du résultat d’un procès civil.

Afrik.com : Un tel jugement ne risque-t-il pas d’avoir des conséquences graves pour la société américaine ?

François Durpaire : Les militants des droits civiques comme le révérend Al Sharpton sont révoltés pas la décision. Mais la réalité c’est que les plus jeunes – au sein de la communauté noire – sont moins militants que leurs parents et grands-parents qui ont connu le combat des droits civiques. Pour beaucoup, tendre le poing en l’air est assez exotique. Deuxième idée : nombreux sont ceux qui baignent dans un environnement multiculturel où les relations inter-raciales sont nombreuses. D’ailleurs, on l’a vu avec ces manifestations dans toutes les grandes villes américains : elles sont à la fois pacifiques, contrairement aux réactions suite à l’acquittement des policiers ayant tabassé Rodney King en avril 1992 (55 morts) et elles comptent des Noirs, mais aussi des Blancs et des Hispaniques. L’attitude de ces derniers préfigurent l’avenir de l’Amérique. Certains se sont montrés solidaires de George Zimmerman, dont la mère est hispanique, mais la plupart ont témoigné de leur solidarité avec la communauté noire. C’est donc une Amérique brown, plus complexe qu’il n’y paraît – qui a réagi à l’acquittement de George Zimmerman.

Afrik.com: Et l’attitude d’Obama ?

François Durpaire :Son positionnement relève d’un jeu d’équilibriste. S’il est trop proche des militants des droits civiques, on va lui reprocher d’être le Président des Noirs, et non pas de toute l’Amérique. S’il se montre insensible, on peut l’accuser de renier sa propre communauté, qui a contribué massivement à sa réélection.

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