Mayotte, l’espoir pour les jeunes Comoriens


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Drapeau des Comores
Drapeau des Comores

Le soir, on aperçoit clairement les lumières de Mayotte, une île française de l’océan Indien, depuis Mramani, un village côtier vétuste et privé d’électricité de l’île comorienne voisine d’Anjouan. Pour la plupart de ses habitants, la vue de l’autre côté de l’océan laisse espérer un avenir plus radieux.

Les Comores sont l’un des Etats les plus pauvres de la planète alors que Mayotte, située 70 kilomètres plus au sud, fait partie de l’Union européenne et est une île prospère. Et à mesure que se creuse l’écart économique entre ces deux îles, de plus en plus de migrants comoriens pauvres sont prêts à braver la mer pour se rendre à Mayotte à la recherche d’une vie meilleure.

La traversée, à bord d’embarcations branlantes en bois, connues sous le nom de kwassa-kwassa, n’est pas sans risque ; et bien qu’il n’y ait pas de statistiques fiables, on estime généralement le nombre de victimes entre 200 et 500 chaque année.

« Beaucoup d’enfants tentent la traversée, souvent seuls – ils sont envoyés par leurs familles. Certains ont tout au plus 10 ou 11 ans, mais le risque en vaut la peine, car ici [à Mayotte], ils ont une vie », a confié à IRIN Hamada Bouhoutane (un nom d’emprunt).

Bon nombre de femmes enceintes figurent parmi les personnes qui tentent la traversée. En effet, faire naître un enfant à Mayotte lui donne la citoyenneté locale et ouvre ainsi la voie à l’acquisition de la nationalité française et européenne, aubaine plus alléchante. Environ 7 400 bébés naissent chaque année à Mayotte, dont 5 000 dans l’hôpital de Momoudz, la capitale, qui présente le taux de natalité le plus élevé de l’Union européenne.

Originaire de la Grande Comore, la plus grande des trois îles de l’Union des Comores, M. Bouhoutane avait 17 ans quand, en 2002, il est arrivé à Mayotte à bord d’un kwassa-kwassa, via l’île d’Anjouan.

« Les soins médicaux sont l’une des principales raisons pour lesquelles les Comoriens viennent ici. J’étais malade et mon état de santé ne s’améliorerait pas à la Grande Comore. A Mayotte, il y a des hôpitaux et des médecins », a-t-il fait remarquer.

« Je suis parti de l’île de la Grande Comore et j’ai passé une journée [à Anjouan]. J’ai ensuite trouvé le kwassa-kwassa qui devait m’amener à Mayotte et nous avons attendu la tombée de la nuit pour partir. Nous étions 18 à bord de l’embarcation, chacun de nous avait payé 100 euros [148 dollars américains] », s’est souvenu M. Bouhoutane. Les passeurs exigent parfois le double de cette somme, comme ils peuvent aussi réduire le prix des places pour embarquer le maximum de personnes à bord.

« Nous sommes partis vers 19 heures et sommes arrivés à Mayotte vers 23 heures. Trois heures plus tard j’étais admis à l’hôpital », a-t-il poursuivi. M. Bouhoutane a été soigné pour une maladie pulmonaire et depuis, il est totalement guéri.

Tandis qu’une île se maintient à flot…

D’un point de vue géographique, culturel et historique, Mayotte fait partie de l’archipel des Comores. D’ailleurs les quatre étoiles qui figurent sur le drapeau de l’Union des Comores représentent les îles de la Grande Comore, de Moheli, d’Anjouan et de Mayotte. Mais à la suite d’une décision encore controversée, après un référendum d’autodétermination organisé dans les quatre îles et qui a conduit à l’accession à l’indépendance des Comores vis-à-vis de la France en 1975, l’île de Mayotte a organisé unilatéralement une nouvelle consultation et a décidé de demeurer au sein de la République française.

Auparavant, les ressortissants comoriens pouvaient aller et venir librement à Mayotte, mais alors que Mayotte prospérait, l’histoire de la période post-indépendance des trois îles de l’Union des Comores a été caractérisée par le séparatisme et une vingtaine de tentatives de coup d’Etat déjouées ou réussies.

