Maroc : les leçons du gouvernement Benkirane II


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Après trois mois de tractations et de suspens, le gouvernement Benikirane II vient enfin de voir le jour jeudi dernier. Le peuple marocain devrait tirer les leçons de ce nouveau montage du gouvernement. Car deux principaux enseignements se dégagent à l’observation du processus et de la structure de remaniement de ce gouvernement : d’une part, la violation de l’esprit de la nouvelle constitution, et d’autre part, le retour en force de la monarchie exécutive.

Après avoir gagné les élections en faisant croire aux Marocains que le PJD n’est pas un parti comme les autres et qu’il est là pour moraliser la vie politique et la gestion publique, Benkirane n’a pas rechigné à s’allier au RNI qu’il considérait, il n’y a pas si longtemps, et son Secrétaire général en tête (Mezouar), comme le symbole de la corruption et de la rente. En s’alliant à son pire ennemi, Benkirane vient de faire perdre au PJD son principal avantage comparatif, à savoir l’intégrité. Avec cette volte-face, les présidents du PJD et du RNI ont fait preuve d’un opportunisme politique déconcertant les Marocains.

Le risque de conflits d’intérêts amplifié

Concernant les nominations des nouveaux membres, il est aussi déconcertant de constater la persistance d’un ministre d’État sans portefeuille (A. Baha) et la prolifération des ministres délégués. Ceci est une violation flagrante de l’article 87 de la nouvelle Constitution stipulant que la structure du gouvernement doit se composer uniquement du chef de gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État.
Toujours dans le lot des violations, la lutte contre la rente consacrée par la nouvelle Constitution a été mise au placard par la nouvelle mouture. La prépondérance de la rente au Maroc est le résultat de l’absence de séparation institutionnelle entre le politique et l’économique. Malheureusement, la nomination de Hafid el Alami, patron du groupe Saham et le maintien de Akhenouch patron d’Akwa, consolide la culture de la rente et amplifie le risque de conflits d’intérêts. Dans une démocratie fonctionnant normalement, les deux concernés auraient dû choisir entre leur business et leur mandat politique. Dès lors, la lutte contre la rente devient un vœu pieux avec la consolidation de la connivence du politique et de l’économique.

Le principe de la reddition des comptes bafoué

Un autre principe constitutionnel qui a été bafoué par le montage du nouveau gouvernement est la reddition des comptes. Car aucun des ministres sortants, ou plutôt changeant de département, n’a présenté de bilan de son action. Cela ne participe pas à la volonté affichée par la nouvelle Constitution de lier le pouvoir à la responsabilité. L’impression donnée est que chaque ministre peut exercer son pouvoir comme bon lui semble sans jamais être inquiété. Et quand on voit la valse des ministres entre les différents départements, il est difficile de s’y retrouver. Quoique si on revient aux derniers discours royaux et on se place dans le contexte régional, il est possible d’y voir un peu plus clair.
Effectivement, et après les discours de juillet et d’août derniers, le roi a « joué » à l’opposition en critiquant ouvertement la prestation du gouvernement, notamment sur les dossiers de l’économie et l’éducation. Dans cette configuration, le retour des technocrates et des ministères de souveraineté devient compréhensible. La consolidation de la monarchie exécutive est un secret de polichinelle dans la mesure où le palais a placé ses hommes pour mettre en œuvre sa vision. Ainsi, Mezouar sera chargé d’activer la diplomatie économique, jugée inerte par le souverain. El Ouafa, expulsé de son parti et nommé à la place d’un pjdiste aux affaires générales et à la gouvernance, se chargera de mener la réforme de la caisse de compensation sous l’égide du FMI. Anis Birou du RNI et proche du palais mettra en place la nouvelle politique migratoire désirée par le roi.

Symptômes d’un champ politique balkanisé

De même, on note le retour de technocrates. Ainsi, Rachid Belmokhtar est nommé par le palais pour réformer l’éducation, un secteur à l’agonie. De même, on a assisté au retour de deux autres technocrates, Mohamed Hassad et Cherki Draiss, au ministère de l’intérieur pour reprendre la vieille approche sécuritaire, déjà relancée ces derniers temps par les incarcérations et les harcèlements subis par les défenseurs des libertés et des droits (incarcération du journaliste Ali Anouzla pour « incitation au terrorisme » par exemple). Cela inspire deux idées. La première, le souffle de liberté porté par le « printemps arabe » est retombé. La peur pour le maintien au pouvoir étant enrayée, surtout après l’échec des transitions en Tunisie, Égypte et Libye, l’on constate le retour aux vieilles pratiques. La seconde, on a l’impression d’avoir deux gouvernements parallèles : le premier des politiques et le second des technocrates et des hommes du roi. Benkirane, dont les limites de leadearship sont désormais avérées, sera-t-il capable de mobiliser, motiver et conduire un tel groupe hétéroclite ?

Suite au printemps arabe, on a eu un « maquillage » de la constitution et un gouvernement à dominante islamiste pour laisser passer en douce l’orage des révoltes. Aujourd’hui, on assiste à une mise en placard, également en douce, du PJD qui a servi de paratonnerre pendant ces deux ans. Car, même si ce nouveau gouvernement réussira à redresser la barre, ce n’est pas Benkirane et son parti qui en tireront les bénéfices électoraux. Car la plupart des postes clé du gouvernement sont tenus par les technocrates et des proches du Palais. Par ailleurs, sachant que les enjeux principaux de ce remaniement sont avant tout économiques et que les principales réformes structurelles seront menées par des ministres non pjdistes, Benkirane et ses acolytes seront éclipsés.

Bref, l’affaiblissement du PJD, le retour des technocrates, le non respect de la Constitution, l’opportunisme politique, ne sont que les symptômes d’un champ politique balkanisé, du déficit d’une élite à la hauteur des défis, et la concentration de la quasi-totalité des pouvoirs entre les mains de la monarchie exécutive. Dans ces conditions, n’est-il pas vain d’espérer l’émergence d’une véritable démocratie et d’une économie productive qui apportera la paix et la prospérité aux marocains ?

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