Maroc : « bricoler » une loi de finances pour racheter la paix sociale


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Le roi du Maroc, Mohammed VI, et son gouvernement
Le roi du Maroc, Mohammed VI, et son gouvernement

Le projet de loi de finances du Maroc est dans la continuation des précédentes. Quelques petites réformes maladroites visent à cacher le vide et la perpétuation de politiques inefficaces. Dans son article, Hicham El Moussaoui, décortique la nouvelle loi de finance rendue publique par le gouvernement marocain. Il s’insurge contre la capacité des autorités à maintenir de mauvaises politiques. Il propose des évaluations claires qui permettraient de réajuster les politiques au lieu de s’y complaire béatement.

Le projet de loi de finances (PLF) 2019, adopté au conseil du gouvernement, a été présenté et déposé au parlement, le 22 octobre dernier pour discussions et amendements. Malheureusement, les lois de finances se suivent et se ressemblent, sans qu’il n’y ait une vraie rupture susceptible de donner une impulsion à l’économie marocaine.

Poursuite des mauvaises politiques

En effet, ce PLF 2019 s’inscrit d’emblée dans la continuité d’un modèle de développement, ayant pourtant montré ses limites depuis longtemps. Ainsi, de l’aveu même des autorités, stimuler la consommation des ménages et des investissements publics produit une faible croissance, qui plus est, stérile en emplois, et la tendance ne fait qu’empirer. Ainsi, un point du PIB engendre aujourd’hui six fois moins d’emplois qu’il y a vingt ans. Pour autant les autorités continuent leur fuite en avant en privilégiant l’investissement public par rapport à l’investissement privé, et ce en dépit de l’improductivité du premier, puisque pour 33% d’investissement public (la moyenne sur la période 2000-2014) on n’obtient qu’un taux de croissance de 3%. Autrement dit, notre économie marche à l’envers : au lieu de stimuler l’offre on stimule la demande ; et au lieu de stimuler les investissements privés productifs on encourage les investissements improductifs et inefficients.

D’aucuns rétorqueront que dans le PLF 2019, l’Etat fait un grand pas en matière de régularisation des arriérés de TVA et de paiement pour alléger la liquidité des entreprises et relancer la confiance au sein d’un secteur privé en souffrance. Certes, c’est un point positif à saluer, seulement s’il était important que l’Etat donne l’exemple, la problématique reste entière car le PLF 2019 ne propose qu’une solution de trésorerie, alors que régler le problème exige de l’Etat, par exemple, de sortir le texte d’application de la loi 49-15.  Et ce n’est pas les quelques « mesurettes » fiscales apportées par le PLF 2019 qui feront la différence, car elles manquent de cohérence d’ensemble et d’impact final. En effet, le PLF 2019 est resté dans la logique de reprendre par la main gauche ce que l’on donne par la main droite. A titre d’illustration, on baisse le taux de tranche intermédiaire de l’IS (impôt sur les sociétés) de 20% à 17,5% ce qui aura un faible impact puisque 60% des entreprises se déclarent déficitaires chroniques. En même temps, on va alourdir la charge fiscale des entreprises qui payent vraiment l’impôt en faisant passer le taux d’IS de 31% à 32%, sans parler de la contribution de solidarité de 2,5% sur les entreprises réalisant un bénéfice imposable de plus de 40 MDH. Résultat des courses : ce sont toujours les mêmes qui payent, à savoir les entreprises les plus structurées et les fonctionnaires retenus à la source. Autrement dit, avec ce PLF on continuera à renforcer la culture de l’évasion et la non-productivité.

Demi-mesures mal pensées

A l’évidence l’empilement de mesurettes fiscales sans une vision globale est le  symptôme d’une logique comptable, seule boussole du gouvernement ces dernières années. L’on peut m’opposer le cachet social de ce PLF, néanmoins si l’intention reste louable, l’approche reste très discutable pour deux raisons. D’une part, parce que l’on est dans une logique de suivisme royal sans que l’on ait la moindre trace d’un programme ou d’une vision gouvernementale autonome pour laquelle le gouvernement pourrait être tenu pour premier responsable. Cela ne fait que renforcer la culture d’attente des solutions venant d’en haut et l’absence de reddition des comptes gouvernementale. Et d’autre part, la vision du social au Maroc demeure prisonnière de la logique de redistribution : déshabiller Ahmed pour rhabiller Mohamed. Une redistribution qui rappelons-le, se contente d’augmenter les budgets de départements (éducation, santé) qui souffrent de défaillances chroniques de gouvernance ayant déjà plombé l’impact de programmes antérieurs. D’ailleurs, qui financera toutes ses mesures ?

Le gouvernement a fait dans le bricolage en augmentant par exemple la TIC (taxe sur la consommation interne) sur la cigarette, et en comptant sur la hausse des revenus de la TIC sur produits pétroliers qui augmenteront avec la hausse prévue du cours du baril, ainsi qu’un nouveau financement de 12 milliards de DH dont aucun détail n’a filtré. Et puis surprise du chef : retour des privatisations, surtout avec l’arrêt des fonds des pays du Golf. Si l’on est partisan des privatisations, les implémenter précipitamment dans une logique comptable rappelle les mauvais souvenirs des années 90 où l’on a bâclé les opérations dans un contexte où il y avait des problèmes de gouvernance, d’état de droit, de manque de concurrence. Malheureusement, force est de constater que les mêmes problèmes subsistent (absence du Conseil de la concurrence et défaillance de la justice par exemple), ce qui confirme que l’objectif n’est pas une vraie privatisation avec la consolidation d’un secteur privé concurrentiel, mais seulement une compensation comptable de la hausse des d’investissements publics et des dépenses sociales. Le pire dans cette histoire, est qu’en dépit de ces bricolages financiers, les responsables marocains seront condamnés à recourir à l’endettement. Une mauvaise nouvelle parce que d’une part notre endettement représentant près des deux tiers de notre richesse nationale, et d’autre part, cet endettement sera vraisemblablement affecté au financement du social, voire une partie du service de la dette car les recettes fiscales couvrent à peine les dépenses ordinaires.

Somme toute, ce PLF 2019 consacre la culture de budgets transitoires durant cette dernière décennie. En l’absence d’une vraie volonté politique, la loi de finance perdra son utilité politique et économique Il vaudrait donc mieux que ce soit juste élaboré par l’administration fiscale (ce qui est déjà le cas implicitement). Une vraie loi de finances devrait s’étendre sur un horizon plus large (programmation pluriannuelle) avec la possibilité de révision chaque année ; traduire un modèle de politique économique clair du gouvernement avec des mesures globales concrètes, et surtout un suivi et une évaluation rigoureuse. Faute de quoi la loi de finances sera un simple emplâtre sur une jambe de bois.

Hicham El Moussaoui, Professeur HDR, Université Sultan Moulay Slimane (Maroc). Le 12 novembre 2018

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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