En 1995, l’introduction du visa a limité les voyages entre Mayotte et les trois îles de l’Union et a fait de la plupart des Comoriens déjà installés à Mayotte des « clandestins » ou « des migrants illégaux ».

D’après les estimations officielles de la France, il y aurait quelque 45 000 « clandestins » à Mayotte, bien que la Croix-Rouge pense qu’ils pourraient atteindre 60 000 et que la population de l’île serait d’environ 165 000 à 200 000 habitants.

Comme les îles de l’Union, Mayotte est loin d’être autosuffisante et est devenue largement tributaire de l’aide financière qu’elle perçoit de la France essentiellement à travers les allocations sociales et les subventions de l’Etat, une situation que lui envient les habitants des autres îles. Une fois sur le territoire mahorais, la plupart des « clandestins » [comoriens] ne veulent pas en repartir.

« Au bout de 24 heures, j’ai pu quitter l’hôpital, mais je ne suis jamais reparti [à la Grande Comore] parce qu’ici, je peux m’inscrire dans une bonne école et il y a toujours un hôpital », a indiqué M. Bouhoutane.

…les autres coulent

Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les années d’instabilité politique ont entraîné une baisse régulière du niveau de vie aux Comores, où le produit intérieur brut (PIB) chute chaque année de 0,5 pour cent depuis 1990 et s’élevait en 2005 à 640 dollars américains par habitant.

« Dans les villages, vous ne rencontrez que des enfants et des personnes âgées. Il n’y a personne pour faire le travail – tous les jeunes gens vigoureux sont partis », a expliqué à IRIN Elyachroutu Mohammed Caabi, ancien vice-président de l’Union et actuel conseiller économique et social du gouvernement semi-autonome d’Anjouan.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le montant de l’Aide publique au développement (APD), dont le pays est largement tributaire, a considérablement chuté, passant d’environ 60 millions de dollars par an, en 1990, à 25 millions de dollars, en 2005. Par ailleurs, la dette extérieure des Comores est estimée à 297 millions de dollars, ce qui représente 63 pour cent de son PIB.

« Nous devons trouver une solution parce que la population souffre. La pauvreté augmente, il n’y aucun développement, aucun investissement, aucune activité économique, aucun emploi et la communauté internationale ne nous aidera pas tant que le pays ne sera pas stable », a affirmé M. Caabi.

Dans le rapport sur l’indice de développement humain 2006 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le pays est passé de la 132ème place, en 2004, à la 134ème.

« Plus de 30 ans après l’indépendance du pays, l’économie des Comores stagne », d’après Opia Kumah, Coordinateur résident des Nations Unies aux Comores. « Dans de nombreux domaines, le pays a régressé ».

Les élections organisées par île en juin 2007 ont ravivé les hostilités entre Anjouan et le gouvernement de l’Union des Comores. En outre, étant donné que la perspective d’une solution pacifique à l’impasse politique actuelle est plus que jamais improbable et que l’aggravation de la situation économique semble inéluctable, de plus de plus de gens tentent leur chance sur des embarcations surchargées à destination de Mayotte.

« Nous essayons d’empêcher les gens de partir à bord des kwassa-kwassa parce c’est dangereux, mais nous ne pouvons arrêter tout le monde. Lorsqu’ils nous voient venir, ils s’enfuient et embarquent à partir d’une autre plage », a expliqué Fahar Chabalan, agent de police à Mramani.

« Il n’y a pas de travail ici. Le seul travail est la construction de la nouvelle mosquée », a-t-il déploré. Le village compte déjà six mosquées, mais actuellement la plupart des rues sont bordées de maisons abandonnées.

« Tous les jeunes sont partis […], mais je comprends les gens qui cherchent à partir. Je fais partie des personnes qui peuvent s’estimer chanceuses parce qu’elles ont un emploi », a ajouté M. Chabalan.

L’herbe n’est pas toujours plus verte…

Mais les Comoriens qui parviennent jusqu’à Mayotte ne sont pas tous mieux lotis. Sans statut ou titre de séjour légal, et contraints de travailler dans les secteurs informels de l’économie locale, les migrants clandestins sont de plus en plus vulnérables à l’exploitation.

Fatihia Raissa (un nom d’emprunt), 24 ans, est arrivée à Mayotte en 2003, mais son frère, qui a la citoyenneté française, a refusé de l’aider. Elle s’est mariée à un éleveur local, devenant sa cinquième épouse, après qu’il lui eut promis de l’aider à obtenir le titre de séjour nécessaire pour rester sur l’île.

Depuis, elle est confinée dans la ferme de son mari où elle passe ses journées à nettoyer, à faire la cuisine, à s’occuper des animaux et à prendre soin des enfants des autres femmes. « Ma famille est restée à la Grande Comore. Je me sens perdue, je suis comme une prisonnière », a-t-elle affirmé.

« Je n’ai jamais connu de moments heureux dans ma vie », a déploré Mme Raissa. « Je n’avais rien, j’ai donc épousé un Mahorais. Je n’ai toujours pas de titre de séjour et il m’a fait savoir qu’il me dénoncerait aux autorités si je le quittais. Elles m’expulseront certainement et je devrai abandonner mon enfant d’un an. Je n’ai pas le choix ».

La plupart des « clandestins » travaillent dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche, et d’après la Croix-Rouge, ces travailleurs ne gagneraient en moyenne que 250 euros (370 dollars) par mois, un contraste frappant par rapport aux 647 euros (958 dollars) payés aux Mahorais.

Et pourtant, M. Bouhoutane s’estime chanceux : « Ici [à Mayotte], les gens peuvent être pauvres, mais pas au point de ne pas avoir de la nourriture ou de l’eau, comme chez nous ».

Ayant trouvé deux emplois, l’un comme jardiner et l’autre dans la restauration, M. Bouhoutane dit empocher un salaire mensuel d’environ 100 euros (148 dollars). « C’est suffisant, c’est au moins huit fois plus que ce que gagne un salarié à Anjouan ».

Combattre l’immigration clandestine

Selon Ahmed Rama, chef de cabinet du service des Collectivités territoriales de Mayotte (Collectivités françaises d’outre-mer), « l’immigration clandestine à partir des Comores pose un gros problème à Mayotte – elle a toujours été importante, mais depuis 2006-2007, le nombre de migrants augmente chaque jour ».

Et pour lutter contre ces « boat-people » et dissuader les candidats à l’immigration, les autorités françaises ont fait des investissements en mettant en place des patrouilles maritimes entre les îles et en installant une troisième station de radar ; en outre, à Mayotte, de plus en plus de Comoriens en situation irrégulière sont arrêtés et expulsés.

« Nous avons essayé de nous doter de tous les moyens possibles pour limiter le flux massif de migrants à Mayotte, mais chaque jour, des kwassa-kwassa chargés de migrants clandestins réussissent à passer à travers les mailles du filet », a commenté M. Rama. « Nous ne pouvons pas les arrêter tous ».

Selon les autorités, les arrestations de migrants clandestins ont augmenté de plus de 130 pour cent en 2007, mais il est impossible de savoir si cette hausse s’explique par l’efficacité de l’action de la police ou par le nombre plus important de candidats à l’immigration clandestine.

Pour M. Rama, aucune statistique ne permet de se faire une idée exacte du nombre de personnes qui entrent illégalement à Mayotte.

« Nous expulsons jusqu’à 20 000 personnes par an, actuellement », a-t-il affirmé, mais bon nombre d’entre eux reviennent au bout de quelques jours et une même personne peut être expulsée plusieurs fois.

Quant à M. Bouhoutane, il s’estime très chanceux de n’avoir jamais été expulsé. « J’ai des amis qui se sont fait expulser huit fois. Ils reviennent toujours, mais cela coûte très cher. J’aurais fait la même chose ».

D’après M. Rama, le gouvernement de l’Union des Comores ne peut pas faire grand-chose pour empêcher le départ de personnes désespérées vers Mayotte où elles espèrent trouver une vie meilleure. « Il [le gouvernement de l’Union] ne cherche même pas à limiter ces flux de migrants clandestins ; il a d’autres problèmes à régler actuellement ».

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